Initiative.
«
Votre bureau à domicile » … telle est l’expérience lancée
récemment par le ministère du Développement administratif
afin de concilier entre travail et vie privée et augmenter
la performance et la productivité des fonctionnaires. Une
expérience qui ne fait pas l’unanimité.
Boulot et dodo ensemble
Adieu
les fiches de pointage, les embouteillages et les longues
heures de trajet ! C’est en dix secondes que Réhab se
retrouve à son bureau. Et pourquoi pas, puisque son lieu de
travail se trouve à quelques mètres de son salon. Assise
devant son ordinateur, elle commence par des tâches basiques,
ouvre son email, consulte le courrier du ministère, sort ses
dossiers, se balade avec son portable tout en décomposant
chaque tâche et progressant étape après étape. Réhab a
installé son bureau dans sa chambre : laptop, fax, téléphone,
étagère pour ranger ses classeurs. « J’ai tout ce qu’il faut
dans cet espace aussi réduit », dit cette fonctionnaire qui
travaille dans le domaine des relations internationales au
ministère du Développement administratif. Et bien que sa
journée commence en douceur, à 8h du matin, une heure avant
l’heure officielle du ministère, cela ne l’empêche pas de
temps à autre de jouer avec ses jumeaux âgés de deux ans ou
de s’attarder un peu devant la télé. Autrement dit, à la
maison, elle s’organise comme elle le veut, fait ses
recherches sur Internet, rédige son courrier, donne des
coups de fil et respecte son deadline comme si elle se
trouvait à son bureau au ministère. « Le travail à domicile
me permet une grande liberté d’organisation, je me sens plus
productive, plus à l’aise. Je choisis mes horaires de
travail, je ne subis pas toutes les incommodités de la
circulation et du transport, et cela me permet d’avoir les
yeux sur mes enfants », explique-t-elle. Et d’ajouter : «
Attention ! Côté planning, tout n’est pas rose, il arrive
que les journées s’allongent (parfois jusqu’après minuit),
que les week-ends s’abolissent, que la frontière tombe entre
temps professionnel et privé. Si je me mets moins vite au
travail, si j’accepte une mission de trop, le temps d’abord
libéré s’évanouira. Il est vrai qu’à la maison, on est
maître de son temps, mais ça ne veut pas dire qu’on ne doit
pas instaurer un système d’organisation ». Un système adopté
par Réhab, et qui lui a valu le titre du fonctionnaire
exemplaire à deux reprises.
En fait,
tout a commencé il y a deux ans et demi, lorsque Réhab est
tombée enceinte. Au quatrième mois de grossesse, son
gynécologue lui a conseillé de ménager ses efforts et
d’éviter de se rendre au travail si elle veut garder ses
jumeaux. Un gros problème pour Réhab qui habite à la ville
du 15 Mai et dont le boulot se trouve au quartier de Salah
Salem. « Chaque jour, je devais descendre à 7h du matin pour
arriver au moins à 8h30 au travail, faire de l’acrobatie
pour trouver un taxi, prendre le microbus et enfin le bus.
Trois moyens de transport pour me rendre au boulot et trois
autres pour revenir à la maison. Sans compter les 300 L.E.
que je dois dépenser chaque mois pour le transport »,
soupire-t-elle au milieu des feuilles volantes étalées sur
le canapé et la table basse du salon. Face à l’état de santé
de sa femme, le mari a décidé qu’elle ne se rendrait plus au
travail. Du coup, Réhab a informé son patron de son état de
santé. Ce dernier lui a proposé de continuer à faire son
travail à partir de la maison. « Pouvoir concilier entre mon
boulot et ma vie familiale est la chose à laquelle
j’aspirais. Et grâce au soutien de mon patron, Amani Essawi,
et à l’esprit ouvert du ministre le Dr Ahmad Darwich, ce
rêve est devenu une réalité », dit-elle.
Les
femmes d’abord
Or,
Réhab n’est pas la seule à travailler à partir de chez elle,
mais plutôt la première fonctionnaire sur laquelle a été
appliqué le système du travail à domicile. Une initiative
lancée tout récemment par le Dr Ahmad Darwich, ministre du
Développement administratif, et qui porte le slogan « Votre
bureau à domicile ». Et ce, pour offrir une opportunité de
travail à un plus grand nombre de femmes, et surtout pour
profiter du système du gouvernement électronique et la
hausse des usagers, dont le nombre atteint actuellement les
15 millions de personnes, soit environ 20 % de la population
égyptienne. Apparu il y a quelques années dans les pays
occidentaux, le travail à domicile touche à l’heure actuelle
plusieurs institutions dans les quatre coins du monde. Et ce,
pour les nombreux avantages qu’il représente.
Les
avantages du système
Les
employés à domicile sont attirés par ce nouveau système de
travail car il permet de réduire les frais et le temps de
déplacement ainsi que les dépenses qu’exige une vie active
quotidienne, à savoir habillement et transport. Il a été
constaté que le rendement du travail à domicile est
nettement supérieur que celui fourni par un employé au sein
de l’entreprise. La raison : pas de temps improductifs
(pauses, absences, temps mort, travail inutile, erreurs
...). Tout cela est réduit à néant. Il est donc prévu que de
plus en plus d’employés vont délaisser leur bureau au profit
d’un travail à domicile, même si ce dernier n’occupe encore
qu’une part relativement faible de la population active. Une
tendance à la hausse en comparaison avec le travail
temporaire où le fonctionnaire touche à la pige.
Evolution historique
«
D’ores et déjà en plein essor, le travail à distance va être
dans les prochaines années une des formes courantes
d’activité professionnelle. Les évolutions économiques (coût
du transport, coût de l’immobilier), les aspirations
individuelles (besoin de liberté et envie de temps), ainsi
que les progrès techniques (mise en réseau des moyens de
productions via Internet) nous mènent au développement
naturel du travail à domicile. Pourquoi donc ne pas
l’appliquer en Egypte ? », souligne Nasser Fouad, conseiller
médiatique du ministère du Développement administratif. Et
d’ajouter : « Peu importe que le fonctionnaire se trouve à
son travail ou pas, l’important est qu’il soit productif. Et
une telle productivité ne peut être réalisée avec les
problèmes de transport, d’embouteillage et de trafic
intense. Une perte de temps, d’énergie et de productivité
aussi bien pour l’employeur que pour le fonctionnaire ».
D’après lui, cette initiative a été appliquée seulement à
une dizaine de fonctionnaires au ministère comme une
expérience, et au fur et à mesure, elle peut être adoptée
par plusieurs institutions et organisations, surtout dans le
domaine de l’édition, de l’informatique, de la programmation,
du webmastering et de la traduction. Autrement dit, le
travail à domicile ne peut pas convenir à tous les emplois,
comme ceux qui sont en contact direct avec le public tels
que les guichetiers, les agents de sécurité, les médecins,
les professeurs, etc. Et pour réussir une telle expérience,
éviter toute corruption ou paresse, il était important de
mettre des critères pour que le travail à domicile soit pris
au sérieux. « Pas question d’accorder ce genre de boulot à
n’importe qui. C’est au patron de décider et de choisir le
fonctionnaire qui va travailler chez lui ou se rendre à son
travail. Et le baromètre qui détermine si ce dernier mérite
un salaire est sa productivité et la qualité de son travail,
et ceci ne peut être évalué que par le patron ou le chef
d’entreprise. Et pour empêcher les dépassements qui se font
au cours des évaluations sur la productivité et sur
lesquelles la plupart des travailleurs obtiennent les 100 %,
il faut trouver une méthode plus efficace pour le cas de
ceux qui travaillent à domicile. Compter le nombre de pages
livrées par un traducteur ou celui des plaintes étudiées par
le chercheur juridique peut être une méthode à appliquer »,
explique Nasser, tout en ajoutant que cela nécessite
généralement du matériel d’informatique et de communication
plus performant. Se déroulant entièrement à domicile et loin
des yeux des managers, ce type de travail à domicile
présente le risque de voir la vie privée prendre le dessus
sur le travail.
Ne pas
avoir son patron sur le dos
Pour
Marianne, qui travaille dans la section des relations
publiques au ministère du Développement administratif, le
travail à domicile permet non seulement à la femme de
concilier son rôle de mère et le besoin de travailler, mais
aussi de faire son boulot avec le minimum de stress et sans
être contrainte par le temps. Pour elle, choisir de
travailler à domicile accentue chez elle ce sentiment
d’indépendance.
En
effet, si certaines personnes ont besoin d’être surveillées
par un supérieur pour accomplir convenablement le travail,
d’autres, au contraire, n’ont pas besoin de cela. La
pression hiérarchique les inhibe au lieu de les motiver. Ces
personnes ne peuvent s’épanouir au travail autrement que
dans la liberté. Le travail à domicile est alors la solution
pour ne plus avoir de « patron sur le dos ».
C’est
aussi la possibilité de choisir ses horaires de travail. «
Par exemple, beaucoup de personnes sont plus productives de
9h à 13h et de 20h à minuit, et se laissent aller de 13h à
17h (le coup de barre de l’après-midi). Ainsi, pourquoi ne
pas sortir des horaires de bureau classiques pour choisir
des horaires adaptés à son propre rythme et être plus
efficace ? », se demande Marianne, tout en ajoutant qu’un
tel système a épargné à beaucoup de fonctionnaires le fait
de fuir leur bureau en se contentant seulement de pointer
pour se rendre à un autre boulot.
Réserves
et failles
D’ailleurs, les experts en développement humain ne partagent
pas le même avis. Ils pensent que le travail à domicile est
une méthode qui demande une grande résistance, une capacité
d’autonomie et d’organisation pour être en mesure d’assurer
toutes les tâches et d’assumer toutes les responsabilités en
même temps. Une méthode qui convient à être appliquée en
Occident et non pas en Egypte où le fonctionnaire n’arrive
pas à répartir les activités entre les tâches
professionnelles et les obligations familiales. « Chez nous,
il n’existe pas l’autodiscipline. L’employé n’effectue pas
son travail dans son bureau, pourra-t-il alors le faire à
partir de chez lui ? ».
De plus,
ce système contredit la loi 47 pour l’année 78 qui instaure
des mesures strictes pour tous les fonctionnaires concernant
la présence, l’absence et les congés. D’après le Dr
Moustapha Hussein, beaucoup de fonctionnaires ne savent pas
encore utiliser la technologie moderne. « Cela ne sera donc
qu’un moyen légitime pour faciliter la fuite des employés et
cela encouragera à la paresse et au chômage déguisé »,
dit-il.
Mais
certains fonctionnaires rejettent l’idée du travail à
domicile. Sami Abdel-Fattah, qui travaille au ministère de
la Justice, voit que cette méthode convient beaucoup plus
aux femmes mariées. « Mais pour un homme, le fait d’aller au
travail donne du goût à la vie. Aucun de nous n’accepterait
de travailler à la maison. Nous ne sommes pas des femmes »,
lance-t-il. Quant à Afaf Ragab, elle voit les choses
différemment. Selon cette fonctionnaire, le travail au
bureau est indispensable pour elle. « Se rendre au travail
constitue toute une vie sociale, surtout que je ne sors pas
beaucoup, je n’assiste pas aux cérémonies et je ne suis pas
abonnée dans un club. Bref, mon travail est toute ma vie et
le lien avec le monde extérieur », conclut Afaf qui ne nie
pas que le travail est aussi son seul moyen de trouver un
mari.
Chahinaz Gheith