Grippe Porcine. De la crainte à l’ironie, en passant par le business, les passagers tentent de s’adapter à la situation, se félicitant des mesures d’hygiène et de propreté finalement appliquées. Reportage.

 

La grippe à la une du métro

 

Peut-on parler de changement ? Des dizaines de passagers attendent sur le quai de la station Hamamat Al-Qobba, bien tranquillement comme d’habitude, l’arrivée du métro en direction de Hélouan. Il est midi et il fait bien chaud. En attendant, des dizaines d’interrogations s’imposent : les trains seront-ils aussi propres tel que décrit dans la plupart des journaux ? Les passagers seront-ils au niveau de la responsabilité et porteront-ils leurs masques ? Les wagons seront-ils bien aérés et les ventilateurs fonctionneront-ils enfin ? Et le plus important, ne me suis-je pas précipitée en prenant la décision de me déplacer en métro ?

Les réponses ne vont pas tarder, voilà le métro qui approche.

La grippe porcine. Il ne s’agit pas uniquement de la une de tous les journaux. Mais aussi la une des wagons du métro. Les gens ne parlent que de ça. Il suffit qu’une seule personne pénètre dans le wagon et commence à porter son masque protecteur pour que tous les regards se tournent vers elle, et voilà qu’elle ouvre spontanément un sujet de discussion entre les passagers.

Certains donnent des conseils généraux, d’autres insistent sur le danger de cette nouvelle pandémie, alors que dans un autre coin, il y en a ceux qui essayent d’alléger les choses en s’y moquant.

En effet, les réactions vis-à-vis de cette nouvelle situation sont bien différentes, voire même contrastées. Mais ce qui est sûr, c’est que l’on est encore bien loin de parler d’une vraie panique. Les voyageurs sont plutôt calmes. Pour certains, ce sont les mesures sécuritaires qui ont, sans aucun doute, aidé à rassurer les passagers du métro.

Un calme qui, dans le fond, est bien choquant. Très peu ont pensé à porter des masques. Uniquement 3 personnes dans ce wagon. Et dans le reste du train, on ne compte même pas une dizaine. Mais il est vrai que la plupart ont pris des précautions en posant leurs mouchoirs sur le nez. Certaines femmes voilées se trouvent avantagées. Elles se cachent la bouche et le nez avec le bout de leur voile.

Si on ne porte pas le masque, c’est peut-être que les gens ne sont pas habitués à le faire, ou simplement n’osent encore pas le faire. « C’est bien que tu as eu le courage de porter le masque. Moi, je n’ai pas osé le faire, j’ai eu l’impression que tout le monde me regarderait », lance Sanaa Abdel-Latif, qui, en découvrant enfin quelqu’un qui a porté un masque sur le nez, a eu le courage de sortir le sien de son sac et de le porter à son tour.

A l’intérieur des wagons, toutes les fenêtres sont ouvertes, certains réagissent un peu en appelant à veiller à ce que le lieu soit aéré et n’hésitent pas de crier à haute voix : « S’il vous plaît, gardez toutes les fenêtres ouvertes pour votre sécurité et la nôtre », crie un jeune. Les ventilateurs fonctionnent tous, contrairement à l’habitude. Des affiches sont placardées dans certains wagons, donnant des conseils aux passagers : « Laissez les fenêtres ouvertes ... Si vous vous mouchez, jetez les mouchoirs dans les poubelles ... Lavez-vous couramment les mains ».

Mais en général, le quotidien du métro n’a pas beaucoup changé. On y trouve des femmes enceintes, d’autres accompagnées de leurs enfants, des vieux et des jeunes. Apparemment, personne n’a essayé de l’éviter. « Le métro est bien plus sécurisé que les autres moyens de transport. Dans le microbus, il n’est pas question d’ouvrir les portières et les fenêtres sont très élevées, c’est-à-dire loin du niveau de respiration, c’est vraiment là le vrai danger et pas dans le métro », explique Héba Mohamad, avec assurance.

Bien au contraire, pour la grande majorité des passagers, la vraie panique aurait été provoquée si les autorités avaient pris la décision d’arrêter les lignes du métro. Il s’agissait d’une rumeur, lancée depuis l’apparition des premiers cas de contamination en Egypte. On attribuait au gouvernement la décision de vouloir fermer le métro pour éviter que le virus ne se propage. « Dès que j’ai entendu cette décision, j’ai tout de suite paniqué. Non pas à cause de l’apparition de la maladie, mais à cause de la fermeture du métro », affirme Hoda Adel qui habite Aïn-Chams et qui travaille à Hélouan. « Heureusement que ce n’est qu’une rumeur. De toute manière, ce n’est pas logique de le faire. Si les métros ne sont pas disponibles, les gens vont se serrer de plus en plus dans les autres moyens de transport qui sont très encombrés. Tout le monde n’a pas les moyens de prendre un taxi tous les jours », lance sa collègue Lamia qui l’accompagne chaque jour dans sont trajet.

 

La loi de la propreté

Et les passagers le répètent d’ailleurs, il n’y a rien à craindre, surtout après les opérations de nettoyage qui se font chaque jour dans les wagons du métro.

En effet, le travail commence à 1h du matin, à l’arrêt du métro, lorsque les membres du groupe qui s’occupent de la stérilisation, vêtus de leurs uniformes oranges et portant sur le dos les produits désinfectants, commencent à se disperser dans les wagons pour les nettoyer à la fin de chaque journée. « Je crois plutôt que nous avons profité de cette grippe. Les trains sont plus propres et plus nombreux. Ils ne sont pas entassés de monde », dit Amal Nasser en souriant.

La grippe est même devenue pour certains source de leçons de morale : les choses ne sont pas aussi compliquées. On peut s’en protéger tout simplement en se lavant bien les mains couramment pour ne pas attraper de virus, c’est d’ailleurs ce qu’a conseillé le ministre de la Santé. Sinon, « ce n’est pas la peine de porter des masques. Si Dieu veut que nous attrapons cette grippe, on l’attrapera quoi que nous faisons, c’est un destin que personne ne peut connaître ou deviner », réplique un vieillard.

 

Et rigoler aussi

Et pourquoi ne pas en faire un business ? Une femme est montée avec une dizaine de paquets de mouchoirs humidifiés en main et commence à crier : « Quelqu’un veut en acheter ? Je vous préviens que c’est très important pour votre hygiène. Moi personnellement, je m’essuie les mains avec ces mouchoirs une fois descendue du métro ». En moins d’une minute, tous les paquets ont été vendus.

Dans un autre coin, un petit groupe de jeunes filles a fait de la scène un sujet de moquerie. « De quoi ont-ils peur ? S’ils cherchent un peu plus, ils vont découvrir en Egypte d’autres milliers de virus que personne n’a jamais pensé à détecter », lance l’une en éclatant de rire, alors qu’une autre lui répond : « Et si ces gens ont si peur, ils n’ont qu’à rester chez eux, comme ça au moins il y aurait moins de personnes dans les wagons du métro ». Une troisième commente ironiquement : « Moi, je suis contente que ce virus soit arrivé en Egypte. C’est peut-être notre seule chance pour nous débarrasser du problème de la surpopulation ». Chacun voit l’affaire de son propre point de vue, mais ce qui est sûr, c’est que la grande majorité ne craint rien, même si elle en parle.

De toute façon, ce qui fait le malheur des uns, fait le bonheur des autres. Les passagers du métro ont bien pu enfin jouir de trains plus propres, rapides, et surtout avec moins de passagers. Fallait-il vraiment que le virus se transforme en pandémie pour y parvenir ?

Chaimaa Abdel-Hamid