Métier.
Originaire de la Haute-Egypte et paysan, Sayed a développé
depuis sa tendre enfance le talent de grimper sur les
palmiers. Au Caire, il a choisi comme gagne-pain d’être un
maçon. Perché sur son échafaudage, il brave la mort au
quotidien.
Spiderman
Il
n’a pas été élevé dans un cirque et tout ce qu’il savait
faire, c’était de grimper sur les palmiers de son village,
une performance qui l’a aidé à trouver du boulot dans la
capitale. Sayed, 44 ans, a passé ces 10 dernières années à
travailler comme maçon en grimpant sur des échafaudages en
métal, en bois ou étant suspendu à une corde dans le vide. A
le voir effectuer un ravalement ou peindre la façade d’un
immeuble haut de dix étages ou plus, on a le cœur qui bat la
chamade. A chaque mouvement, il nous semble qu’il va tomber
; pourtant, Sayed ne connaît pas le sens du mot peur. Il
nous confie : « Un Saïdi ne doit jamais avoir peur, c’est
honteux ». Cependant, il ne cache pas avoir eu des sueurs
froides le jour où il s’est trouvé perché au vingt-sixième
étage d’un immeuble, mais il ne l’a dit à personne. Raison
pour laquelle il voit que les gens de son village sont les
plus aptes à exercer ce genre de boulot qui demande du
courage, de l’habileté et du sang-froid. Une habileté que
l’on ne peut retrouver que chez les habitants de la Haute-Egypte,
mais Sayed confie non sans modestie qu’il est le meilleur.
Un
savoir-faire et une intrépidité qui ont fait de lui
l’ouvrier modèle de la société d’entrepreneurs dans laquelle
il travaille. Selon Montasser, responsable du chantier,
Sayed est un homme courageux, honnête et pour lui, le mot
impossible n’existe pas. « Il a la charge de former les
nouveaux ouvriers et lorsqu’une autre compagnie demande à
prendre quelques travailleurs de chez nous, Sayed est à la
tête, car il nous représente comme il le faut », commente
Montasser.
C’est à
huit heures du matin que sa journée commence. Mais avant
d’escalader son échafaudage, il tient à prendre un petit-déjeuner
copieux, faire sa prière du matin et lire quelques versets
du Coran pour que le bon Dieu le protège. « Je n’attends pas
que les autres ouvriers vérifient les échafaudages, je dois
m’assurer moi-même que toutes les barres de métal ou les
madriers sont bien fixés, sinon ma vie et celle des autres
seraient mises en danger », dit Sayed qui a vu un collègue
perdre l’équilibre et tomber du haut d’un échafaudage. Cet
accident mortel l’a beaucoup perturbé, mais à aucun moment
il n’a pensé à changer de métier. Il croit que si un ouvrier
fait une chute, c’est parce qu’il n’a pas suivi les
instructions ou la bonne technique de mouvement sur
l’échafaudage. L’important, c’est de savoir maintenir son
corps en équilibre pour amoindrir les dégâts en cas de
chute. Ce drame l’a poussé à quitter cette société pour en
chercher une autre. « Dans beaucoup de sociétés, les gens
comme nous ne sont pas assurés. Au moins celle où je
travaille actuellement appartient à un homme bien qui nous
offre des repas et nous prodigue des soins en cas
d’accidents ». C’est pour ces raisons que Sayed y travaille
depuis trois ans et n’a pas l’intention de la quitter.
Quand
Sayed prend quelques minutes de repos, il les passe à se
balancer sur son échafaudage, à admirer le paysage autour de
lui. Cependant, il ne peut descendre qu’à l’heure du
déjeuner. Une heure de pause pour manger et prendre une
bonne tasse de thé. Du thé comme l’apprécient les habitants
du Sud, bien fort et bien sucré. Ainsi il aura du tonus pour
poursuivre sa journée de travail qui s’achève à 17h. « La
fin d’une journée de travail représente pour moi une
nouvelle naissance, c’est le signal que j’ai encore un autre
jour à vivre », dit Sayed.
De
bonnes rentrées, mais ...
Ce
dernier ne nie pas que ce métier lui permet de bien gagner
sa vie, surtout qu’il perçoit des primes de risque, ce qui
fait augmenter son salaire. La journée de travail pour un
ouvrier dans le bâtiment revient à 60 livres et peut
atteindre les 150 L.E. ; pour d’autres, elle varie entre 17
et 25 livres. Une différence qui fait que Sayed n’a jamais
pensé à changer de métier. « Je subviens aux besoins de mes
enfants et si je risque ma vie, c’est pour améliorer mes
conditions de vie et celles de ma famille », confie-t-il.
Avec le temps, il a fini par aimer ce métier. Du haut de son
échafaudage, il peut contempler la ville et les gens. « Tout
paraît plus beau d’en haut », dit-il. En effet, Sayed a
commencé à détester les quelques heures qu’il passe sur
terre. Il se sent mal à l’aise avec l’embouteillage, le
bruit des klaxons et la cohue. Il voit que les chauffeurs
font ce qu’ils veulent parce qu’ils ont une terre ferme sous
leurs pieds et donc, ils ne risquent rien, mais s’ils
devaient se tenir en équilibre sur des planches de bois ou
être suspendus par une corde dans le vide, ils finiront par
réfléchir mille et une fois avant de commettre de tels
dépassements. Une philosophie que Sayed a forgée en
comparant les gens « d’en bas » à ceux « d’en haut ».
Le mal
du pays
Sayed
n’a jamais oublié d’où il vient, bien qu’il gagne
correctement sa vie au Caire. Il insiste à sacrifier trois
mois de travail chaque année pour les passer à Assiout, son
village natal. Avant de s’y rendre, il ôte son casque,
dénoue sa corde puis enfile sa djellaba pour aller passer
des vacances auprès de ses quatre enfants et surveiller ses
récoltes. Il n’oublie surtout pas de grimper sur les
palmiers pour ne pas perdre son savoir-faire. « Grimper sur
un palmier est bien plus difficile que de monter sur un
échafaudage, quelle que soit la hauteur de la construction
», explique Sayed avec conviction.
Un homme
sensé et respecté par les gens de son village bien qu’il
n’ait fait que trois ans d’études à l’école primaire. En
plus, il comprend quelques mots d’anglais.
Grâce à
son éducation, rare dans un milieu villageois, il est
quelqu’un de très apprécié et tout le monde l’attend avec
impatience pour avoir son avis sur différents sujets. C’est
à la rentrée scolaire qu’il retourne au Caire. Il fait ses
adieux à sa famille et ses amis, sans savoir s’il va les
retrouver l’année prochaine. Et si Sayed a choisi de vivre
entre ciel et terre, il ne tient pas à ce que ses enfants
fassent le même métier que lui. Son grand souhait est de les
voir rentrer à l’université pour ne pas risquer leur vie
chaque jour. « Je veux les voir tous dans des postes
importants ou, au moins, de bons agriculteurs », dit Sayed.
Durant
ces longues années, il n’a jamais donné de détails sur le
boulot qu’il exerce. Tout ce qu’il craint, c’est que sa
famille découvre où il travaille. « Je ne peux pas leur dire
la vérité et les laisser tout le temps inquiets à mon sujet.
Ils ne le sauront que le jour de mon décès », continue
Sayed. En le voyant se déplacer d’une barre de métal à une
autre, s’agrippant avec ses pieds et ses mains pour monter
de plus en plus en haut, on revoit Tobey Maguire, l’acteur
américain qui a joué le rôle de Spiderman ou
l’homme-araignée. Sayed, lui, ne comprend pas de quoi on
parle, mais il est sûr que ce sont des choses artificielles
qui se font à l’aide de techniques électroniques réalisées
par des ordinateurs. Il insiste pour dire que ce qu’il fait
a besoin de bravoure et dépasse de loin ce que l’on voit au
cinéma. Non seulement du courage, mais aussi de la piété. «
Mettre toujours Dieu devant ses yeux », telle est la
philosophie de Sayed, surnommé Spider, qui conseille à tous
ceux qui veulent pratiquer ce métier de faire de même.
Hanaa
El-Mekkaoui