Hind Khoury,
ambassadrice de Palestine à Paris, souligne que les médias
français subissent des pressions idéologiques, dont la peur
que le conflit israélo-palestinien ait des répercussions en
France sur les communautés juive et arabe.
« Il
faut que l’Europe et les Etats-Unis s’entendent pour exiger
une paix globale »
Al-Ahram
Hebdo : Mme l’ambassadrice, vous êtes en poste à Paris
depuis quelque temps, pouvez-vous nous donner une idée sur
votre carrière avant d’arriver à Paris ?
Hind
Khoury :
C’est
une carrière avant tout palestinienne, au service de mes
compatriotes. Ma formation économique m’a conduite à
travailler sur des questions liées au développement, dans le
secteur privé, mais aussi dans le secteur public. J’ai
exercé des missions dans le domaine humanitaire, comme
coordinatrice des pays donateurs, dans le tourisme, ou
encore liées aux droits de l’Homme en Palestine. Quant à mon
engagement politique, il n’a cessé de croître depuis la
première intifada. Avant d’arriver à Paris, j’ai été, en
2005, nommée ministre des Affaires de Jérusalem dans le
gouvernement Abbass.
—
Comment jugez-vous la position des médias en France
vis-à-vis du processus de paix en général et de la question
palestinienne en particulier ?
— Les
médias français ont une réelle sympathie pour la cause
palestinienne, mais pâtissent également d’une certaine
incompréhension liée sans doute à des pressions
idéologiques. L’une de ces pressions est la peur que le
conflit israélo-palestinien ait des répercussions en France
entre les communautés juives et arabes. Médias et politiques
redoutent une importation du conflit qui pourrait se
manifester par des actes racistes. En janvier dernier,
l’attaque meurtrière menée contre la Bande de Gaza a été
largement couverte et dénoncée par les médias français, mais
force est de constater que depuis, plus personne ne parle
des conséquences de ce massacre. Actuellement dans la presse
française, les Iraniens sont devenus « les agresseurs » et
les Israéliens « les agressés ».
—
Pensez-vous que le monde arabe manque de stratégie de
communication sur la question palestinienne en particulier
et sur l’ensemble de ses droits en général ?
— Il ne
faut pas oublier que les pays arabes ont adopté une
stratégie commune sur la question palestinienne que je
qualifierais de pragmatique en 2002 (Plan de Beyrouth) puis
en 2007 (Plan de Riyad). Il y a donc une diplomatie active
ainsi qu’une réelle volonté de constituer un bloc
stratégique et géopolitique homogène. Bien sûr, des
divisions trop nombreuses sont à déplorer et paralysent
l’action sur le terrain. En terme de communication, je crois
qu’il faut saluer l’essor des médias privés qui ont su
fédérer les pays arabes autour de journaux et surtout de
chaînes de télévisions qui sont regardées dans le monde
entier. Au-delà des informations et de la liberté que nous
apportent ces médias, je trouve que c’est une véritable
fierté pour le monde arabe d’avoir de tels relais culturels
et politiques communs.
—
Comment jugez-vous le discours de Barack Obama du 4 juin
passé à l’Université du Caire ?
— Pour
moi, c’est le premier véritable discours post-colonial.
Obama ne s’est pas adressé aux gouvernements, mais aux
peuples dont il a mesuré les déceptions passées et les
aspirations. Ce discours du Caire témoignait de l’importance
du respect de l’autre, de la dignité, mais aussi d’un réel
besoin de changement. Obama a compris que le monde a changé
et qu’une nouvelle diplomatie doit voir le jour. J’ai été
très émue par la terminologie employée par le président
américain. Pour la première fois, il a parlé « d’occupation
» et de « résistance », mais a aussi très bien distingué le
combat des Palestiniens d’un certain « extrémisme » musulman
: c’était un discours clair et équilibré. Certes, Obama
n’est pas venu avec des solutions ou un calendrier. Il n’a
pas non plus abordé la question de Jérusalem ni les
frontières de 1967, mais c’est un premier pas qu’il faut
saluer en attendant de véritables actions sur le terrain.
— Ne
pensez-vous pas que la France et l’Europe, qui étaient
toujours en avance sur la position américaine quant au
conflit israélo-arabe, sont prises de court par cette
extrême ouverture du président américain ?
— Les
positions européennes restent bonnes et nous devons
continuer à saluer les efforts, en particulier sur le plan
financier, qui sont ceux de l’UE. En revanche, comment ne
pas souligner certaines contradictions dans la politique
européenne qui d’un côté condamne Israël, et de l’autre,
continue d’être son premier partenaire économique ? L’Europe
aurait véritablement les moyens d’agir et ne le fait pas.
L’un des problèmes majeurs n’est autre que la division et
l’hétérogénéité entre les pays européens qui ne parlent pas
de la même voix et, de ce fait, se contentent de
déclarations de principe. Dans ce domaine, il faut tout de
même saluer la France qui reste un allié dynamique et
indéfectible. Enfin, je crois qu’il faut noter que le
changement de cap des Etats-Unis est très important dans la
mesure où ce pays est le soutien traditionnel d’Israël. Il
faut maintenant que l’Europe et les EU arrivent à s’entendre
pour exiger une paix globale en Palestine et au
Moyen-Orient.
—
Comment peut-on décrire la situation à Gaza et dans les
Territoires au lendemain de l’agression israélienne sur Gaza
? Autrement dit, comment expliquer à l’opinion publique
occidentale ce schisme politique palestinien qui empêche une
visibilité plus positive de la cause palestinienne en
Occident ?
— Depuis
le massacre de janvier, la situation n’a pas changé dans la
Bande de Gaza. Le territoire est toujours paralysé par le
blocus de l’armée israélienne et la misère ne cesse de
s’étendre. L’opinion publique occidentale commence à
comprendre que les divisions entre Palestiniens ont pour
cause l’occupation et la colonisation israélienne. Ce chaos,
provoqué par les gouvernements israéliens successifs, a
conduit à détruire le tissu politique palestinien qui n’a
plus de vision commune. Comment voulez-vous parler de
démocratie, d’espoir et de paix à un peuple qui n’a connu
que la violence et les injustices de la politique
israélienne ? Je reste convaincue que si demain la
communauté internationale s’engage clairement pour la
création d’un Etat palestinien, nos compatriotes vont se
rassembler et se réconcilier.
— Quel
est votre plan de travail vis-à-vis des médias, mais aussi
de la société civile française dans la période à venir ?
— Je
vais vous répondre que je vais continuer à faire ce que je
fais depuis 3 ans. Dans leur grande majorité, les Français
sont très engagés en faveur de la cause palestinienne. Je me
déplace en moyenne deux fois par semaine en province, et à
chaque fois, je suis bien accueillie par des personnes qui
connaissent très bien la situation en Palestine. Lors de ces
déplacements, je participe à des conférences, rencontre les
réseaux de solidarité, les ONG, les associations de soutien,
la presse locale, les militants politiques, les universités
ou encore les élus des communes françaises qui souvent sont
jumelées avec des villes ou des camps palestiniens. A Paris,
mon activité reste plutôt centrée autour de l’administration
de la Délégation de Palestine, à laquelle nous voulons
donner la même importance que les autres ambassades
étrangères. Je suis aussi proche des réseaux politiques et
diplomatiques français. Régulièrement, les médias nationaux
me sollicitent pour répondre à des interviews ou m’invitent
à des débats. Enfin, mon activité et celle de la Délégation
consistent aussi à faire « vivre » la Palestine au travers
d’événements culturels. En ce moment, nous organisons avec
l’Institut du monde arabe une exposition d’art palestinien
qui s’intitule « La Palestine dans tous ses états » et qui
rencontre un franc succès. Mon rôle en France consiste aussi
à véhiculer une autre image plus positive de la Palestine
que celle de la guerre.
Propos recueillis par Ahmed Youssef