L’Occident et les musulmans
Ahmed Bensaada
La crise financière actuelle a non seulement fait surgir le
spectre du protectionnisme, mais a aussi déterré les vieux
démons de la préférence nationale dans l’embauche. La
situation socioéconomique des immigrants en Occident, en
particulier celle des musulmans, qui posait déjà problème en
période de vaches grasses risque de faire les frais de ces
temps de disette. Mais quel est le portrait de ces musulmans
en terre d’Occident ?
L’islam est la deuxième religion la plus pratiquée dans le
monde après le christianisme. Elle regroupe environ 1,2
milliard de fidèles principalement en Asie, en Afrique et en
Europe. Il est très difficile de connaître précisément le
nombre de musulmans en Occident, mais des estimations
sérieuses peuvent le chiffrer aux alentours d’une vingtaine
de millions très inégalement répartis. Ainsi, on remarque
que quatre pays, en l’occurrence la France, les Etats-Unis,
l’Allemagne et la Grande-Bretagne, regroupent plus des deux
tiers des musulmans d’Occident. Le reste est disséminé dans
les autres pays.
A quelques exceptions près comme la Grèce ou l’Espagne qui
comptent une population musulmane séculaire, les musulmans
des autres pays sont essentiellement issus d’une immigration
plus ou moins récente dépendamment des pays. Contrairement à
la place démesurée qu’ils occupent dans les médias
occidentaux, la communauté musulmane ne représente
qu’environ 3,5 % de la population totale de l’Union
européenne, et moins de 3 % de celle de la totalité des pays
occidentaux.
De nombreux événements ont contribué à mettre les musulmans
d’Occident sous les projecteurs : les attentats du 11
septembre 2001 à New York, ceux de Madrid et de Londres, les
caricatures du prophète Mohamed, les péripéties du conflit
israélo-palestinien, la publication de certains ouvrages
controversés, la controverse sur le voile islamique en
France, l’occupation de l’Iraq ou le récent problème
nucléaire iranien. D’autre part, les médias ont toujours
tendance à monter en épingle les moindres incartades qui ont
pour effet de stigmatiser les sentiments
islamophobes. A cet effet, le
dernier rapport de l’EUMC
(Observatoire européen des phénomènes racistes et
xénophobes) note que : « Les musulmans sont souvent victimes
de stéréotypes négatifs, phénomène qui est par moments
renforcé par le portrait négatif ou sélectif que véhiculent
les médias ». Ce même rapport fait état de centaines
d’incidents à caractère islamophobe
recensés dans les années 2004-2005 dans tous les pays de
l’Union européenne. Aussi, la récente « grande enquête sur
la tolérance au Québec » de la firme Léger Marketing qui a
fait couler beaucoup d’encre a montré qu’un Québécois sur 2
avait une mauvaise opinion sur les Arabes. Comme les
Occidentaux ne font pas nécessairement la différence entre
la notion d’Arabe et celle de musulman, les deux mots
peuvent être considérés comme interchangeables dans le
sondage. Ici aussi, ce sont les Arabes qui ont l’apanage de
la perception la plus négative, perception 5 fois plus
élevée que celle envers les Asiatiques.
Cette islamophobie grandissante en Occident ne se manifeste
pas uniquement dans des sentiments négatifs ou des actes
violents. Elle a des répercussions sur l’employabilité des
personnes issues de cette communauté. Citons les exemples de
la Belgique où le taux de chômage des Marocains et des Turcs
est 5 fois plus élevé que celui des Belges de souche. En
Grande-Bretagne, des informations détaillées montrent que
les musulmans ont le plus haut taux de chômage parmi les
hommes, 3 fois plus élevé que celui de la population en
général. Plusieurs expériences de demandes d’emploi avec des
candidats fictifs ou des noms occidentaux remplaçant un nom
arabo-musulman ont été tentées dans plusieurs pays
occidentaux.
Les chiffres du chômage dans certains pays occidentaux qui
recensent ce type de données en fonction de la religion ou
de l’appartenance ethnique sont autant d’indicateurs
éloquents en matière d’employabilité des musulmans. En
Irlande et en Grande-Bretagne où des statistiques basées sur
la religion sont disponibles, on constate que les taux de
chômage chez les musulmans sont respectivement 3 et 4 fois
plus élevés que ceux des chrétiens.
En Irlande, le taux de chômage des musulmans est près de 3
fois plus élevé que celui de la population en général, alors
qu’en Belgique le chômage touche 5 fois plus les Turcs et
les Marocains que l’ensemble de la population. Au Québec, de
récentes statistiques ont montré que la communauté
maghrébine subissait un taux de chômage plus de 4 fois plus
élevé que la moyenne, très loin derrière la communauté noire
africaine, avec un chiffre de 8 points supérieurs. Pourtant,
le pourcentage des immigrants provenant de l’Afrique du Nord
possédant des qualifications universitaires est nettement
supérieur à la population québécoise en général.
Cette discrimination à l’emploi est, de loin, la plus
insidieuse car elle freine l’intégration des musulmans au
marché de l’emploi, bloque l’accès à une qualité de vie
décente et nuit au sentiment d’appartenance à la société
d’accueil.
Quelles mesures ont été prises pour remédier efficacement à
cette islamophobie omniprésente en Occident ? En 2008,
l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a
publié un rapport dans lequel elle fournit des exemples de
projets, d’initiatives et de pratiques exemplaires mises de
l’avant par plusieurs villes européennes afin de favoriser
l’intégration des immigrants, en particulier ceux de
confession musulmane dans les domaines de l’emploi, de
l’éducation et de la participation à la vie sociale. Ce
document qui s’adresse aux décideurs politiques et aux
praticiens impliqués dans la lutte contre le racisme et la
discrimination se veut un outil de travail dont tous les
responsables locaux du monde occidental devraient
s’inspirer. Malgré ces efforts louables, un récent sondage,
réalisé au printemps 2008 dans le cadre du Pew Global
Attitudes Project (18), révèle toujours un indéniable
accroissement de l’hostilité envers les musulmans dans de
nombreux pays occidentaux.
L’islamophobie est un phénomène réellement grave dans les
pays occidentaux et sa progression est indéniable. Son
ampleur affecte la structure et l’équilibre des pays membres
surtout si l’on considère qu’un nombre croissant de
musulmans de deuxième et troisième générations sont des
citoyens occidentaux à part entière. Une éducation à la
citoyenneté et à la diversité sociale doit être
obligatoirement insérée dans le cursus officiel des écoles
et des positions politiques claires et courageuses sont
indispensables afin de juguler ce fléau social. L’empathie
et l’ouverture à l’autre sont des gages de la bonne santé
d’une société moderne, égalitaire et résolument tournée vers
l’avenir.