Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Le quartier royal sous les coups des marteaux
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 5 au 11 août 2009, numéro 778

 

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Nulle part ailleurs

Alexandrie. Une récente décision du gouverneur doit débarrasser le quartier d’Al-Azarita de ses ateliers pour lui restituer sa beauté. Elle prend au dépourvu ouvriers et propriétaires qui ne savent plus où aller.

Le quartier royal sous les coups des marteaux

«Ce sont ces ateliers qui distinguent le quartier depuis plus de 40 ans, alors, pourquoi veulent-ils enlever tout cela aujourd’hui ? », se demande Ali Okacha, propriétaire d’un atelier mécanique au quartier de Al-Azarita à Alexandrie. Il réagit aux dernières décisions du gouverneur d’Alexandrie qui exige le déménagement de tous les ateliers de Al-Azarita, afin de redonner au quartier sa beauté d’antan.

Considéré depuis toujours comme l’un des plus anciens et des plus distingués des quartiers d’Alexandrie, Al-Azarita est victime de l’absence de planification et du brouhaha causés par les ateliers jugés par les habitants et les responsables comme des parasites au milieu de ce quartier très sélect, qui réunit des instituts et des universités. Ce quartier a toujours été habité par les résidents étrangers, particulièrement les Grecs. C’est là aussi où la reine Cléopâtre a vécu et a connu son histoire d’amour avec Marc-Antoine. C’est dans ce quartier royal que se dressaient l’ancienne bibliothèque et le centre éducatif « Moussion » qui diffusait la connaissance à travers le monde jusqu’à l’an 272, juste avant que l’empereur romain ne brûle le quartier en entier. Al-Azarita, ce quartier qui fut témoin d’une grande partie de l’histoire d’Alexandrie, est « suspendu » entre le quartier Raml et celui de Chatbi. Et bien qu’il ressemble aujourd’hui à beaucoup d’autres, il a réussi tout de même à garder un certain charme. Dès que l’on aperçoit la statue de voiles se dressant devant la Bibliothèque d’Alexandrie, on sait qu’on est arrivé à Al-Azarita. Là, beaucoup d’immeubles conservent encore leur aspect architectural du XIXe siècle avec leurs coupoles et ornements à l’italienne. Sur la place Al-Khartoum, se trouve le plus beau château du quartier « Aboul-Fadl », construit en 1935 par un architecte italien. Ce château, avec les autres villas et institutions culturelles étrangères, ainsi que le bureau de la Sécurité, ont donné à cette place sa renommée. De l’autre côté de la place s’étendent les cimetières juifs. Ces derniers étaient très présents parmi la population d’Alexandrie et on dit même que ce quartier porte le nom d’un vieux marchand juif qui y habitait et qui s’appelait « Mazarita ». C’est ainsi que la plupart des habitants le prononce. Mais l’origine du nom n’est pas vraiment connue puisqu’il existe plusieurs histoires. Saad Kamel, ingénieur et l’un des anciens habitants, dit que les gens racontent deux histoires : celle de « Mother Rita », la Grecque qui vivait jadis ici et qui avait une bonté de cœur remarquable avec ses voisins et le quartier a porté son nom. Mais au fil des ans, Mother Rita s’est transformée en « Al-Azarita ». L’autre version c’est celle de la mise en quarantaine imposée par Mohamad Ali suite à la propagation du choléra dans le pays et que l’on a baptisée « Lazarette » en s’inspirant de la première mise en quarantaine en France portant le nom
« Sainte-Marie de Nazareth ».

L’effet nostalgique

Mais quel que soit le nom, les gens acceptent et répètent toutes les histoires, convaincus que cela ne peut qu’ajouter au charme de leur quartier. Et plus, on se balade dans les dédales de ses rues, plus on constate que Al-Azarita reflète la nature cosmopolite qui distingue la ville d’Alexandrie. Mais ce sont surtout les Grecs qui ont laissé leurs empreintes. « Tout cela appartenait aux Grecs », dit Ragab, un vieux de 85 ans et qui possède un kiosque près des cimetières juifs, en pointant du doigt tous les immeubles de la rue. Il raconte que les Grecs, avant de partir, ont tout laissé aux Egyptiens qui travaillaient avec eux. Et, il y en a même ceux qui ont gardé leurs propriétés jusqu’à ce jour. Une chose qui a modifié la structure démographique du quartier. Selon Ragab, beaucoup de gens qui se sont installés dans ce quartier ignoraient son histoire et surtout sa valeur, mais connaissaient une seule chose : son aspect commercial. « Chanceux est celui qui arrive à acheter un magasin ou un atelier dans ce quartier », poursuit Ragab.

Non loin de son kiosque, se dresse une villa inhabitée, et sur sa porte, une plaque marbrée indiquant son appartenance à un grec. « De vieux Grecs se rencontrent trois ou quatre fois par an ici, ils viennent se recueillir puis quittent le lieu en silence, tout comme ils sont venus », dit Hassan, propriétaire du café attenant à cette villa. Ce dernier éprouve énormément de respect pour les Grecs depuis qu’il était enfant. Son père avait acheté ce café d’un Grec. Personne ne connaît cette rue sous son nouveau nom « Mohamad Motawe » que vient d’imposer le gouverneur tout récemment. Pour tous les habitants, elle est connue sous le nom de « Sanadino ». On ne sait pas qui est ce Motawe, par contre, on connaît Constantine Sanadino, qui était un marchand grec et qui était propriétaire de plusieurs bâtisses dans cette rue.

Un concert assourdissant

Dès 10 heures du matin, le bruit des marteaux de tôliers ne cesse de résonner. Ce sont les quelques ateliers qui restent après la décision du gouverneur obligeant les propriétaires à quitter les lieux. « C’est un quartier commercial depuis plus de 40 ans et les clients se sont habitués à nous trouver au cœur de la ville. Après cette décision, notre vie a été mise sens dessus dessous », dit Saïd Marzouq, propriétaire d’un atelier mécanique et qui précise que beaucoup de ses voisins ont déménagé, surtout les tôliers et les carrossiers comme première étape. Bientôt, va débuter la deuxième étape pour faire déménager le reste des ateliers. Ceux qui résistent sont en train de subir les pressions quotidiennes des agents de la municipalité qui font tout pour les obliger à quitter le quartier. Saïd explique que la présence des ateliers n’est pas le fruit du hasard. La preuve : le nombre important de garages dont les locaux servent d’ateliers. Les clients aussi n’encouragent pas ce déménagement car, pour eux, Al-Azarita c’est le centre-ville alexandrin. « Les clients ignorent le cauchemar dans lequel on vit avec le bruit et la pollution qui nous arrivent jusqu’à nos appartements », dit Samir Talaat, avocat, tout en ajoutant que les habitants ne se reposent que 4 jours par mois, c’est-à-dire le dimanche, jour de la fermeture des ateliers. Et il paraît que les responsables se sont rangés du côté des habitants et veulent appliquer la décision du gouverneur, mais en même temps, ils ne peuvent rien contre les propriétaires des ateliers qui ont des autorisations et des contrats en bonne et due forme. Sayed, un des mécaniciens, dit que l’on ne peut pas les chasser par force, mais on les embête tout le temps. Il cite l’exemple des trottoirs attenants aux ateliers que des mécaniciens ou tôliers utilisent pour garer les voitures et donc, sans aucun avertissement, les propriétaires ont reçu des amendes alors qu’ils possèdent des autorisations. « Ce sont des décisions qui viennent d’en haut », une phrase que les fonctionnaires de la municipalité répètent toujours. Il s’agit en fait de dizaines d’ateliers qui occupent des rues entières, ainsi dit furieusement Ahmad Eissa, médecin et habitant du quartier. Il n’hésite pas à jeter un regard méprisant et plein de colère à ces voisins « parasites » en rentrant ou en sortant de chez lui. Ce médecin ne pense guère à déménager car il vit dans un quartier distingué et son appartement est magnifique avec un balcon spacieux et des plafonds ayant 5 mètres de haut.

Le début du déclin

C’est en 1952 que le quartier a commencé à connaître du changement. C’est à partir de cette date que les étrangers ont commencé à quitter Al-Azarita et même l’Egypte, et que leurs magasins se sont transformés en ateliers. Actuellement, les rues portent leurs noms, les bâtiments ont gardé leur allure d’antan, mais les habitants ne sont plus les mêmes. Des habitants, qui ont remplacé les étrangers, sont issus de couches sociales variées, alors toute la structure démographique a changé. Le changement, selon Gamal Khalil, directeur dans une compagnie internationale, a eu lieu du bas avec l’invasion des ateliers mécaniques et de carrosserie et des tôleries au rez-de-chaussée des immeubles, mais aussi d’en haut sur les toits des bâtisses. Il lève la tête vers le haut et explique que ces toits comprenaient des chambres pour les servantes et les cuisiniers, et qui, après le départ de leurs maîtres étrangers, y sont demeurés comme de vrais propriétaires et y ont fondé des familles qui se sont multipliées pour devenir une partie du tissu démographique qui forme Al-Azarita.

Si d’apparence, le quartier garde quelques traces de sa beauté d’antan et de son charme, celui qui s’approche plus découvre un autre visage. Le quartier bouillonne avec les conflits dissimulés entre habitants, propriétaires d’ateliers et responsables. Pourtant, ses beaux jardins, sa bibliothèque prestigieuse, son théâtre, ses centres culturels et son histoire riche, et surtout ses mythes, continuent à faire de ce lieu un quartier unique en son genre malgré tout.

Hanaa Al-Mékkawi

 




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