Hagop Pakradounian, député du parti du Tachnag (arménien) au Liban, et allié de l’opposition qui a perdu les élections législatives, évalue les moyens de former une coalition gouvernementale.

« Le Liban ne peut être géré selon le principe de la majorité et de la minorité »

Al-Ahram Hebdo : Quelle est votre lecture des résultats des élections parlementaires ?

Hagop Pakradounian : Je voudrais assurer que le Liban a effectué un pas important sur la voie de la démocratie et de la stabilité. Aujourd’hui, la scène politique au Liban se caractérise par moins de crispation et par un discours modéré de la part de toutes les factions. Un seul courant ne peut contrôler le pouvoir, même s’il a remporté les élections. Au Liban il y a un avantage, c’est que tout est réglé par le dialogue et la coexistence.

— Reconnaissez-vous que l’opposition a perdu aux élections ?

— Oui, je le reconnais avec toute modestie. Cependant, je continue à dire qu’au Liban il n’y a ni majorité ni minorité, c’est un pays qui doit être dirigé par l’entente, par la représentation de toutes les factions et par la formation d’un gouvernement d’union nationale.

— Est-ce que l’opposition tient toujours à la « minorité de blocage » si elle participe au nouveau gouvernement ?

— Jusqu’à maintenant, l’opposition n’a pas adopté de position finale, il y a seulement des propositions. Pour ce qui est du parti du Tachnag, nous préférons qu’il y ait au gouvernement une minorité de blocage détenue par le président de la République, afin de renforcer la présidence. Et cette minorité doit avoir la capacité de pratiquer les missions de ce poste de façon à réaliser l’équilibre aspiré au Liban.

Je suis très optimiste envers les déclarations de Saad Al-Hariri, de Hassan Nasrallah et de Walid Joumblatt. Si nous aspirons à un gouvernement d’entente, la formule de la minorité de blocage doit être respectée. Nombreux estiment que cette formule devra figurer parmi les prérogatives du président de la République, et le général Michel Aoun accepte cette proposition à condition qu’elle soit approuvée par un texte constitutionnel afin de garantir sa continuité.

Le premier pas est d’élire un chef du Parlement dont le mandat prendra fin le 20 juin courant. Il est également probable que la formation du nouveau gouvernement, qui sera composé de 24 à 30 ministres, soit un peu retardée.

— Pourquoi le parti du Tachnag a-t-il perdu aux élections ?

— Il est évident que nous avons perdu alors que nous aspirions à former un bloc formé de 5 députés. Or, les résultats dans la première circonscription de Beyrouth et à Zahlé n’étaient pas en notre faveur. Maintenant, le parti est représenté par seulement 2 députés au Parlement. Il est important ici de signaler que 80 % des électeurs arméniens dans la première circonscription de Beyrouth et dans celle de Zahlé ont voté pour nos candidats, tandis que 20 % ont voté pour les forces de la majorité et des concurrents qui ont remporté les élections grâce à leur alliance avec la majorité.

— Pensez-vous que ces résultats sont le fruit d’un mauvais calcul de la part de l’opposition ?

— Sans doute, il s’agit d’un mauvais calcul et ceci est possible à tout moment dans des élections. Le nombre de ceux qui ont voté dans la circonscription d’Al-Charafiyeh (32 000 électeurs) par exemple a dépassé nos estimations. Ceci a du coup été profitable aux forces politiques de la majorité. L’opposition s’attendait avant les élections à triompher avec 67 députés, mais le résultat a été de 57 sièges seulement.

— Quelle est la possibilité de former une coalition entre la majorité et des députés de votre parti ?

— Certains de nos militants ressentent un désespoir et une tristesse et ont beaucoup de questions à poser. Mais je leur rappelle que c’est la première fois que le parti du Tachnag transcende les difficultés et les entraves, et se dresse pour accomplir son devoir et défendre les intérêts de son peuple qui a fait allégeance pour la deuxième fois au parti à hauteur de 80 %, et a élu deux députés arméniens qui représentent le noyau du parti du Tachnag. Celui-ci n’a jamais fait chantage de la décision du peuple arménien-libanais et sa parole est libre. Il a toujours lutté et milité pour défendre les droits et les intérêts du Liban en général et des Arméniens en particulier. Alors que les autres députés arméniens qui changent de peau facilement ne sont pas parvenus à recueillir la confiance des Arméniens et n’ont rien fait. L’objectif des députés arméniens de notre parti a toujours été de préserver la liberté, la coexistence pacifique, la démocratie, le dialogue et l’attachement à l’indépendance du Liban partant de leur foi que ce pays ne peut être géré selon le principe de la majorité et de la minorité. Ce bloc tend la main à ses alliés des forces politiques libanaises, ainsi qu’aux autres députés arméniens pour œuvrer ensemble pour un meilleur Liban.

— La polémique actuelle entre le parti du Tachnag et le député Michel Al-Murr signifie-t-elle qu’il y ait un divorce politique entre lui et le parti ?

— Je ne veux pas rentrer dans une polémique politique avec Michel Al-Murr. Je dis seulement que le parti du Tachnag lui avait réservé une place sur sa liste électorale, comme il l’avait prévu. Il n’en demeure pas moins que les électeurs arméniens ont eu un autre mot à dire que le parti ne pouvait en aucun cas refuser. Les voix des Arméniens dans la circonscription du Metn du Nord ont atteint 2 200, comme prévu. Il n’aurait jamais réussi sans nos voix. Alors que le reste des voix sont allées à égalité aux deux candidats Ghassan Mkheimar et Ghassan Al-Rahbani. Je refuse toute suspicion manifestée par certains à l’égard des Libanais arméniens, qui ont beaucoup donné à cette patrie et qui demeurent toujours loyaux et des citoyens de premier degré. Toute tentative de diffamation des Arméniens a échoué.

— Pourquoi donc les électeurs arméniens se sont détournés de Michel Al-Murr, pourtant allié du parti du Tachnag ?

— Certains proches du député Michel Al-Murr ont parlé de manière raciste de la communauté arménienne. Ces propos ont engendré une contre-réaction et son nom a été barré de nos listes de vote.

— Appuyez-vous le chef du courant de l’Avenir, Saad Al-Hariri, pour devenir premier ministre ?

— Dans le gouvernement précédent, le parti du Tachnag a proposé Saad Al-Hariri et n’a pas approuvé Fouad Siniora au poste de premier ministre. Nous sommes avec lui, parce qu’il est le président de la majorité législative et jouit de toutes les prérogatives nécessaires.

— Planifiez-vous de devenir ministre dans le nouveau gouvernement ?

— Dans notre parti, nous séparons la représentativité parlementaire et le poste de ministre. Le député n’a pas le droit de se présenter à ce poste dans le cadre de l’intérêt national du Liban.

— Les partisans du Tachnag sont-ils satisfaits des résultats du parti aux élections ?

— Avant les élections nous formions un bloc de deux députés et aujourd’hui, après le dépouillement des résultats, nous formons toujours un bloc de deux députés arméniens au Parlement. Nous ne sommes pas de ceux qui changent de position continuellement. Il y a des constantes qui nous distinguent et auxquelles nous ne pouvons pas renoncer en contrepartie d’un poste au Parlement ou pour gagner une somme d’argent. Nous puisons notre légitimité et notre représentativité dans la base populaire arménienne. Selon les chiffres, nous avons obtenu entre 70 à 90 % des voix des électeurs arméniens. Ceci est une preuve que nous représentons bel et bien la base populaire arménienne. Par exemple, dans la circonscription de Beyrouth, nous avons obtenu 5 100 voix des 6 700 voix arméniennes. A Metn, nous avons obtenu 10 700 des 13 660 voix. Dans la circonscription de Zahleh, le nombre des voix que nos avons obtenu était de 2 800 sur 3 300 voix. A Angar, nous avons obtenu 2 190 sur 2 300 voix.

Malgré cela, le secrétaire général du parti du Tachnag a reconnu la défaite dans les élections législatives pour des raisons internationales, régionales et internes. Tous les organismes étatiques étaient contre nous à l’exception du ministre de l’Intérieur, Ziyad Baroud, dont nous respectons la performance et l’intégrité aux élections. Cependant, il lui était difficile de contrôler tous les fonctionnaires de son ministère. Nous savons comment les choses fonctionnent. Malheureusement, les choses se sont retournées contre nous.

Propos recueillis par Maher Maklad