Universités.
Plus du tiers des bacheliers classés premiers cette année au
bac ont décidé de s’inscrire dans des universités privées.
Un changement dans les mentalités ou une simple tendance ?
Le
privé gagne du terrain
Rana
abou-bakr a été classée première cette année au niveau de la
République, section sciences. Son pourcentage dépassant les
99 % lui permet d’adhérer à l’université qu’elle désire. On
l’appelle la bûcheuse et tout le monde la considère
aujourd’hui comme une star puisqu’on l’a vue parler avec
tant de confiance sur toutes les chaînes satellites. Elle
racontait avec plaisir son parcours avec le « monstre », qui
est le bac.
A
l’encontre de toutes les attentes, Rana a surpris sa famille
en leur avançant qu’elle avait décidé de poursuivre ses
études universitaires à l’Université américaine du Caire (AUC).
Un choix qui choque sa famille. Car, fille de 2 médecins,
Rana a cassé le stéréotype qui prône le fait qu’un enfant de
médecin doit par conséquent suivre l’itinéraire de son père.
Mais
Rana a vu que la médecine est une carrière difficile et qui
nécessite des études en permanence. « J’ai choisi l’AUC car
c’est une université ancienne et prestigieuse. Elle date de
1919. Et les promus de cette institution occupent des postes
importants dans tous les domaines. J’ai tant rêvé d’être une
Aucian », dit-elle.
Rana,
qui hésite encore entre la filière biologie et électroniques,
est motivée pour l’enseignement à l’AUC. Ses anciennes
camarades y sont inscrites et y trouvent le système
d’enseignement à l’AUC moderne et pratique. Rana va
bénéficier d’une réduction de 25 % sur les frais
universitaires, car elle a perdu l’option de la gratuité
étant donné qu’elle a une double nationalité, égyptienne et
américaine. Seul un étudiant égyptien venant d’une école
gouvernementale a droit à la gratuité des études à l’AUC.
Dr Amani
Khaïri, la maman de Rana, a hésité au début, ne comprenant
pas le choix de sa fille qui avait la possibilité de
s’inscrire dans n’importe quelle université publique et
suivre des études en médecine gratuitement.
Autrefois,
la faculté de médecine du Caire était le choix idéal.
Aujourd’hui, les meilleurs voient les choses autrement. « Je
craignais que le choix de ma fille ne signifie qu’elle soit
comparée à ceux qui n’avaient pas obtenu un pourcentage
élevé au bac. Je ne comprenais pas pourquoi elle insistait à
s’inscrire dans une université privée et avec de l’argent.
Mais elle m’a convaincue en me disant que tout le monde
savait qu’elle était brillante et qu’elle était libre de
choisir », commente sa mère.
En effet,
être parmi les premiers laisse toujours les parents et les
élèves perplexes. Car un pourcentage élevé au bac signifie
avoir droit à toutes les filières dans toutes les
universités. Face à cette grande variété, faire un choix
semble être une mission difficile.
En
Egypte, et pendant des générations, les premiers étaient
condamnés à choisir entre médecine, ingénierie ou pharmacie
dans les universités publiques. Aujourd’hui, les choses ont
changé, les choix aussi.
La
bourse universitaire cette année révèle un véritable
changement dans les mentalités. Sur les 35 classés premiers
au bac, que ce soit dans la section sciences ou lettres,
plus du tiers ont opté pour les universités privées.
Israa
est la fille d’un ingénieur. Elle a été classée parmi les
premières, section lettres. Ses parents l’ont encouragée à
s’inscrire dans une université privée. « Nous avons pris
cette décision durant l’année scolaire », dit le père. C’est
au début de l’année qu’Israa a passé un examen d’admission à
l’Université allemande et avec succès. Ses parents étaient
prêts à dépenser n’importe quelle somme pour qu’elle fasse
ses études dans une université privée. Mais la belle
surprise est qu’Israa a eu un haut pourcentage au bac et
peut donc y suivre gratuitement ses études universitaires. «
D’habitude, les premiers en section lettres ont comme
première option la faculté de sciences politiques, mais pour
que ma fille devienne diplomate, il lui faudra un grand
piston et je ne veux pas que son avenir dépende d’une telle
intervention », explique le père d’Israa. Comme beaucoup de
parents, il est convaincu que les promus de l’AUC et de
l’Université allemande trouvent facilement des offres
d’emplois sans attendre chez eux un seul jour.
Et même
si ce père a étudié les beaux-arts dans une faculté publique,
il sait que les choses ont changé. « A l’époque, le nombre
des étudiants dans la promotion donnait plus de chance de
communication avec le professeur, d’où l’opportunité
d’apprendre plus facilement », regrette-t-il.
Le
public en mal d’existence
Il est
vrai que sur les 500 meilleures universités du monde, aucune
université égyptienne publique n’y figure. Avec des milliers
d’étudiants dans chaque promotion, les amphithéâtres
encombrés où les étudiants arrivent à peine à entendre les
explications du professeur, les laboratoires modestement
équipés et le cercle vicieux des cours particuliers, les
universités publiques n’attirent plus.
Au fil
des ans, ces institutions publiques n’ont pas réussi à
répondre aux besoins des étudiants brillants.
Il est
vrai que les coûts exorbitants des universités privées
empêchent la plupart des étudiants d’y accéder. Or, les
bourses proposées par ces institutions sont une aubaine pour
ceux qui ont été classés premiers.
D’après
Alaa Sabet, chef de la rubrique Enseignement dans le
quotidien Al-Ahram Al-Massaï, le Conseil suprême des
universités a adressé dernièrement de fortes critiques aux
universités publiques en ce qui concerne le niveau des
études qu’elles offrent aux étudiants. « Certaines filières
dans des universités publiques ont été jugées inférieures
aux normes. Le conseil avait même proposé aux étudiants qui
possèdent les moyens financiers de s’inscrire dans des
filières payantes au sein des universités publiques »,
explique Sabet.
Le peu
d’intérêt accordé au côté pratique dans les universités
publiques a aussi encouragé beaucoup d’étudiants à
s’inscrire dans des universités privées. Ces dernières
offrent des avantages auxquels on ne peut résister, tels que
des stages de formation à l’étranger, des bourses dans des
entreprises multinationales de renommée et des offres
d’emploi, sans compter les laboratoires super-équipés et les
locaux qui ressemblent à des hôtels cinq étoiles.
Mais,
leur côté le plus fort s’avère être le système d’études
modernes convenant aux besoins du marché du travail. Ce qui
explique pourquoi tous les diplômés de ces universités sont
recherchés.
Cette
année, et pour attirer un grand nombre parmi les meilleurs
bacheliers, les universités privées ont entamé le pas pour
les trouver. Elles ont offert des bourses à tous ceux qui
ont été classés premiers au niveau de la République. Et ce,
tout le long de leurs études. « Nous avons introduit des
filières comme l’ingénierie de communication et la pharmacie
bio-technologique. De telles filières n’existent plus dans
les universités publiques », explique Dr Mahmoud Hachem,
président de l’Université allemande.
« Nous
avons comme mission de sélectionner les étudiants
prometteurs qui peuvent jouer un rôle dans l’avenir. Nous
n’acceptons que les élèves ayant obtenu plus de 90 % au bac
et ce, pour préserver le niveau de notre université. Le fait
de choisir dès le départ les meilleurs est une façon de
focaliser sur les cerveaux qui peuvent aider dans le
processus du développement ». Le Dr Hachem précise que le
système des bourses universitaires a été appliqué dès le
premier jour de l’inauguration de l’université en 2003 et 25
étudiants en ont bénéficié. Actuellement, on en compte 315,
soit le tiers du nombre d’étudiants de l’université. Un
niveau d’enseignement de qualité et une diversité des choix
qui expliquent pourquoi la tendance générale penche de plus
en plus vers l’éducation privée.
Pourtant,
Dr Salwa Al-Gharib, secrétaire générale du Conseil suprême
des universités publiques, voit que cette tendance ne va pas
durer longtemps. Pour elle, le grand nombre d’étudiants dans
les universités publiques est la raison de leur
détérioration. Un phénomène que le gouvernement a décidé de
prendre en charge. « Nous avons décidé de consacrer une
somme d’un milliard de L.E. pour la réforme de
l’enseignement dans les universités publiques. Nous allons
construire 20 nouvelles facultés au niveau des 17
universités publiques dans toute l’Egypte ».
Une
étape qui, selon Al-Gharib, redonnera à l’université
publique son prestige d’antan et lui permettra de
concurrencer les universités privées qui, au départ,
suscitaient beaucoup de doutes quant à la qualité de leur
enseignement et n’attiraient que les étudiants en manque de
pourcentage suffisant pour accéder aux filières publiques
prestigieuses. Mais la tendance a vite basculé en l’espace
de quelques années.
Dossier réalisé par Dina Ibrahim