Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Dans les filets du danger
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 Semaine du 29 avril au 5 mai 2009, numéro 764

 

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Nulle part ailleurs

Pêcheurs. A Damiette, les pêcheurs ont le blues. Sept des leurs ont perdu la vie dans le naufrage d’un chalutier et ils sont sans nouvelles des 36 hommes capturés par des pirates somaliens. Ils parlent de leurs vies, de leurs espoirs et de leurs peines. Reportage.

Dans les filets du danger

Hamama (pigeon), Bouha, Al-Arabi, Al-Khamissi, Haguer, Fouda, des dizaines de bateaux sont amarrés au village de Ezbet Al-Borg à Damiette. Un état d’inactivité, en solidarité avec Momtaz 1 et Ahmad Samara, deux bateaux partis gagner leur pain au large de la mer Rouge et qui ne sont pas revenus. Outre le mauvais temps et les conditions de travail difficiles, la négligence des autorités a poussé ces gens de la mer dans une oisiveté inhabituelle. Des pêcheurs qui ont travaillé une grande partie de leur vie sur des chalutiers à l’étranger et sont retournés pour monter leurs propres projets et être auprès de leurs familles. Cependant, avoir son propre projet au cœur de la mer n’est pas toujours une affaire facile.

A l’entrée du village, un spécimen de bateau, d’une valeur inestimable, orne l’avenue principale et donne l’impression au visiteur de se trouver dans une cité assez singulière, dont l’image de marque est le bateau.

Pour meubler le temps, une dizaine de pêcheurs ont choisi une place au soleil pour coudre leurs filets de pêche. D’autres ont confié leurs bateaux à des manutentionnaires. Des bateaux amarrés devant les habitations, des filets et d’autres équipements de pêche sont éparpillés un peu partout. L’odeur du poisson est omniprésente.

Là, des milliers de familles à Ezbet Al-Borg n’ont d’autres activités que la pêche. Le métier de pêcheur se perpétue de père en fils et personne ne connaît le chômage.

Cerné par la mer Méditerranée au nord, le lac de Manzala à l’Est et le Nil à l’ouest, ce « village » compte 2 000 bateaux, pour la plupart très bien équipés. Passant ici et là, grands et petits demandent des nouvelles des deux bateaux sortis du Nil de Damiette pour la mer Rouge, avec plus de 36 pêcheurs à bord et dont ils n’ont plus aucune nouvelle. Pris par des pirates somaliens, qui demandent 5 millions de dollars comme rançon pour les libérer, toute communication avec eux a été coupée. Les familles ne cessent de s’interroger sur le sort de leurs proches. Hassan Khalil, propriétaire de Momtaz 1, dont les deux fils sont à bord, est accroché au téléphone. Il ne cesse de contacter les officiels, espérant trouver une lueur d’espoir.

Un second malheur pour les habitants de Ezbet Al-Borg, quelques semaines après le naufrage d’un bateau de pêche avec sept personnes à bord. Des problèmes qui viennent s’ajouter aux souffrances quotidiennes, surtout après la flambée du prix du carburant.

Sur Hamama, le bateau de Mahmoud Al-Khamissi, les pêcheurs dénoncent leur quotidien pesant et dangereux. Ils passent entre trois et vingt jours au large, espérant revenir avec une bonne pêche. Les pêcheurs mènent un train de vie aussi tumultueux que les eaux profondes qui les entourent. « Nous devons payer entre 550 et 700 L.E. de carburant par jour, sans compter les huiles, la nourriture et les outils de pêche. Un raïs (maître de bateau) vient de revenir d’un voyage de 9 jours qui lui a coûté 8 000 L.E., alors qu’il a pêché pour 7 000 L.E. de poissons », explique Mohamad Attiya. Quant à Hag Mohamad Ali, qui a passé de longues années à l’étranger, il compare la manière avec laquelle le pêcheur est traité ailleurs.

« Le pêcheur égyptien est apprécié à sa juste valeur à l’étranger. On lui fournit le matériel nécessaire à la pêche, et il bénéficie de la sécurité sociale. Certains propriétaires vont même jusqu’à lui assurer une retraite afin de le remercier pour ses bons services après de longues années de travail. Des avantages qui n’existent pas en Egypte », signale Mohamad Ali, propriétaire d’une embarcation. Il dit payer une assurance de 2 300 L.E. par an et parfois plus, selon la valeur du bateau, sans compter celle pour chaque pêcheur.

« Si l’un de nous décède, sa famille ne perçoit que 300 L.E. seulement en plus des 80 L.E. par mois de retraite », explique Salah, pêcheur dont les longues années de travail ont laissé des traces indélébiles sur son visage vieilli et son corps affaibli. Une mort le hante à tout moment avec les derniers accidents. Et bien que les chalutiers soient équipés d’un système de satellites GPS et de Life jacket, « la mort rôde toujours », à cause de l’absence des unités de sauvetage. « Comment échapper à la mort lorsqu’on doit passer de longues heures dans l’eau, sans secours ? Même avec des bouées ou des jaquettes de sauvetage, on ne tient pas le coup, surtout quand l’eau est très froide. Et c’est ce qui s’est passé avec le dernier bateau qui a fait naufrage. Tout son équipage a péri parce qu’il est resté dans l’eau à attendre des secours qui ne venaient pas », explique Aymane Fouda. Il dénonce l’absence d’unités de sauvetage tout le long de la côte méditerranéenne, y compris à Damiette, Rachid ou même à Alexandrie.

Des problèmes qui ne cessent d’alourdir le quotidien des hommes de la mer, menaçant leur gagne-pain et même leur vie. Et leurs histoires n’en finissent pas. Tant que le bateau prend du large, les pêcheurs semblent noyer leurs soucis dans l’eau. Cependant, avant de passer du Nil vers la mer, chaque bateau doit se plier aux mesures d’inspection des garde-côtes. On vérifie les autorisations, les cartes d’identité et le nombre de personnes à bord, sinon le passage vers la mer est quasiment interdit. Cependant, selon plusieurs pêcheurs, « les mesures de sécurité sont imposées pour réglementer le travail et parfois l’entraver, mais elles n’existent pas quand il s’agit de notre vie », se plaint Mohamad en ajoutant que les flottes de Damiette sont une richesse qui doit être bien préservée. « Nous fournissons de grandes quantités de poissons frais à l’Egypte ; en même temps, nous entendons parler de poissons importés impropres à la consommation. Nous faisons travailler des jeunes de notre gouvernorat et d’autres venant de villages éloignés et qui étaient au chômage. Ne méritons-nous pas plus d’attention de la part des responsables ? », s’interroge Mohamad en assurant que le citoyen égyptien perd de plus en plus de sa dignité. De la négligence qui expose les chalutiers ainsi que leur équipage à divers dangers à cause du détroit de Damiette. Dans ce passage étroit s’accumulent souvent de grosses quantités de sable et l’absence d’un nettoyage périodique provoque l’enlisement d’un ou de deux bateaux chaque année. « C’est le seul passage du Nil vers la mer et vice versa. Il y a des bateaux qui restent des heures, bravant le danger par mauvais temps et sans oser passer par ce détroit, craignant de heurter contre un rocher et faire naufrage », explique Al-Khamissi, qui assure que tous leurs appels pour résoudre le problème du passage n’ont pas été pris au sérieux. Comme si les pêcheurs ne couraient aucun risque.

« Tirer les cordes des filets de pêche, endurcies et enroulées sur des machines, expose les pêcheurs à des accidents qui vont jusqu’à avoir les doigts coupés. D’autres risquent de perdre leur équilibre, tomber à l’eau et disparaître. Une panne de moteur peut être fatale à tout l’équipage, s’il n’est pas sauvé par un autre chalutier », raconte Ahmad Fouda en s’interrogeant toujours sur le sort des deux bateaux tombés entre les mains des pirates somaliens. « Un danger de plus, surtout pour les bateaux qui vont pêcher dans les eaux internationales. Et si nous revenons sains et saufs, il faut payer nos dettes et parfois emprunter de l’argent pour préparer une nouvelle expédition, surtout qu’il nous est interdit de pêcher deux mois d’été, période où les poissons se reproduisent. Et ce, sans qu’aucun pêcheur ne perçoive de compensation », commente Al-Khamissi, qui s’interroge pourquoi ils n’en reçoivent pas comme les pêcheurs d’Italie, en période d’interdiction.

Des restrictions et des conditions difficiles qui font que certains propriétaires de chalutiers prennent des clandestins à bord ou de la marchandise de contrebande pour se faire de l’argent. « Un des bateaux a embarqué des villageois cherchant à immigrer et le passeur les a déposés à Alexandrie, en les persuadant que ce sont les côtes de la Grèce », raconte un des pêcheurs. « Des fraudes qui ne font qu’alourdir notre quotidien pesant avec, en plus, des mesures strictes de sécurité et des restrictions », dit-il en suivant la météo pour décider de sa prochaine sortie en mer.

Doaa Khalifa

 




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