Al-Ahram Hebdo, Visages | Nouri Abdel-Razzaq Hussein, Des batailles pour l’accalmie
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 18 au 24 février 2009, numéro 754

 

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Visages

Homme de paix iraqien passé par le communisme, Nouri Abdel-Razzaq Hussein combat le colonialisme et l’oppression des peuples depuis plus de 50 ans. Son plus grand bonheur serait un monde sans guerres.

Des batailles pour l’accalmie

C’est après la mort de l’écrivain égyptien Youssef Al-Sébaï que Nouri Abdel-Razzaq est élu secrétaire général de l’Organisation pour la Solidarité des Peuples Afro-Asiatiques (OSPAA). Nous sommes en 1978 et c’est dans « une atmosphère de peur » que le Dr Nouri prend ses nouvelles fonctions. Les années 1970 sont une période de l’Histoire où les relations de l’Egypte avec Israël évoluent et sont au centre des préoccupations politiques. Youssef Al-Sébaï se rend à Jérusalem en compagnie d’Anouar Al-Sadate dans un but de normalisation des relations avec Israël. Certaines factions palestiniennes ne lui pardonneront pas ce geste en faveur de l’Etat hébreu. Youssef Al-Sébaï payera ce voyage de sa vie, dit-on même parfois. Cette ambiance de violence, de lutte et de combat accompagnera le Dr Nouri toute sa vie. Ses actions et ses pensées en seront marquées à jamais.

Nouri Abdel-Razzaq voit le jour en 1934, à Bagdad, dans un Iraq tout juste libéré du joug britannique. A cette époque, au Collège du roi Fayçal, les études sont en anglais, le directeur est anglais et le sport favori des pensionnaires est le hockey. « Nous étions la meilleure équipe d’Iraq, ce qui rendait jaloux nos concurrents du British College », se rappelle-t-il. Ajoutant : « Nous étions heureux, c’était une période agréable ». Lorsqu’il revoit Bagdad, après ses études à Londres, c’est au sein du Mouvement des étudiants pour la révolution. L’Iraq est agité, les choses bougent et Nouri Abdel-Razzaq est communiste, épaté par les doctrines idéologiques de l’Union soviétique. Il est jeune, brillant et révolutionnaire. « C’était une période riche, à la fois culturellement et intellectuellement : les idées fusaient de partout ». Communiste, il le restera peu « à cause de mes différends avec le parti », explique-t-il. « Aujourd’hui, je suis indépendant, je n’ai pas de parti politique, même si mes idées tendent à gauche. A un certain moment, mes relations avec le parti sont arrivées à une impasse, pas à un opposé. Et je garde certaines idées, mais sans restrictions idéologiques ». Il restera actif politiquement en Iraq jusqu’en 1972, date à laquelle il fait ses valises pour Le Caire. Cela ne l’empêchera guère de prendre l’avion plusieurs fois par an, pour aller dévorer des yeux « les chefs-d’œuvre picturaux dont regorge la capitale française ». Beaubourg, le Louvre, Orsay et le musée Guimet font partie de ses préférés. Il ne dédaigne pas non plus les arts premiers, tout en regrettant « l’architecture trop moderne » du nouveau musée du quai Branly.

Le 18 avril 1955 s’ouvre à Bandung, en Indonésie, la première conférence rassemblant l’ensemble des pays du tiers-monde. Gamal Abdel-Nasser, Nehru, Sokarno et Zhou Enlai en sont les principaux acteurs. L’appel à la décolonisation est fort, l’apartheid est critiqué, la France et l’Angleterre sont priées d’accorder l’indépendance à l’ensemble de leurs colonies. Le Dr Nouri n’a que 21 ans, mais la conférence est déjà dans son cœur une « avancée prodigieuse ». Tous les jours, il lit les dépêches qui relatent l’avancée des opinions tiers-mondistes, il réunit ses camardes de la London University pour en discuter avec eux et prend la présidence, déjà, d’une petite association étudiante de réflexion politique. Après Bandung, l’OSPAA est créée dans la continuité officielle de la conférence : « L’OSPAA est une extension populaire des objectifs de la conférence ». Le Caire devient son siège permanent, « symbole puissant après la victoire égyptienne de la nationalisation du Canal de Suez », précise Abdel-Razzaq. Le Caire restera son siège social jusqu’aujourd’hui par sa situation géographique : « Un pied en Afrique, l’autre en Asie ».

L’Egypte, il y habite depuis trente-sept ans. L’Iraq, il y a passé son enfance avant d’étudier à Londres. Mais Paris est la ville qu’il préfère, avec sans aucun doute, ses restaurants. A 75 ans, il est rare de le voir se contenter d’une « maigre salade sans goût » comme il le dit lui-même. Et à Paris comment penser gastronomie sans un Saint-Emilion ou une bouteille de Bourgogne pour accompagner le repas ? « J’ai goûté à toutes les cuisines des pays où je suis allé et la France garde une place privilégiée dans mon cœur de ce point de vue là ».

Homme de compromis, fin diplomate et penseur politique, Nouri Abdel-Razzaq aime aussi la bonne chair. Et dans la cuisine française, ce qu’il préfère le plus c’est le tartare de bœuf frais, « relevé, mais pas piquant ». Habitué du Club grec de Garden City, le fin gourmet y tient fréquemment salons et déjeuners où les débats en tous genres sont appréciés des convives.

Dans son bureau au bord du Nil, Abdel-Razzaq est un homme occupé. Si les choses ont changé depuis la création de l’organisation, les problèmes ne manquent pas : droits de l’homme, endettement des pays émergents, disputes frontalières, disputes ethniques ou tribales, réfugiés, coopération nord-sud. « Car le monde change, il n’est plus unipolaire ou bipolaire. Il n’y a plus un seul bloc unifiant l’ensemble des pays du sud. De nombreux différends ont surgi au sein même des pays membres. Je pense à la guerre du Congo, aux différends entre l’Inde et le Pakistan, à la guerre entre l’Italie et l’Ethiopie. L’OSPAA est intimement liée aux mouvements internationaux ». S’il n’y a plus l’unité des années 1950-60, il reste des idées communes contre la globalisation, l’esclavage, sur ce que doit être le rôle de l’Organisation mondiale du travail ou sur les difficultés liées à la crise économique. Mais les solutions ne sont plus les mêmes, explique-t-il. « Chaque problème possède désormais sa propre solution : il n’y a plus de solution globale » applicable à tous les cas de figure. Le monde, il ne le connaît pas seulement au travers des politiques en vigueur. Abdel-Razzaq a passé sa vie à voyager. Lorsqu’on le croise en Italie dans une petite ville du sud, c’est avant qu’il ne reparte pour Bombay d’où il s’envolera, une semaine plus tard, pour Paris. Idées et mises en pratique, pensées et actions, théories et expériences du terrain sont deux aspects indissociables qui forment l’équilibre de la vie toute entière du Dr Nouri.

Sur chaque événement qui touche les pays non-alignés depuis 1950, Nouri Abdel-Razzaq possède un point de vue, une opinion calme, posée et réfléchie. Quel fut le rôle de la France en Afrique ? « Le rôle de la France a toujours fluctué, il a été mauvais en Afrique comme au Rwanda, par exemple, entre les Tutsis et les Hutus. Mais peut-être que la francophonie possède, en général, un aspect positif. Pour moi, la France devrait jouer un rôle important en plaçant les francophones dans une optique commune ». La Chine est-elle appelée à étendre son influence ? « Peut-être, mais il n’y aura pas de domination unilatérale ». Le Golfe ? « Les Anglais et les Américains y commencent la guerre des prêts pour obtenir des liquidités ». Nouri Abdel-Razzaq est une mémoire politique, un penseur de la diplomatie moderne et son âge n’a en rien affecté sa lucidité de pensée.

Si l’Iraq est toujours pour lui un magnifique pays, ses craintes sont nombreuses quant à son avenir. « Il faut à l’Iraq un gouvernement séculaire et moderne ». Mais cela sera impossible tant qu’un terme ne sera pas mis à « l’immense corruption dont souffre ce pays depuis l’invasion américaine ». Cette invasion, bien sûr, il ne la souhaitait pas. Ni à titre personnel, ni à celui de secrétaire général de l’OSPAA. « Nous avons envoyé une pétition à Saddam Hussein pour lui demander de se retirer : cela aurait pu être une solution pour éviter la guerre ». Il poursuit, expliquant les causes des violences dans son pays natal depuis l’invasion, les relations entre les chiites iraqiens et l’Iran, les problèmes religieux et ethniques qui s’y déroulent.

Des rives de l’Euphrate de son enfance, il ne possède que peu de souvenirs, sauf ce jour où, à la fête de son école, il joua au théâtre le rôle d’un prince imaginaire des Mille et une nuits. Il en garde aussi un goût prononcé pour la marche à pied, pouvant effectuer, en une seule journée, plus de dix kilomètres. Souhaite-t-il retourner en Iraq ? Peut-être, mais au Caire, il a du travail dans un monde où de nouveaux conflits surviennent chaque année. Il agit pour la paix, pour l’entente des peuples et des continents. Pour la Palestine aussi : l’une des préoccupations majeures de l’organisation, prônant pour un « Etat libre et indépendant », pour un dialogue sans guerres et sans menaces. La plus grande crainte de cet intellectuel de la politique est de ne pas voir un jour la « fin des guerres dans ce monde trop violent ».

Aujourd’hui, l’OSPAA n’est plus au centre des débats qui opposèrent, jadis, colonisés et colonisateurs, opprimés et opprimants, exploités et exploiteurs. Le temps glorieux des présidents Nasser, Tito, Nehru ou Sokarno est révolu. Le tiers-monde n’est plus le tiers-monde unique et solidaire des années 1950, mais un tiers-monde aux multiples facettes où chaque pays cherche à tirer son épingle du jeu, quitte à sacrifier son voisin, son allier d’antan. Rien n’a jamais été simple cependant, rien n’est blanc ou noir, mais à Bandung, pour la première fois, des dizaines de pays ont su trouver une voix commune dans la diversité de leurs cultures et de leurs peuples. Cette voix se voulait neutre et pacifique, elle ne cherchait ni guerre ni violence, juste une indépendance et un droit à se gouverner. De ces idées d’indépendance, de pacifisme et de liberté, au moins trois pays semblent avoir été exclus : que dire de l’Iraq, de l’Afghanistan et de la Palestine ? L’OSPAA a du travail, mais ne possède plus sa force politique qu’elle tirait de son unité. Les grands dirigeants qui en sont à l’origine semblent, eux aussi, avoir disparu. Il lui reste ses idées, son idéologie, son combat contre le colonialisme, l’apartheid et les guerres : son combat pour la paix. Ce combat, qui fut là dans la vie de Nouri Abdel-Razzaq ce par quoi il pense, ce pour quoi sa vie possède un sens et un but, le verra-t-il, un jour, toucher à sa fin ? Si l’homme est plein d’espoir, il n’en est pas pour autant naïf et sait que les « travailleurs de la paix » ne sont pas prêts d’être au chômage.

Alban de Menanville

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Jalons

1934 : Naissance à Bagdad, deux ans après l’indépendance de l’Iraq.

1955 : Conférence de Bandung (Indonésie).

1957 : Création de l’OSPAA.

1972 : Arrivée au Caire.

1978 : Assassinat de Youssef Al-Sébaï, ancien président de l’OSPAA.

2003 : Invasion américaine de l’Iraq.

2007 : Conférence sur le futur du Mouvement des non-alignés à Manille (50 ans de l’OPSAA).

 

 

 




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