Cinéma.
Dans son polar irrésistible Badal faqed (remplacement), le
réalisateur Ahmad Alaa réussit à montrer une quête de
rédemption possible dans une complicité entre deux frères
différents.
Pour
sortir de l’ombre
Il
y a la loi, la drogue, le genre. Cela se met en place avec
un implacable ordre. Un commandant de police, Mohsen
Chamseddine (Ahmad Fouad Sélim) et son épouse (Sawsane Badr)
se rendent à un orphelinat pour adopter un enfant de parents
inconnus, Farès. Il y a d’abord la caractérisation de ce
dernier. Enfant docile, il agit avec élégance, réussit à
l’école et plus tard imitant son père, il devient officier
de police (Ahmad Ezz). On le voit avec son épouse Maha (Racha
Mahdi), à laquelle il est peu attentif car ils n’ont pas
d’enfants. Il est tout dévoué à son travail et traque un
gang de dealers, dont le chef, Ezzat Al-Hennawi, est un
homme d’affaires protégé par des gens haut placés.
Farès
devient séduisant à force d’être une pure figure de policier
superclasse, intègre qui cherche à démanteler un réseau de
trafic de drogue, par des délateurs avisés. Le cinéaste
Ahmad Alaa réussit à donner à chacun toute sa place. Ezzat
se révèle dans son environnement quotidien aux activités
criminelles et au trafic illicite de drogue importée de
l’étranger à l’insu des autorités. Ceux qui l’entourent sont
des assassins, dont notamment Khadach (Mohamad Lotfi), qui
distribue la drogue et recrute ses acolytes parmi les mordus
de la marchandise.
Le
réalisateur ne se contente pas d’inventer de brillantes
variantes autour des affrontements des dealers et de leurs
clients déficitaires qui engendrent le polar. Il introduit
un second rôle sympathique, Nabil, le double de Farès, son
frère jumeau, pour donner de l’énergie au récit et autoriser
une recherche formelle qui permet de se rapprocher avec une
sorte de pudeur de frères jumeaux, humains qui vivent et
parfois meurent du résultat de leurs actes. La présence de
Nabil (interprété aussi par Ahmad Ezz) provoque d’emblée un
étrange jeu avec les images, les mots et les codes. Gueule
de looser mais romantique, regard ravagé par l’intoxication
à la seringue, Nabil débarque dans le film comme un condensé
de tout ce qui pèse de passé et de codes. Contrairement à
Farès, il a été adopté par une danseuse de cabaret, Qamar (Aïda
Riyad), dans une ambiance de relâchement des mœurs, dont il
porte la disjonction et la déréliction.
Etrange
fantôme du passé, où ses parents l’ont abandonné sans
identité ou appartenance reconnue, il refuse à son tour de
reconnaître la filiation de l’enfant que porte May (Menna
Chalabi), fille de Hennawi, grand dealer de drogue. Le
corps, le phrasé et la gestuelle de Nabil sont les
contraires, la critique de ceux de Farès, presque leur
effondrement. Le mélange de contraires autorise la mise en
place d’un délire total. Cet assemblage d’obéissance aux
règles qu’incarne Farès et de capacité de les transgresser
que porte Nabil rend possibles les deux moments les plus
radicaux de remplacement, où l’un passe dans le champ clos
de l’autre et le second est propulsé vers l’extérieur. Ici,
le film interroge la possibilité de faire trouver par chacun
non l’oubli mais la puissance d’une nouvelle énergie. Cela
ouvre de nouveaux espaces et sera une promesse d’innocence
et de retrouvailles entre les jumeaux, séparés depuis
l’enfance par une conjoncture fatale.
Farès,
troquant son identité contre celle de son frère, se fait
captif de Ezzat Al-Hennawi pour démonter son trafic et
infiltrer son circuit. Quant à Nabil, seul sur un terrain
risqué, collabore avec la police pour débusquer l’arrivée de
drogue destinée à Hennawi.
Le
mouvement du film s’opère sur le mode de la métamorphose.
Pur jeu sur les codes, conte de la fatalité de
l’appartenance (à un passé, à une histoire triste), le film,
en accord avec sa logique, fait de la présence de Farès un
catalyseur pour aider Nabil à trouver ses marques, se
détacher de l’ombre, achevant sa vie dans la tâche noble de
faire tomber Hennawi et ses affidés. Dans un souffle de
légèreté, il peut ainsi s’envoler sur un rayon de soleil.
Dès lors, Farès peut reprendre sa place, effacer une partie
de l’existence déchirée de son frère, assumer sa
responsabilité par rapport à sa famille, May et l’enfant
qu’elle porte, remettant sur les rails un avenir dégagé de
tout. On passe un moment heureux à voir cette première œuvre
d’Ahmad Alaa, chargée d’une énergie débarrassée des
conventions classiques du genre.
Amina
Hassan