Fête Religieuse.
La décision gouvernementale d’annuler les mouleds par
crainte de prolifération de la grippe porcine a provoqué un
sentimentde tristesse chez les zélés du mouled de Sayeda
Zeinab, qui attire chaque année des millions d’adeptes.
Visite du quartier qui devait fêter cette semaine sa grande
nuit.
La
baraka perdue de la Grande Dame
Le
quartier populaire de Sayeda Zeinab situé au centre-ville
tire son nom de sa célèbre mosquée, celle de la petite-fille
du prophète Mohamad. Chaque année et à cette période précise,
poser les pieds dans ce quartier est une véritable épreuve,
puisque c’est la semaine du mouled. Les fidèles d’Al-Sayeda
affluent des quatre coins de l’Egypte et passent la nuit à
la belle étoile tout le temps que dure cette manifestation.
Ils se consacrent corps et âme à Oum Hachem. Environ, trois
millions de fidèles s’installent autour de la mosquée et ne
quittent le quartier qu’à la fin d’Al-Leila al-kébira (la
grande nuit). Cette année, les choses ont changé. A Sayeda
Zeinab, c’est le deuil. La récente décision du gouvernement
interdisant toute fête de mouled, à commencer par celui
d’Al-Sayeda Zeinab, en est la raison. Une décision qui a
provoqué un grand choc et suscité un sentiment de tristesse
chez les fans du mouled, surtout les fidèles d’Al-Sayeda.
Pour eux, la prolifération du virus de la grippe porcine est
le dernier de leurs soucis. « Que le gouvernement prenne des
précautions en diminuant le nombre de gens dans les moyens
de transports, surtout le métro, les stations balnéaires,
les souks et les casinos de la rue Al-Haram, on peut le
comprendre car ces endroits sont souvent encombrés. Mais
annuler un mouled qui va durer à peine quelques jours, cela
est insensé », lance Manal, une bénévole qui distribue de
l’eau fraîche à l’entrée de la mosquée. Elle porte autour de
son cou une chaîne sur laquelle est accroché un cellulaire
dont la sonnerie ne cesse de retentir. Ce sont des appels de
fidèles d’autres gouvernorats qui lui confirment la tenue de
leurs mouleds.
« Vous
voyez, le mouled de Sidi Gaber à Alexandrie et celui de
Settena Sabah à Tanta ont eu lieu aujourd’hui. Si Dieu le
veut, le mouled de Sayeda se tiendra comme prévu », dit-elle
à haute voix et avec beaucoup d’espoir. Manal se dirige vers
un groupe de femmes à la mine triste pour leur remonter le
moral. Elles sont assises dans la cour attenant à la mosquée.
Elle sont dans l’attente d’une nouvelle qui soulagera leur
âme assoiffée.
Beaucoup
de gens viennent dans ce lieu saint pour avoir la
bénédiction d’Oum Hachem. D’autres sont là pour profiter de
la charité des gens aisés. « Cela fait 5 jours que je suis
là, il est temps que je parte. Le mouled est une occasion
pour moi de manger de la viande et de prendre un peu de
nourriture en réserve pour mes enfants », dit Laïla
désespérée, mère de 5 enfants dont 2 handicapés.
Elle n’a
rassemblé dans son sac en jute que quelques galettes de pain
et un peu de fruits et légumes. Cette femme a fait un trajet
de 300 km du gouvernorat de Minya, situé au sud du Caire,
pour avoir la baraka (bénédiction) d’Oum Al-Awaguez (un des
prénoms d’Al-Sayeda Zeinab qui a la réputation de soigner
les handicapés), et ce pour guérir ses 2 enfants, tout en
profitant des repas copieux offerts par les fidèles
d’Al-Sayeda.
Dans ce
quartier, un nombre important de policiers a été déployé.
Ils font un va-et-vient incessant, et toutes les 2 heures,
ils rentrent dans la mosquée et lancent aux visiteurs : «
Vous êtes priés de quitter le lieu afin de donner la chance
à d’autres de visiter al-maqam (la tombe) d’Al-Sayeda ».
A
l’intérieur de la mosquée, les discussions vont bon train
entre les prières. Les femmes n’en reviennent pas. Zakiya
répète avec insistance : « Je voue un grand amour pour Al-Sayeda
depuis mon enfance, comment annuler l’anniversaire de cette
grande dame qui a une aura auprès des musulmans ? ».
La
circulation dans le quartier continue à être dense à tout
moment du jour, y compris la nuit. Les trottoirs sont bondés
et les piétons ont fini par s’accaparer une partie de la
chaussée l’utilisant comme une route piétonne. Un chaos et
un embouteillage incroyables de véhicules de tout genre et
même des charrettes tirées par des chevaux ou des ânes. Des
passants à l’allure paysanne portant des djellabas ou
habillés en tenue moderne et des femmes en voile ou tête nue
inondent les rues.
L’autre
partie de la mosquée est réservée aux hommes. Tout autour,
les gens se posent des questions et demandent aux fidèles
qui sortent de la mosquée : est-ce que le mouled a été
vraiment annulé ? Un sentiment général de confusion et un
manque de confiance dans toute décision gouvernementale
règnent chez les visiteurs du quartier. Abou-Moustafa, qui
vient de terminer sa prière d’Al-Asr (après-midi), raconte
qu’il a vu de ses propres yeux des descentes de la police
visant à disperser les fidèles. Les tentes ont été déchirées
avec des couteaux, les pancartes qui portent le nom
d’Al-Sayeda ont été arrachées.
Pour
tout le monde, le fait d’annuler le mouled à cause de la
propagation de maladies n’est pas convaincant pour tous ces
gens. « Annuler le mouled à cause des porcs ? Qu’y a-t-il de
nouveau ? On vit toujours dans l’embouteillage, les preneurs
de décisions auraient dû visiter Dar Al-Salam où les gens
sont propulsés à cause de la marée humaine. Depuis quand
l’hygiène fait partie de nos priorités ? », confie Chaabane.
Les
villageois venus du nord ou du sud ne comprennent pas la
dimension du virus H1N1. Pour eux, une maladie qui risque de
devenir une épidémie n’est rien en comparaison avec leurs
souffrances quotidiennes.
Chaabane,
vendeur de jouets, est chargé de la sécurité des étales
d’autres marchands durant les nuits du mouled. Il confie : «
Cette décision nous a privés d’un bénéfice d’environ 70 % de
plus. En ce moment, je ne gagne que 15 L.E. que je dépense
dans les moyens de transports car j’habite à Al-Nahda, juste
avant la cité d’Al-Obour ». Au lieu d’exposer les
marchandises dans la rue principale de la mosquée, tous les
commerçants se sont précipités vers la ruelle de Salama,
juste derrière la mosquée, pour pouvoir écouler discrètement
leurs articles disponibles avant le début du mouled et qui
sont considérés comme nafha (don béni) d’Al-Sayeda.
Des
calculs qui tombent à l’eau
Tous
les calculs de Chaabane sont partis en l’air. Il est déçu
car c’est la période prospère pour lui. Le mouled de Sayeda
Zeinab a la même importance que celui d’Al-Hussein, Al-Sayed
Al-Badawi à Tanta, Al-Morsi Aboul-Abbass en Alexandrie et
Abdel-Réhim Al Qénawi à Qéna, en Haute-Egypte, et évidemment
le mouled de la Vierge Marie à Matariya. Des mouleds qui
rassemblent un grand nombre de fans et fidèles qui peuvent
parfois dépasser les 3 millions de personnes. « C’est
vraiment une grande perte pour moi, j’ai ramené une
marchandise évaluée à 10 000 L.E. 10 jours avant le début du
mouled. La nouvelle de l’annulation va m’obliger à rendre
cette marchandise au propriétaire de l’usine, ce qui ne va
pas être facile », lance Samir, vendeur de halawet al-mouled,
hommos, lokoum et noix de coco. Il regrette les mouleds des
années précédentes où il n’avait pas le temps d’échanger des
discussions avec ses clients tant il avait du monde autour
de son étalage. « Aujourd’hui, je suis obligé de faire
descendre les prix. Je viens de vendre des douceurs à 20 L.E.
au lieu de 30 L.E. C’est un moyen de faire écouler ma
marchandise en période de récession », dit-il avec désespoir.
Cette
situation embarrasse aussi bien les petits vendeurs que les
propriétaires de grands magasins. Certains sont même allés
plus loin et voient que la raison de l’annulation des
mouleds est une façon de la part du gouvernement de se
réconcilier avec les coptes fâchés par la mise à mort des
porcs. Arafa Al-Kanafani tient entre les mains un grand
cahier sur lequel il fait ses comptes pour régler les dettes
du magasin. « On s’est dit de patienter un peu, le temps que
la crise financière passe, on a dû encore attendre la fin
des examens du baccalauréat pour avoir une clientèle qui
nous remplisse les poches, mais l’annulation du mouled a
changé tous nos comptes », dit-il.
Ragab
Abdel-Hakim, vendeur de journaux qui se tient un peu à
l’écart de la mosquée, voit les choses autrement. Pour lui,
le mouled ne fait pas partie du rite musulman.
« Ce
n’est pas une fête religieuse, c’est une festivité où l’on
assiste à toute sorte d’excès et de dépassement. Le haschich
circule et personne n’est là pour contrôler ces actes »,
s’indigne-t-il. Mais Ragab n’ose pas déclarer cet avis
publiquement. Il est conscient que la tenue du mouled est
une question primordiale pour les habitants du quartier.
Aujourd’hui, les habitants du quartier ont fini par accepter
le fait accompli et ne plus se faire d’illusion. Les
propriétaires et les petits marchands ambulants ont même
fait circuler quelques rumeurs pour attirer des clients.
Certains ont avancé que Fathi Sourour, président du
Parlement et natif du quartier d’Al-Sayeda, va assister à la
prière du vendredi et annoncer la tenue du mouled. En fait,
la rumeur s’est transformée en une chimère car personne
n’est venu pour confirmer ni infirmer.
D’autres
ont avancé que l’incendie qui a détruit 3 magasins de cuir
est dû à la colère d’Oum Hachem qui veut à tout prix que son
mouled soit tenu. Alors que les investigations ont prouvé
que cet incendie est dû à une négligence humaine.
Peu
importe les raisons d’annuler le mouled, les pauvres le
voient comme un divertissement et une belle occasion pour
passer quelques jours auprès des saints, une bouée de
sauvetage pour les âmes désespérées. En attendant que les
choses changent, les fans d’Al-Sayeda sont convaincus que :
« annuler le mouled va provoquer des désastres et susciter
la colère d’Ahl al-beit (la famille du prophète) ».
Dina
Ibrahim