Nasser Loza,
psychiatre de père en fils, est le porte-parole des malades
montrés du doigt et laissés pour compte. Le directeur de
l’hôpital Behman, fondé par son grand-père, est l’auteur de
la récente loi sur la santé psychique qu’il a élaborée avec
toute son énergie.
Un
psy doublement libérateur
« Nous
avons enfin réussi à supprimer le mot fou de tous les
documents officiels ayant rapport aux malades psychiatriques
». Nasser Loza, responsable de la santé psychique auprès du
ministère de la Santé, est fier d’avoir réussi ce premier
pas visant, entre autres, à modifier la perception des
maladies mentales. Car en Egypte, la tendance est de refuser
aux minorités qui en sont victimes leurs droits comme
citoyens. La nouvelle loi de la santé psychique exige que le
malade choisisse — dans certains cas — d’être hospitalisé ou
de recevoir les soins nécessaires à domicile. Et si le
malade ne guérit pas à l’hôpital au bout d’un mois de
traitement, il peut bénéficier d’une surveillance médicale
et de consultations périodiques trimestrielles ou
semestrielles. Cela, jusqu’à pouvoir réintégrer pleinement
la société. Une manière de faire face à la volonté de
certains membres des familles des patients de les faire
interner pour de longues périodes, voire même de les mettre
complètement à l’écart. « Malheureusement, on trouve des
gens qui vivent depuis une cinquantaine d’années internés.
Parfois les parents qui l’ont mis à l’hôpital sont décédés
», raconte le psychiatre sur un ton désolé, marqué par le
fait que ces malades tombent dans l’oubli.
Nasser
Loza est plongé dans le monde de l’hôpital psychiatrique de
Behman depuis toujours. Son grand-père, le psychiatre
Beniamin Behman, en a été le fondateur. Vers la fin des
années 1950, Nasser Loza a vu le jour dans cet établissement
situé à Hélouan, sur une colline loin de la zone
industrielle. Il a donc vécu près des malades, appartenant à
une lignée de médecins qui ne les quittent jamais. Son
grand-père et son propre père habitaient autrefois là où
sont maintenant logés les médecins de l’hôpital. «
L’ancienne loi de 1944 sur la santé psychologique
n’envisageait pas qu’un malade psychiatrique puisse guérir
», lance Loza, évoquant les anciennes tentatives de son
grand-père d’utiliser l’insuline pour calmer ses patients.
Car le premier médicament visant à soigner les
hallucinations, le Largactil, n’est sorti en France
qu’autour de 1954.
Loza se
rappelle que l’hôpital Behman a continué à recourir à
l’insuline même après la sortie du médicament français. « Je
garde encore le rapport de l’Organisation mondiale de la
santé de 1959 qui évoque l’hôpital Behman, vantant ses
mérites et son côté inventif », dit-il avec un sourire,
ajoutant que l’insuline faisait entrer le patient dans le
coma et quelques heures après, le médecin injectait une
solution d’eau et de sucre directement dans l’estomac pour
le réveiller. Cette méthode n’avait qu’un effet calmant pour
dépasser les moments d’excitations nerveuses. Actuellement,
ce traitement n’est plus d’usage grâce aux nombreux
médicaments disponibles et visant à soigner la dépression,
la schizophrénie ou autres. Cette dernière maladie est
considérée comme la plus grave et la plus difficile à
surmonter, commente Loza, ajoutant : « Le schizophrène peut
rechuter à tout moment, même après des années de traitement
». Sa voix douce et posée est celle de quelqu’un qui ne veut
pas déranger son entourage, notamment les malades.
Cet
ancien élève du Lycée Français de Maadi se sent heureux et
très à l’aise dans son milieu. « Je trouve un vrai plaisir à
tendre la main à un malade qui a perdu la capacité de se
concentrer et de réfléchir ». Ce sentiment de satisfaction
lui procure l’énergie pour revendiquer les droits de ses
malades. Il mène une vraie lutte, depuis des années, afin de
changer la mauvaise image qui leur a de tout temps été
attribuée.
Loza
s’acharne à expliquer qu’une personne atteinte de troubles
psychiques se voit privée de son droit au logement, au
travail et au mariage. « La maladie psychique est
comme une tare, il suffit de savoir que cette personne a été
à l’asile ou qu’il était sous traitement pour que tout le
monde l’évite. Personne ne veut alors l’aider à vivre
normalement ». Loza s’indigne de tels agissements et
n’hésite pas à rappeler que chacun peut du jour au lendemain
souffrir d’une maladie psychiatrique. « C’est comme les
autres maladies : hypertension, diabète et cancer et ce
n’est pas contagieux ». Et d’ajouter : « J’étais
surpris pendant mon séjour à Londres par les attitudes face
aux malades psychiatriques. Un jour, dans un magasin, j’ai
vu comment le vendeur traitait un malade en toute patience,
alors qu’il avait du mal à se concentrer, qu’il était très
mal habillé et prenait son temps pour décider ou faire ses
calculs ». Le vendeur n’a pas prêté attention à Loza, alors
tiré à quatre épingles, et cela l’a vraiment marqué, se
disant que c’était une société civilisée respectant les
handicapés et les malades mentaux. « J’espère que les
changements en cours dans notre société seront à même de
changer l’image du malade psychiatrique, car c’est avant
tout un être humain ».
Loza est
optimiste quant au changement. Durant les 10 dernières
années, une attention nouvelle a été donnée aux besoins des
enfants handicapés par exemple. De même, Nasser Loza
souhaite pouvoir réformer la vision des gens, notamment
après la ratification de la nouvelle loi sur la santé
psychiatrique au Parlement au mois d’avril dernier. Selon
lui, en Egypte, prescrire un traitement pour un malade
psychiatrique relève uniquement du rapport patient-médecin,
il n’y a ni infirmière qualifiée ni assistant social
efficace. Tout se passe entre médecin et malade.
Malgré
les pressions professionnelles, Loza reste calme et serein.
Il sépare complètement vie privée et publique. « Toute
profession comporte des pressions. Moi, je suis né à Behman
et mon père à l’hôpital psychiatrique de Abbassiya. Alors on
a l’habitude ». Nasser Loza mène une vie stable auprès de la
femme de sa vie, Nadine, qu’il a rencontrée pendant leurs
études à l’Université du Caire. Plus tard, lui est parti à
Londres et elle en Allemagne. Pendant 13 ans, ils se sont
fréquentés et tentaient de créer des occasions pour passer
des week-ends ensemble en Europe. « 13 ans d’amitié avant le
mariage. Je n’ai aucun regret. On ne peut pas dire que l’on
ne s’est pas connu assez ». Son visage se détend, le
psychiatre rougit en parlant de sa belle moitié. Francine,
sa fille unique de 16 ans, est le fruit de ce mariage
heureux. « Je ne sais pas si elle veut devenir psychiatre ou
pas, mais je souhaite qu’elle soit heureuse », dit-il avec
une tendresse paternelle.
Malgré
ses diverses occupations, il trouve le temps de se consacrer
à sa famille et aux voyages. L’été dernier, il a fait une
longue croisière sur un bateau à voile. « Nous avons passé
quelques jours à l’île de Ré, à mi-chemin entre Nantes et
Bordeaux. Des vacances inoubliables, j’espère bien refaire
le même tour à nouveau ». Les grands espaces, l’horizon qui
s’étend à l’infini, c’est une nécessité pour Loza. Cela lui
permet de se recharger, pour reprendre sa lutte de plus
belle. Déjà, il a plus d’une vingtaine de recherches à son
actif, où il fait parfois références à l’époque pharaonique.
En 2001, il a effectué une étude sur Le marché illégal des
drogues dans le grand Caire. Il a fait appel à une
coopération étendue entre chercheurs, experts opérationnels
et preneurs de décision pour contrôler les drogues et
prévenir les crimes. « Ce travail collectif suffira à offrir
des informations complètes et précises pour donner suite au
travail des organisations internationales et des ONG locales
», assure Loza.
Dina
Ibrahim