Damanhour.
Depuis peu, cette grande ville de la Basse-Egypte
s’enorgueillit de posséder son propre Opéra. Une superbe
bâtisse datant de l’époque du roi Fouad dont la restauration
vient d’être achevée. Vendredi dernier, les fans de musique
se sont mis sur leur trente et un pour assister à un concert
de chant arabe.
L’Opéra à la vedette
Assister
à une soirée de chant ou à un concert dans un bâtiment d’une
architecture royale, c’est désormais le grand événement pour
les habitants de la ville de Damanhour dans le gouvernorat
de Béheira. D’habitude, ils doivent parcourir des dizaines
de kilomètres pour voir un nouveau film au cinéma ou
profiter d’une pièce de théâtre. La ville ne possède qu’un
seul cinéma qui a ouvert ses portes il y a quelques mois. Un
cinéma d’allure modeste et qui n’assouvit pas les besoins
d’un public assoiffé de divertissement. La plus importante
ville de la Basse-Egypte a depuis peu son Opéra, situé au
centre de la ville. Aujourd’hui, Damanhour connaît une
agitation inhabituelle, un va-et-vient incessant de citoyens,
une présence sécuritaire inhabituelle, des voitures qui
arrivent de partout. C’est le premier jour du programme
culturel de l’Opéra pour le mois de juin dans la ville qui a
jadis connu des moments fastes. C’est le roi Fouad qui a
érigé le bâtiment qui abrite l’Opéra actuel où se trouvent
un théâtre, un cinéma et une bibliothèque, source de
rayonnement à Béheira, en 1930. Un bâtiment dont les années
ont effacé tout signe de vie culturelle, jusqu’au jour où il
a été restauré par le ministère de la Culture et a rouvert
ses portes en mai dernier. Une restauration qui a transformé
ce tas de ruines où des insectes, des rats et de serpents
ont trouvé abri, en une belle bâtisse authentique, digne
d’être le troisième Opéra du pays après ceux du Caire et
d’Alexandrie.
Le jour
de la première soirée d’Opéra annoncée à Damanhour a été un
jour pas comme les autres. Les familles ont réservé des
billets d’avance et toute la ville s’est embellie pour
accueillir ses visiteurs.
Aujourd’hui,
c’est le chanteur Hani Chaker qui anime la soirée aux
rythmes d’une musique arabe authentique, accompagné par la
troupe Abdel-Halim Noweira. Une nouveauté, selon Ghada et
Imane, que Damanhour n’a pas vécue depuis des lustres. « Un
tel récital de chants n’a pas été organisé dans notre ville
depuis longtemps », lancent les jeunes étudiantes
universitaires, fières d’avoir eu l’opportunité d’assister à
une soirée animée par Hani Chaker et de découvrir l’Opéra à
Damanhour.
Dès que
l’on pénètre dans la ville et jusqu’à la place Al-Saa (la
montre), surnommée place de l’Opéra après sa restauration,
la ville semble en état d’euphorie. Des hommes costumés, des
femmes, en tenues de soirée, bien maquillées affluent vers
l’Opéra, illuminé pour l’occasion. D’autres familles plus
humbles et tenant des enfants par la main sont venues
assouvir leur curiosité et assister à cet événement qui n’a
pas empêché quelques citoyens habillés en djellabas
d’assister à la soirée et s’extasier devant la voix de Hani
Chaker. Et malgré le manque de publicité, les billets de la
première soirée ont été tous écoulés et la salle qui
comporte 450 sièges est presque au complet. Des billets
vendus entre 15 et 35 L.E. et à la portée de tout le monde.
Samir
Michael, comptable, est arrivé avec sa femme Amal et son
fils Kyrollos, 16 ans, pour jouir de cette soirée de musique
arabe, comme le dit ce père de famille. Quant à son fils, il
confie être au comble de la joie d’avoir l’opportunité
d’assister à un récital de son chanteur préféré Hani Chaker.
« Je n’arrive pas à croire que je vais le voir en chair et
en os et l’entendre chanter ici à Damanhour », dit le jeune
Kyrollos, qui semble être différent des jeunes de son âge
qui ne sont pas intéressés d’assister à cette première
soirée à l’Opéra, étant donné que leurs chanteurs préférés
n’y sont pas. « Nous voulons la star Tamer Hosni », demande
Ahmad Al-Saadani, jeune officier, qui est là pour assurer la
sécurité. Un autre confie qu’à Damanhour, seuls les
chanteurs populaires font tabac. « Si l’Opéra programme de
faire venir Baarour, Saad Al-Saghir ou Ossama Abdel-Ghani,
tous les jeunes ne rateront aucune soirée », dit Islam, qui
a été tout de même ébloui par le chanteur Hani Chaker
lorsqu’il a fait son apparition dans la cour de l’Opéra, au
volant de sa 4x4. « C’est quand même une star qui est venue
à Damanhour », dit l’un des jeunes devant le portail de
l’Opéra qui fait découvrir ce monde étrange à la ville. Et
avant que la soirée ne commence, la salle s’est transformée
en une ruche d’abeille. Les préparatifs avaient commencé
depuis 15 jours. Un décor classique qui fait rappeler les
belles soirées d’antan, mis en place par Mahmoud Haggag et
des techniques de son bien choisis et élaborés par Achraf
Abdel-Mohsen, qui assure que cette technologie nouvelle de
son peut servir à tous les genres de spectacles, y compris
pour la diffusion de films et de vidéo CD. De quoi attirer
le public et affiner son goût pour pouvoir accueillir les
mêmes programmes que l’Opéra du Caire et d’Alexandrie, et ce
pour habituer petit à petit les citoyens de Damanhour à
fréquenter ce lieu de rayonnement culturel, comme l’explique
Hassan Kami, conseiller artistique de l’Opéra. A 21h pile,
la soirée commence avec l’apparition de Hani Chaker sur
scène aux rythmes de la musique arabe, qui a créé une
ambiance euphorique, mais aussi patriotique dans la salle,
puisque le chanteur a commencé par une chanson patriotique,
afin de stimuler l’enthousiasme des auditeurs.
Maîtrisant
la scène et faisant un bon choix de ses chansons les plus
romantiques mais aussi celles du Rossignol brun, Abdel-Halim
Hafez, et de l’Astre de l’Orient, Oum Kalsoum, Chaker a pu
en quelques minutes épater le public. Des applaudissements,
des sifflements et des propos admiratifs fusent de la salle,
certains même réclament à la star une de leurs chansons
préférées, comme Keda bardo ya amar, qui fait partie d’un
ancien album et qui a enflammé le public. Une extase et un
enthousiasme sans pareil s’emparent du public dès
l’enchaînement des premières notes musicales d’une des
chansons à succès de Abdel-Halim Hafez. Beaucoup ont
l’impression d’assister à une soirée de Abdel-Halim, comme
le dit Héba, étudiante venue accompagnée par ses parents
pour goûter à cette ambiance. « Ceux qui disent que les gens
ne veulent pas écouter la belle musique et le vrai art ont
tort. Aujourd’hui, nous sommes ravis. Il y a toujours un
public qui apprécie l’art raffiné », dit la jeune fille,
prise par l’ambiance romantique, tandis que d’autres ont
saisi l’occasion pour envoyer des messages d’amour
discrètement à leurs bien-aimés. Deux heures se sont
écoulées, la soirée tire à sa fin mais le public ravi ne
semble pas vouloir quitter la salle. « C’est du fine, de la
classe », dit Nachaat Essawi, fonctionnaire, venu avec sa
femme et ses deux filles de 9 et 7 ans. Lui, comme beaucoup
d’autres, refuse de quitter l’Opéra avant de voir sortir le
chanteur Hani Chaker et le saluer. La famille de Nachaat a
beaucoup apprécié cette ambiance à l’Opéra. « C’est le seul
endroit où je peux laisser ma famille se rendre seule », dit
Nachaat. Azza, sa femme, aimerait que pour la prochaine fois,
l’on programme sa chanteuse préférée Chérine qu’elle adore.
Quand aux responsables de l’Opéra, ils affirment que ce
n’est qu’un début. « Commencer avec des chants arabes,
ensuite intégrer des spectacles de ballets ou quelques
opérettes, avec des traductions et des explications pour
mieux initier le public de Damanhour aux nouveautés, mais à
petites doses », explique Kami. Des aspirations qui ne
semblent pas plaire à une bonne tranche du public, qui pense
que des ballets ou des opérettes ne seront pas beaucoup
appréciés par le public de Damanhour. « C’est compliqué, il
faut faire parvenir Mohamad Fouad ou Ihab Tawfiq pour gagner
un public plus jeune », dit Aymane, d’une vingtaine d’années.
Quant à Salwa, enseignante, elle pense qu’un public c’est
souvent bigarré et, qu’avec le temps, les gens vont
s’habituer à des styles d’art raffiné. « C’est le but de
l’Opéra, affiner les goûts. C’est une question de temps »,
dit Sanaa Bargach, conseillère de la femme au PND à
Damanhour, ravie par cette belle soirée.
Mais
l’Opéra continuera-t-il à éblouir le public de Damanhour
avec son programme, ou devrait-il se plier au goût d’une
bonne tranche de jeunes qui attendent impatiemment une
soirée cool organisée pour leur idole Tamer Hosni ou
d’assister à une soirée animée par le célèbre Saad Al-Saghir
? Des jeunes qui, cependant, ont entouré la star Hani Chaker
à sa sortie de l’Opéra et ont même suivi sa voiture en
répétant son nom.
En
attendant d’autres soirées et malgré les divergences, tout
le monde assure que cette parenthèse culturelle a mis de
l’ambiance dans la ville, devenue plus attrayante aux yeux
de ses habitants.
Doaa
Khalifa