Ecriture.
Les ateliers d’initiation sont de plus en plus fréquents
avec des initiatives qui puisent leur source dans la
nouvelle vague de librairies. Ils cherchent à impulser un
changement dans la vie culturelle mais aussi à contribuer à
la naissance d’une nouvelle génération d’écrivains.
Pousser les plumes à se délier
«
Je ne rêve que d’une chose, c’est de devenir écrivain et un
jour, je le serai », déclare Samar Ahmad, jeune participante
aux ateliers d’écriture. L’image de l’écrivain comme d’une
personne qui attend l’inspiration pour exprimer ses idées à
l’aide d’une imagination débordante est encore tenace. Une
image basée sur l’idée que l’on naît écrivain. Cependant,
nombreuses sont aujourd’hui les tentatives qui tentent de
démontrer qu’on peut aussi le devenir.
Intégrant une nouvelle dimension à leur rôle traditionnel,
de nombreuses librairies ouvrent aujourd’hui leurs portes
aux amateurs de l’écriture littéraire en leur proposant une
aide professionnelle par l’intermédiaire d’écrivains connus.
La pionnière dans les domaines des ateliers d’écriture est
la librairie Kotob Khan qui, depuis sa création en 2006, ne
cesse de prendre des initiatives pour promouvoir la vie
intellectuelle égyptienne. En 2008, le premier atelier
d’écriture créative a vu le jour grâce à la propriétaire et
directrice de la librairie, Karam Youssef, en coopération
avec l’écrivain et poète Yasser Abdel-Latif. « L’atelier a
commencé par une sélection de textes envoyés par les
personnes désirant y participer. Avec Yasser Abdel-Latif,
nous avons choisi dix personnes, selon la cohérence du texte
et, bien sûr, le style d’écriture », explique Youssef . « Au
bout de dix mois de rencontres régulières, nous avons réussi
à publier un livre regroupant les récits écrits par les
participants », ajoute-t-elle.
Ketab
al-sabea wal nisf massaa al-arbea (le livre de sept heures
et demie le mercredi soir), dont le titre vient de l’horaire
de la rencontre hebdomadaire des participants à l’atelier,
est une compilation de récits qui portent sur le thème de la
confession. Ce sont des dialogues psychologiques profonds
qui tournent autour d’une histoire vécue par l’auteur ou
d’une expérience personnelle. « Outre la chance d’avoir mon
texte publié, l’atelier me fut d’un grand apport aussi bien
personnel que professionnel », explique Nermine Idriss,
participante à l’atelier, dont le récit s’intitule Wa qarrar
al-arnab an yastarih (et le lapin décida de se reposer).
La vague
se poursuit
Aujourd’hui,
et après le succès du premier atelier, Kotob Khan accueille
trois ateliers d’écriture. Le premier, dirigé encore une
fois par Yasser Abdel-Latif, est cette fois un atelier de
roman, « le premier roman » tel que Karam Youssef l’appelle.
Cet atelier, auquel participent certaines personnes de
l’atelier précédent, est plus approfondi et vise à faire
rédiger par chaque participant une centaine de pages. « Nous
pensions ne publier que l’œuvre la plus aboutie, mais en
avançant, nous avons constaté que chacun d’entre eux mérite
une publication qui lui est propre », raconte Youssef. Les
ateliers de Kotob Khan ne se limitent pas uniquement à
l’écriture romanesque, mais s’étendent à l’écriture ironique
et sarcastique avec l’écrivain Omar Taher, connu pour ses
best-sellers Chaklaha bazet (ça a l’air fichu) ou Capitaine
Masr (capitaine d’Egypte), et à la critique littéraire, avec
un atelier animé par l’écrivain et professeur de langue
arabe Sayed Al-Bahrawi. « J’ai proposé l’idée de cet atelier
à Karam car nombreux sont ceux qui me demandent une aide
professionnelle dans l’écriture sarcastique », explique Omar
Taher dont l’atelier a commencé il y a trois semaines.
D’un
autre côté, la librairie Al-Balad a impulsé elle aussi deux
ateliers d’écriture créative, le premier intitulé Al-Balad,
dirigé par Bahaa Abdel-Méguid, écrivain et professeur de
lettres à l’Université de Aïn-Chams. « En Egypte, nous
n’avons pas d’institutions académiques enseignant les
différents genres d’écriture, cela explique les succès de
ces ateliers », développe Abdel-Méguid. Toutes les personnes
intéressées peuvent participer aux rencontres hebdomadaires
de l’atelier qui a débuté il y a quatre mois. Il n’y a pas
de sélection ni de restriction, l’atelier propose des
lectures critiques de textes présentés par ses participants.
« Parfois, les jeunes talents ont peur de s’aventurer dans
l’écriture, et cette participation leur permet d’observer de
près le processus d’apprentissage, ce qui les rassure en
quelque sorte », ajoute Abdel-Méguid.
La
librairie accueille également un atelier intitulé Al-Hekaya
we ma fiha (l’histoire et ses composantes) né d’une
initiative indépendante sur un groupe du site Facebook. Les
jeunes talents intéressés par l’écriture étaient invités à
déposer leurs récits qui ont ensuite été sélectionnés pour
aboutir aux participants à un atelier concret dirigé par
l’écrivain et traducteur Mohamad Abdel-Nabi. « La création
d’un atelier a toujours été mon rêve car j’ai moi-même
participé à plusieurs ateliers quand je commençais mon
expérience littéraire. Maintenant, je peux transmettre ma
propre expérience aux jeunes talents ». Plusieurs écrivains
et critiques littéraires sont invités aux rencontres de
l’atelier de Abdel-Nabi, tels l’écrivain Tareq Imam ou le
critique Sayed Al-Wakil et une remise de diplôme est prévue
à la fin de l’atelier qui a débuté il y a deux mois. « En
tant que critique, la participation à une telle
manifestation littéraire m’est très importante car cela me
permet d’observer les nouveaux talents au moment même de
leur naissance », explique Sayed Al-Wakil.
L’apprentissage de l’écriture … possible ?
L’un
des aspects intéressants de cette série d’ateliers est que
les participants n’ont pas tous suivi des études littéraires,
loin de là, et certains travaillent même dans des domaines
très éloignés de l’écriture. Ainsi, Mohamad Farouq est-il
chimiste, mais trouve l’occasion de participer à Al-Hekaya
we ma fiha. « L’écriture n’est pas uniquement un moment
d’illumination ou un talent, c’est aussi un travail qui
requiert une technique. Cet atelier m’a familiarisé avec
plusieurs techniques d’écriture comme le développement de
l’idée et des personnages ». On peut également être mère,
épouse, comptable et vouloir exprimer ses visions du monde
comme Inès Lotfy, qui rêve de « pouvoir écrire une histoire
aboutie » en améliorant son style et en perfectionnant le
talent avec la bonne technique. Pour d’autres, comme Samar
Ahmad, dont le talent est très apprécié par les animateurs
de l’atelier de Kotob Khan, sa formation fut littéraire,
mais son travail actuel dans une compagnie d’appareils
mobiles est loin d’être littéraire. « Faire des études
littéraires est une chose, devenir écrivain est une tout
autre chose. J’ai participé au premier atelier de Kotob Khan
et je participe au second car j’ai besoin d’être encadrée et
d’avoir un avis qui puisse me guider dans mon processus
d’écriture », explique-t-elle.
Le
concept donc paraît variable, puisque c’est une combinaison
de talent et de technique. « Les ateliers d’écriture en
général sont des ateliers d’apprentissage. Certes, il faut
faire preuve de volonté et d’inspiration, mais à mon avis,
la technique d’écriture est comme toute autre technique ...
elle s’apprend », explique Karam.
Dans ce
cas-là, l’écriture se limiterait presque à la transcription
des idées sur papier. Mais le talent et la cohérence des
idées restent des éléments indispensables au processus
d’écriture. « Un atelier ne crée pas un écrivain, mais il
aide ceux qui ont du talent en leur donnant les techniques
et les outils d’écriture », explique Mohamad Abdel-Nabi.
D’après Bahaa Abdel-Méguid, « l’écriture a trois composantes,
le talent, l’héritage culturel de l’écrivain et la technique
».
Yasser
Abdel-Latif, le premier et le seul à avoir supervisé une
expérience concrète (avec une publication collective), n’a
jamais tenté d’apprendre aux participants des techniques
spéciales d’écriture. Son travail consistait à les pousser à
s’autocritiquer. « Dès le premier jour de l’atelier, Yasser
nous a clairement expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un
apprentissage. Nos séances ont été de longs moments de
sélection d’idées. Yasser nous aidait à choisir les idées
les plus pertinentes, et nous guidait vers les parties qui
ont une meilleure résonance littéraire, et c’est ainsi que
chacun a pu créer un récit unique », raconte Samar Ahmad.
Apprentissage ou encadrement, les ateliers d’écriture, peu
importe le genre, sont très fructueux et appréciés aussi
bien par les participants que par les animateurs. «
L’échange d’idées entre plusieurs personnes dans un atelier
est plus productif que le monologue d’un seul écrivain, il
stimule la créativité », conclut Sayed Al-Wakil.
Dina
Abdel-Hakim
May Azmi