Al-Ahram Hebdo, Enquête | L’interdiction est-elle efficace ?
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 29 juillet au 4 août 2009, numéro 777

 

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Enquête

Sites Pornographiques. Un avocat de tendance islamiste vient de gagner un procès visant à en interdire toute visite. Une décision accueillie avec bonheur par les uns et scepticisme par d’autres qui craignent que l’interdiction n’atteigne d’autres secteurs. Réactions.

L’interdiction est-elle efficace ?

Une dizaine d’ordinateurs et des internautes affairés sur leurs claviers, telle est la scène dans un cybercafé situé à Madinet Nasr. Les uns consultent leurs courriers électroniques, d’autres des sites sans trop d’images ou d’animations. Le silence qui règne dans la salle n’est interrompu que par le bruit du clavardage. Des mimiques illustrent la joie de ces internautes à surfer et leurs yeux ne quittent pas l’écran malgré l’austérité du décor. Soudain, un homme à l’allure modeste fait éruption dans le cybercafé. Sa façon de parler montre bien qu’il vient d’un quartier populaire. Il demande à Monica, la propriétaire des lieux, de lui préparer « un bon CD ». « Ah, vous voulez de la musique populaire ? Aucun problème, repassez demain et votre demande sera honorée ». L’inconnu esquisse un sourire coquin, mais n’ose pas dire ce qu’il veut. Il se dirige donc vers son assistant, lui chuchote à l’oreille, puis s’en va. Monica saura plus tard que ce monsieur voulait qu’on lui télécharge des images pornographiques. « A présent, je comprends pourquoi lorsque je lui ai dit que le CD de musique allait lui coûter 5 L.E., il a été surpris par le prix. Pour les autres, il faut débourser entre 30 et 40 L.E. », explique Monica qui confie mettre à la porte tout internaute qui ose ouvrir un site pornographique. « Je ne prétends pas n’avoir jamais surfé sur un site pareil à l’âge de l’adolescence, mais je trouve que cela ne sert à rien de s’exciter si l’on n’a pas de partenaire légal », poursuit-elle tout en étant d’accord avec la décision qui interdit la diffusion de ces sites.

En fait, Nizar Ghorab, avocat de tendance islamiste, vient de gagner un procès qui va interdire toute visite sur des sites pornographiques dans toute l’Egypte. « Etant donné que la Constitution appelle l’Etat au respect des principes, des traditions et des mœurs, j’ai fini par gagner mon procès », précise Ghorab pour qui le fait d’interdire ces sites aurait un impact positif en réduisant le nombre de viol, d’adultère et d’inceste.

D’autres personnes sont d’accord pour l’interdiction, mais avancent un autre argument. Ils pensent qu’il faut protéger les adolescents de toute image pornographique proposant une vision de la sexualité qui ne s’apparente pas à la norme. L’initiation ou l’apprentissage sexuel doivent se dérouler en plusieurs étapes et doivent correspondre à la maturité de l’adolescent.

Hani Younès, professeur d’anglais dans une école privée, raconte avoir surpris pendant la récréation un élève en troisième année préparatoire, en train de regarder sur son portable un film porno, téléchargé sur Internet. Le professeur a tenté de calmer l’adolescent qui a éclaté en sanglots, effrayé par l’idée d’être conduit chez le directeur. Younès lui a fait comprendre que la question des rapports sexuels a toujours suscité l’intérêt des jeunes qui veulent connaître et comprendre, mais ce n’est ni l’endroit ni le moment pour le faire. « Nous vivons dans une société qui souffre de la frustration sexuelle, il ne faut pas effrayer les jeunes, il faut être à leur écoute pour les aider à distinguer ce qu’il faut faire de ce qu’il ne faut pas faire », poursuit Younès.

Une interdiction inutile

Mais nombreux sont ceux qui considèrent que cette interdiction ne fera que susciter la curiosité des jeunes.

Salma, mère de 2 enfants, voit que le fait d’interdire ces sites va inciter les jeunes à trouver mille et une astuces pour pouvoir les visiter et voir ce qu’ils proposent comme images. L’esprit d’un adolescent pourrait être obsédé par ces sites au point de trouver tous les moyens pour avoir toutes les informations qu’il désire, y compris visiter les sites, même s’ils sont bloqués en les décodant. Pourtant, la jeune maman a pris ses précautions. Chez elle, l’ordinateur est installé dans le salon, ce qui lui permet de surveiller en toute discrétion son fils Youssef, âgé de 12 ans.

Et si par curiosité, il consulte un site pareil, elle est là pour lui faire comprendre avec les mots ce qu’il doit savoir. « Je suis convaincue qu’il doit comprendre cette relation très forte qui lit une femme à un homme, que le sexe est quelque chose d’important dans la vie d’un être humain », explique Salma, issue d’une famille cultivée. Cette maman pense que si ces sites sont bloqués, son fils ira chercher ailleurs et pourra obtenir des informations erronées.

Une façon à elle d’éduquer son fils que Ghorab juge trop ouverte, voire à l’occidentale. Il donne comme argument les propos de l’écrivain Galal Amin sur l’effet néfaste de l’invasion des idées occidentales dans les pays arabes. « Si on se laisse emporter par ces idées importées, nous ne ferons que suivre l’Occident comme un troupeau », commente Ghorab avec colère.

Les experts travaillant dans le domaine de l’informatique voient que l’interdiction des sites pornos est une décision sage. Bakir trouve choquant que de tels sites soient visités par des Arabes et particulièrement des Egyptiens. « Une statistique classe en première position les Egyptiens par rapport au nombre de visite sur ces sites ». Un constat choquant pour lui.

En effet, les experts en télécommunications voient que la mise en application d’une telle interdiction est difficile à appliquer du point de vue technique. Pourtant, ceci ne les empêche pas de prôner cette interdiction. Abdel-Latif Sabri, travaillant dans une société d’informatique et ancien officier de police, est totalement pour le fait de bannir ces sites. Selon ses propos, ces sites pornographiques ne sont pas étrangers à l’augmentation du nombre de viol en Egypte. « Le mariage, l’abstention ou le jeûne sont les solutions proposées par l’islam pour éviter la débauche. Car écouter son instinct sexuel, c’est suivre le diable », commente Sabri.

D’ailleurs, cette décision, bien qu’elle ne soit pas encore en vigueur, trouve son écho parmi les courants religieux qui s’imposent à l’heure actuelle. Mariam, 24 ans, voilée, confie que ces sites provoquent un choc à ceux qui n’ont pas connu d’expérience sexuelle. « Si la jeune fille ou le jeune garçon désirent une information, qu’ils se dirigent vers une bonne source comme par exemple la célèbre sexologue Héba Qotb. Personnellement, c’est ma mère qui se charge de mon initiation et pour mon frère, c’est mon père qui s’en charge », dit-elle en baissant la tête avec pudeur.

D’autres estiment que le fait de bannir les sites pornographiques risque de mener vers d’autres restrictions. Cela peut s’étendre dans d’autres domaines tels que les œuvres littéraires et artistiques, et ouvrir la porte aux courants conservateurs pour faire plus de pression. Le cas de l’Arabie saoudite et de la Tunisie qui interdisent un grand nombre de sites pornos est la preuve que cette interdiction a touché d’autres aspects de la vie.

Dans une conférence qui a groupé les experts en Internet à Saqiet Al-Sawi, les avis autour de l’interdiction de ces sites divergent. « On ne peut pas arrêter tout progrès technologique. Un jour Internet va contrôler tous les aspects de la vie jusqu’à l’électroménager. Il est devenu impossible de faire face à cette invasion », avance Mohamad Abou-Kreich, secrétaire général de l’Association scientifique des ingénieurs de communications.

Abou-Kreich est contre la pornographie, mais déteste la censure. « Les parents ont la possibilité de bloquer certains sites et ce, grâce à des programmes spécifiques. Alors que pour les chaînes satellites pornographiques, il suffit de payer un abonnement trimestriel d’une valeur de 300 L.E. pour ouvrir des chaînes interdites aux moins des 18 ans. Il suffira alors de zapper pour avoir accès à un film porno », résume Hamdi Al-Assiouti, avocat et conseiller juridique dans une ONG.

Mais l’interdiction de ces sites ne semble pas changer les choses. Les jeunes connaissent tous les moyens pour avoir des images pornographiques. Sites Internet, chaînes satellites et CD filent discrètement de main en main.

Les romans photos, destinés au sexe comme Awdet al-cheikh ila sebah (le retour du vieux à son adolescence) et Mozakkerat Iva (les mémoires d’Iva) continuent d’être de best-sellers depuis les années 1960.

« S’il s’agit d’interdire les sites pornographiques pour protéger les jeunes, tant mieux, mais il faut d’abord interdire les vidéoclips qui diffusent des chanteuses à moitié nues sous le nom de la modernité », dit Yasser, directeur dans un cybercafé.

Le propriétaire d’un autre cybercafé a été choqué un jour de voir un homme âgé de 80 ans naviguer sur ces sites. « Il ne savait pas que, de ma salle de contrôle, j’ai l’œil sur tous les écrans. Nous lui avons fait savoir qu’il n’était pas permis de consulter de tels sites chez nous, mais cela ne l’a pas empêché de refaire la même chose, la fois suivante ».

Dina Ibrahim

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