Sites Pornographiques.
Un avocat de tendance islamiste vient de gagner un procès
visant à en interdire toute visite. Une décision accueillie
avec bonheur par les uns et scepticisme par d’autres qui
craignent que l’interdiction n’atteigne d’autres secteurs.
Réactions.
L’interdiction est-elle efficace ?
Une
dizaine d’ordinateurs et des internautes affairés sur leurs
claviers, telle est la scène dans un cybercafé situé à
Madinet Nasr. Les uns consultent leurs courriers
électroniques, d’autres des sites sans trop d’images ou
d’animations. Le silence qui règne dans la salle n’est
interrompu que par le bruit du clavardage. Des mimiques
illustrent la joie de ces internautes à surfer et leurs yeux
ne quittent pas l’écran malgré l’austérité du décor. Soudain,
un homme à l’allure modeste fait éruption dans le cybercafé.
Sa façon de parler montre bien qu’il vient d’un quartier
populaire. Il demande à Monica, la propriétaire des lieux,
de lui préparer « un bon CD ». « Ah, vous voulez de la
musique populaire ? Aucun problème, repassez demain et votre
demande sera honorée ». L’inconnu esquisse un sourire coquin,
mais n’ose pas dire ce qu’il veut. Il se dirige donc vers
son assistant, lui chuchote à l’oreille, puis s’en va.
Monica saura plus tard que ce monsieur voulait qu’on lui
télécharge des images pornographiques. « A présent, je
comprends pourquoi lorsque je lui ai dit que le CD de
musique allait lui coûter 5 L.E., il a été surpris par le
prix. Pour les autres, il faut débourser entre 30 et 40 L.E.
», explique Monica qui confie mettre à la porte tout
internaute qui ose ouvrir un site pornographique. « Je ne
prétends pas n’avoir jamais surfé sur un site pareil à l’âge
de l’adolescence, mais je trouve que cela ne sert à rien de
s’exciter si l’on n’a pas de partenaire légal »,
poursuit-elle tout en étant d’accord avec la décision qui
interdit la diffusion de ces sites.
En fait,
Nizar Ghorab, avocat de tendance islamiste, vient de gagner
un procès qui va interdire toute visite sur des sites
pornographiques dans toute l’Egypte. « Etant donné que la
Constitution appelle l’Etat au respect des principes, des
traditions et des mœurs, j’ai fini par gagner mon procès »,
précise Ghorab pour qui le fait d’interdire ces sites aurait
un impact positif en réduisant le nombre de viol, d’adultère
et d’inceste.
D’autres
personnes sont d’accord pour l’interdiction, mais avancent
un autre argument. Ils pensent qu’il faut protéger les
adolescents de toute image pornographique proposant une
vision de la sexualité qui ne s’apparente pas à la norme.
L’initiation ou l’apprentissage sexuel doivent se dérouler
en plusieurs étapes et doivent correspondre à la maturité de
l’adolescent.
Hani
Younès, professeur d’anglais dans une école privée, raconte
avoir surpris pendant la récréation un élève en troisième
année préparatoire, en train de regarder sur son portable un
film porno, téléchargé sur Internet. Le professeur a tenté
de calmer l’adolescent qui a éclaté en sanglots, effrayé par
l’idée d’être conduit chez le directeur. Younès lui a fait
comprendre que la question des rapports sexuels a toujours
suscité l’intérêt des jeunes qui veulent connaître et
comprendre, mais ce n’est ni l’endroit ni le moment pour le
faire. « Nous vivons dans une société qui souffre de la
frustration sexuelle, il ne faut pas effrayer les jeunes, il
faut être à leur écoute pour les aider à distinguer ce qu’il
faut faire de ce qu’il ne faut pas faire », poursuit Younès.
Une
interdiction inutile
Mais
nombreux sont ceux qui considèrent que cette interdiction ne
fera que susciter la curiosité des jeunes.
Salma,
mère de 2 enfants, voit que le fait d’interdire ces sites va
inciter les jeunes à trouver mille et une astuces pour
pouvoir les visiter et voir ce qu’ils proposent comme
images. L’esprit d’un adolescent pourrait être obsédé par
ces sites au point de trouver tous les moyens pour avoir
toutes les informations qu’il désire, y compris visiter les
sites, même s’ils sont bloqués en les décodant. Pourtant, la
jeune maman a pris ses précautions. Chez elle, l’ordinateur
est installé dans le salon, ce qui lui permet de surveiller
en toute discrétion son fils Youssef, âgé de 12 ans.
Et si
par curiosité, il consulte un site pareil, elle est là pour
lui faire comprendre avec les mots ce qu’il doit savoir. «
Je suis convaincue qu’il doit comprendre cette relation très
forte qui lit une femme à un homme, que le sexe est quelque
chose d’important dans la vie d’un être humain », explique
Salma, issue d’une famille cultivée. Cette maman pense que
si ces sites sont bloqués, son fils ira chercher ailleurs et
pourra obtenir des informations erronées.
Une
façon à elle d’éduquer son fils que Ghorab juge trop ouverte,
voire à l’occidentale. Il donne comme argument les propos de
l’écrivain Galal Amin sur l’effet néfaste de l’invasion des
idées occidentales dans les pays arabes. « Si on se laisse
emporter par ces idées importées, nous ne ferons que suivre
l’Occident comme un troupeau », commente Ghorab avec colère.
Les
experts travaillant dans le domaine de l’informatique voient
que l’interdiction des sites pornos est une décision sage.
Bakir trouve choquant que de tels sites soient visités par
des Arabes et particulièrement des Egyptiens. « Une
statistique classe en première position les Egyptiens par
rapport au nombre de visite sur ces sites ». Un constat
choquant pour lui.
En effet,
les experts en télécommunications voient que la mise en
application d’une telle interdiction est difficile à
appliquer du point de vue technique. Pourtant, ceci ne les
empêche pas de prôner cette interdiction. Abdel-Latif Sabri,
travaillant dans une société d’informatique et ancien
officier de police, est totalement pour le fait de bannir
ces sites. Selon ses propos, ces sites pornographiques ne
sont pas étrangers à l’augmentation du nombre de viol en
Egypte. « Le mariage, l’abstention ou le jeûne sont les
solutions proposées par l’islam pour éviter la débauche. Car
écouter son instinct sexuel, c’est suivre le diable »,
commente Sabri.
D’ailleurs, cette décision, bien qu’elle ne soit pas encore
en vigueur, trouve son écho parmi les courants religieux qui
s’imposent à l’heure actuelle. Mariam, 24 ans, voilée,
confie que ces sites provoquent un choc à ceux qui n’ont pas
connu d’expérience sexuelle. « Si la jeune fille ou le jeune
garçon désirent une information, qu’ils se dirigent vers une
bonne source comme par exemple la célèbre sexologue Héba
Qotb. Personnellement, c’est ma mère qui se charge de mon
initiation et pour mon frère, c’est mon père qui s’en charge
», dit-elle en baissant la tête avec pudeur.
D’autres
estiment que le fait de bannir les sites pornographiques
risque de mener vers d’autres restrictions. Cela peut
s’étendre dans d’autres domaines tels que les œuvres
littéraires et artistiques, et ouvrir la porte aux courants
conservateurs pour faire plus de pression. Le cas de
l’Arabie saoudite et de la Tunisie qui interdisent un grand
nombre de sites pornos est la preuve que cette interdiction
a touché d’autres aspects de la vie.
Dans une
conférence qui a groupé les experts en Internet à Saqiet Al-Sawi,
les avis autour de l’interdiction de ces sites divergent. «
On ne peut pas arrêter tout progrès technologique. Un jour
Internet va contrôler tous les aspects de la vie jusqu’à
l’électroménager. Il est devenu impossible de faire face à
cette invasion », avance Mohamad Abou-Kreich, secrétaire
général de l’Association scientifique des ingénieurs de
communications.
Abou-Kreich est contre la pornographie, mais déteste la
censure. « Les parents ont la possibilité de bloquer
certains sites et ce, grâce à des programmes spécifiques.
Alors que pour les chaînes satellites pornographiques, il
suffit de payer un abonnement trimestriel d’une valeur de
300 L.E. pour ouvrir des chaînes interdites aux moins des 18
ans. Il suffira alors de zapper pour avoir accès à un film
porno », résume Hamdi Al-Assiouti, avocat et conseiller
juridique dans une ONG.
Mais
l’interdiction de ces sites ne semble pas changer les choses.
Les jeunes connaissent tous les moyens pour avoir des images
pornographiques. Sites Internet, chaînes satellites et CD
filent discrètement de main en main.
Les
romans photos, destinés au sexe comme Awdet al-cheikh ila
sebah (le retour du vieux à son adolescence) et Mozakkerat
Iva (les mémoires d’Iva) continuent d’être de best-sellers
depuis les années 1960.
« S’il
s’agit d’interdire les sites pornographiques pour protéger
les jeunes, tant mieux, mais il faut d’abord interdire les
vidéoclips qui diffusent des chanteuses à moitié nues sous
le nom de la modernité », dit Yasser, directeur dans un
cybercafé.
Le
propriétaire d’un autre cybercafé a été choqué un jour de
voir un homme âgé de 80 ans naviguer sur ces sites. « Il ne
savait pas que, de ma salle de contrôle, j’ai l’œil sur tous
les écrans. Nous lui avons fait savoir qu’il n’était pas
permis de consulter de tels sites chez nous, mais cela ne
l’a pas empêché de refaire la même chose, la fois suivante
».
Dina
Ibrahim