Al-Ahram Hebdo, Littérature | Les demeures de la fin
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 24 au 30 juin 2009, numéro 772

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Littérature

Ahmad Waly, dans un humour noir et avec une pointe de philosophie, se joue des vivants et des morts et relate la condition des hommes envahis dans l’angoisse du quotidien et la finitude de la vie. Nous publions les débuts de son nouveau roman Diyar al-akhera.

Les demeures de la fin

1

Le jeune Mohsen est le chouchou de sa mère. C’est un fils unique ayant cinq sœurs … Pour ses leçons particulières, sa mère a vendu la moitié de ses terres. Elle voulait en faire un médecin qui la soutiendrait dans sa vieillesse et qui protégerait ses sœurs !

Il était petit de taille et portait des chaussures à hauts talons afin de paraître plus grand qu’il ne l’était. De plus, il ne se coupait pas les cheveux, si bien que les femmes de la rue du Bahr le surnommèrent « le gamin à la frange ». Il portait d’habitude un pantalon à la coupe charleston et se laissait pousser les favoris selon la mode des Beatles de l’époque !

Le jeune Mohsen frappa, après la prière du soir, à la porte du Cheikh Ali pacha, croque-mort du village. La petite Amira apparut :

— Mon oncle le cheikh est là.

Elle disparut à l’intérieur rapidement en hurlant

— Papa … Papa … Le docteur, notre voisin, le fils de la hajja, la mère de Mohsen.

Le cheikh Ali sortit en se frottant les yeux et en résistant au sommeil :

— Qui est-ce, fille ?

Elle chuchota :

— Le Dr Mohsen.

— Bienvenue, docteur, entrez …

Il prononça ces mots en demandant à Dieu qu’il n’en soit pas ainsi (car il n’existe pas dans sa demeure d’endroits pour recevoir les invités). Il souhaitait que le Dr l’informait rapidement des raisons de sa visite … Mais justement si Mohsen avait l’intention de prolonger sa visite !

Le cheikh cherchait des yeux un reste de paillasson pour l’étendre parterre à côté de la cruche d’eau, tout en tirant son cafetan pour cacher une longue déchirure (tel un membre qu’on avait l’habitude de cacher) et il appela la plus âgée de ses filles.

Mohsen entra, alors qu’il se prenait les jambes dans la grande ouverture de son pantalon, dans l’obscurité de la salle (lui qui avait l’habitude de l’électricité), à la suite du cheikh Ali tandis que sa fille portait la lampe à gaz.

— Un verre de thé, pour l’amour de Dieu, ma fille, pour monsieur, le docteur, vite Sayédate !

— Merci, Am cheikh, je vous remercie beaucoup, je suis pressé. J’ai deux mots à vous dire sans trop tarder.

Il demanda à ses trois petites filles, qui guettaient le médecin de l’avenir, de s’en aller et il se mit à entendre longuement les propos du jeune homme, le regard distrait et l’esprit et la raison ailleurs, ahuri par ce qu’il lui parvenait !

— Comment, docteur ?

— La nuit de l’enterrement d’un pauvre ou d’un étranger sans famille, nous retirons le cadavre à l’aube, nous accomplissons notre travail mes amis et moi pendant deux ou trois jours, puis nous vous le restituons pour que vous l’enterriez à nouveau !

— Mais les vers vont l’envahir de toute part.

— Nous prenons nos dispositions pour ce genre de choses … Il y a un produit, la Formaline, capable de conserver un cadavre durant des mois et pas seulement des jours.

— D’accord, je ne parle pas de la conservation, mais si on est pris, il n’y a pas de pitié, on nous mettra en prison, c’est sûr !

— Qu’est-ce qui ferait qu’on soit pris ?

A ce moment, Amira entra en hurlant alors qu’elle portait un bout d’un vieil édredon en haillons, envahi du sang des petites bêtes qui l’ont habitée. Il n’était pas comme tous les édredons fourrés de coton (mais de bouts de tissus et des restes des usines de textile) et Sayédate accourait derrière elle en essayant de lui retirer le reste de l’édredon.

« Cette fille, qui n’est pas plus grande que trois pouces, a le culot de prendre le grand morceau, alors avec quoi je vais me couvrir, moi ? ».

— Regarde, Dr Mohsen, tu es notre voisin et ton père m’était très cher, et tu sais sans doute comment je vis, de compassion et de charité. Mes enfants lorsqu’ils trouvent un pain dans le panier, ils le cachent les uns aux autres sous le matelas ou sous la fenêtre pour parer à la faim de la nuit … Voilà, tu as vu l’histoire de l’édredon. Leur matelas est fait de paille de riz et de jute … Toi, tu te nourris de plein de bonnes choses, de poulets, de viande et de pâtes. Des choses dont mes filles n’ont jamais entendu parler, ni jamais ne les ont vues. Tu sais, s’il nous arrive de posséder de grands sacs de riz venus de la charité des paysans, je cuisine le riz petit à petit pour qu’il puisse nous suffire l’année entière. Je le partage entre eux dans des verres. J’ai suivi le conseil de ton oncle, Mahmoud Al-Montazem, que Dieu ait son âme, qui tissait les guéridons de la mosquée. Il m’avait dit : « Ali, mon frère, nos enfants sont nombreux et nous possédons peu d’astuces … Partage le riz dans des verres, nous ne pouvons pas avoir le luxe de le diviser dans des assiettes, comme le reste des humains … ». Et le seul garçon qui était censé m’aider à élever ce tas de chair … Tu le sais mieux que moi … Enfin, c’est pour te dire que malgré ma gêne et mon besoin de tout millième, je ne vais pas pouvoir t’aider … Tout sauf ce que tu me demandes, « si » Mohsen … Tu as été le bienvenu !

Et avant que Mohsen ne cherche de ses yeux (qui s’étaient habitués à l’obscurité de la salle) un endroit éloigné de la paillasse pour éteindre sa cigarette Marlboro, il fit signe au cheikh de prendre son temps avant toute décision et de réfléchir sans se hâter.

— Prenez votre temps pour réfléchir … Moi aussi je vais vous laisser du temps, et je reviendrai vous voir … Il y a dans ce boulot du blé qui va vous mettre dans une situation plus aisée … Vous savez, les jeunes de la fac de médecine sont riches et ils sont des fils de grandes familles très aisées … Vous voyez, je vis dans une grande et spacieuse demeure, nous possédons de la terre et je circule dans une auto qui m’appartient, pourtant, je suis le plus pauvre d’entre eux … Deux jours et je reviendrai vous voir … Salut!

Traduction de Soheir Fahmi

Retour au sommaire

Ahmad Waly

Il est né à Charqiya (précisément au village de Hahya), en 1955. Médecin, il nourrit en parallèle une passion pour l’écriture qu’il a commencée timidement depuis les années 1980. Son talent, qui n’a pas été apprécié jusqu’à présent à sa juste valeur, réside dans son penchant pour le monde marginal de la campagne. Son langage qui varie entre patois et langage cru, et surtout son humour, rappelle l’écrivain Mohamad Moustagab. Mais il y va au-delà en fondant tout son univers sur le paradoxe et l’ironie des récits journaliers qui se déroulent à Sharie al-bahr (la rue de la mer). Après un recueil de nouvelles à compte d’auteur Salass chameat lilnahr (trois bougies pour le fleuve) en 1987, son deuxième recueil de nouvelles Al-Motanassetoune (les voyeurs), qui a été publié aux éditions prestigieuses de Riad Al-Rayyes à Beyrouth en 2001, a été vite confisqué. Cette œuvre remarquable a pourtant choqué les tenants des bonnes mœurs, il y suit les traces d’un monde clandestin, dans lequel les personnages frustrés et oisifs sont atteints de voyeurisme, brusquant la vie intime des autres. Puis, deux romans, Hékayat min charie al-bahr (des histoires de la rue de la mer) aux éditions Merit, en 2005, et Diyar al-akhera (les demeures de la fin) aux éditions Al-Dar, en 2009.

 

 

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.