Fayoum.
Au village de Tounès, en plein développement durable, les
habitants conjuguent leurs efforts afin de créer une ONG
pour améliorer les conditions de vie, protéger la nature et
conserver l’environnement.
Mobilisation citoyenne
Au
cœur du gouvernorat du Fayoum, dans une des régions qui a vu
naître une des plus vieilles civilisations humaines, en haut
d’une des collines qui bordent le lac Qaroun, se dresse le
village de Tounès. Sous ses airs de village comme les autres,
Tounès ne manque pas de personnalité. Le village connaît un
développement économique durable avec un centre de poterie
connu dans le monde entier, une écolodge ainsi qu’un centre
équestre bien connu des Cairotes.
Mais
Tounès est aussi un lieu de rencontre des amateurs d’oiseaux,
car le lac Qaroun est un point de passage unique pour de
nombreux oiseaux migrateurs, une richesse naturelle qui lui
a valu d’être classé IBA (Important Bird Area), une
reconnaissance mondiale. Cette richesse naturelle, le
village commence à en tirer une richesse économique grâce à
une ONG italienne qui a formé des habitants à la
reconnaissance des oiseaux dans le but de développer le
tourisme durable.
Ainsi,
Tounès n’est pas un village oublié du développement,
dépourvu de richesses propres. Ce développement prend même
des formes inattendues. Dernière initiative de ces habitants
qui ne manquent pas d’énergie : la création d’une ONG pour
améliorer les conditions de vie de tous les habitants et
contribuer à la protection de leur environnement.
Une ONG
au service du développement durable
Les
citoyens de Tounès ainsi que de nombreux résidents de la
ville venus du Caire construisent actuellement ensemble une
ONG avec la volonté d’impulser une dynamique de
développement durable et équitable dans le village et ses
alentours et mettre en commun les savoirs de chacun pour
permettre un mieux-être à tous les habitants du village.
Ainsi scientifiques, agriculteurs, médecins et entrepreneurs
ont accepté de travailler ensemble pour améliorer la vie
dans le village au service des habitants, du plus pauvre au
plus riche.
Plusieurs groupes d’action ont été créés sur des thèmes
aussi variés que la question de la valorisation des déchets
qui détruisent la région, la pollution du lac qui se révèle
dramatique, la question des eaux usées ou encore la
résolution des problèmes basiques des habitants de Tounès
comme celui d’avoir accès à une eau potable saine. Le
village voit naître un mouvement de citoyens prêts à
s’engager ensemble, en oubliant clivages de condition, de
nationalité et de religion, avec en commun un amour
véritable de ce petit bout de nature et d’histoire qu’est
Tounès.
Ce
dernier devient ainsi un exemple remarquable de solidarité
entre les citoyens du même village, preuve qu’en Egypte, des
citoyens sont prêts à donner de leur temps et de leur argent
pour permettre à tous les citoyens de vivre mieux.
Des
menaces sur les équilibres naturels et humains
Cependant, les équilibres humains ancestraux patiemment
construits durant des siècles et les équilibres de la nature
que des millénaires d’histoire ont façonnés sont maintenant
menacés d’une destruction irrémédiable. Aux menaces
classiques qui pèsent depuis plusieurs dizaines d’années sur
la région de Tounès, comme la pollution des eaux du lac ou
le manque de gestion des déchets non-organiques, s’ajoutent
de nouvelles menaces plus terribles : celle des
constructions récentes en béton armé dans les alentours
directs du lac.
La
récente ONG souhaite ainsi aider les nouveaux arrivants à
construire en respectant les traditions locales en matière
de construction ainsi que les équilibres naturels en
employant les savoirs des constructeurs locaux, alliant
ainsi développement durable et développement économique des
locaux. Comme le rappelle Ali Fahmi, un des responsables de
ce mouvement de citoyens, « souvent les constructeurs
détruisent des richesses naturelles et défigurent les
paysages sans même le savoir. L’ignorance est la première
fautive ».
Beaucoup
plus inquiétant que les installations individuelles, un
immense complexe de tourisme de luxe avec des terrains de
sport, un relais de chasse, une installation de sport
nautique ainsi que de très nombreuses résidences
ultra-luxueuses sont en construction. Ce complexe développé
par la société égyptienne Orascom représente une menace pour
les équilibres naturels dans cette zone classée « réserve
naturelle » au niveau national et Important Bird Area au
niveau mondial. Ali Fahmi s’interroge : « Comment est-ce
possible que le ministère ait pu donner à certains
développeurs des permis pour des constructions massives dans
cette zone déclarée protégée en raison de sa grande
biodiversité ? Cela semble en directe violation et
contradiction du concept d’aire naturelle protégée ». En
effet, la disparition des zones de marais autour de Tounès
pourrait représenter la disparition totale des oiseaux
migrateurs. L’Egypte perdrait ainsi une de ses ressources
naturelles les plus exceptionnelles.
Ce
complexe représente aussi une menace pour les équilibres
humains. La pêche mais aussi le tourisme durable
compteraient parmi les premières victimes de la construction
du complexe. A terme, c’est toute la dynamique de
développement durable du village qui est menacée. Comme le
remarque une résidente qui travaille sur la question avec
Ali Fahmi : « Les pêcheurs ne pourront bientôt plus accéder
librement au lac à cause de toutes les constructions. Quant
au tourisme, qui voudra encore venir quand tout sera bétonné
et que les oiseaux migrateurs ne viendront plus ? ».
Ce
complexe apportera-t-il le développement durable à Tounès et
aux villages alentour comme semblent le promettre ses
promoteurs ? Rima en doute : « Il est peu probable que les
promoteurs emploient les bras ou le savoir des constructeurs
de Tounès, ils importeront leurs propres matériaux ainsi que
leurs propres ouvriers ». Quant à employer des locaux dans
la gestion du complexe, cela semble presque impossible,
étant donné les pré-requis (expérience, maîtrise de la
langue anglaise …) pour travailler dans des complexes de
luxe.
Ainsi,
pour ne rien gagner en échange, le village de Tounès risque
bien de perdre sa richesse, sa beauté et son développement
économique durable. Tounès, qui est actuellement un village
particulier plein de caractères, risque bien de devenir un
de ces nombreux villages qui survivent en périphérie des
lieux de tourisme de luxe.
Les
folies du temps présent, des édifices construits pour donner
à quelques hommes de très éphémères jouissances, menacent
d’une destruction totale ce que la nature a construit durant
des milliers d’années dans cette petite partie du monde
considérée par beaucoup d’historiens comme un des berceaux
de la civilisation humaine.
Le
citoyen peut-il accepter que pour quelques plaisirs
personnels, des richesses naturelles, humaines et
historiques soient anéanties, irrémédiablement perdues ? Les
citoyens qui se mobilisent ne le croient pas, et ce n’est
pas pour préserver leur propre bien-être qu’ils travaillent,
mais pour que la beauté demeure pour les nombreuses
générations qui les suivront sur cette terre qui a vu naître
ce qui constitue notre bien le plus précieux : notre
humanité.
Martin Durigneux