Penseur américain de renom, Noam
Chomsky analyse la politique des Etats-Unis et celle
d’Israël envers le processus de paix après et avant
l’agression contre la bande de Gaza.
« Obama soutient dans les faits la politique d’Israël »
Al-ahram
hebdo : Croyez-vous que le président Barack Obama aura une
nouvelle stratégie pour régler le conflit
israélo-palestinien ?
Noam Chomsky :
Nous savons, de source israélienne, que la récente invasion
de la bande de Gaza a été soigneusement planifiée. Il était
prévu que celle-ci se termine juste avant l’arrivée de la
nouvelle Administration à la Maison Blanche, de façon à
causer le maximum de dégâts à Gaza, tout en donnant à Obama
la possibilité d’ignorer tout cela, exactement comme il l’a
fait. Tout le long des attaques, Obama est resté silencieux,
sous prétexte que les Etats-Unis devaient avoir « un seul
président ». Mais cela ne l’avait pas empêché de parler de
nombreuses autres questions liées à la politique interne ou
internationale des Etats-Unis.
Après le début de son mandat, il a fait les commentaires de
routine sur les malheureuses victimes tombées des deux
côtés. Sa première intervention sur la politique étrangère
américaine, faite juste quelques jours plus tard, a été sur
le conflit israélo-palestinien, au moment où il a nommé
George Mitchell comme médiateur. En ce moment, il a répété
que défendre Israël était sa priorité. Il a mentionné aussi
à cette occasion son intérêt pour l’initiative de paix de la
Ligue arabe. Obama a affirmé que ce plan possédait des
éléments très constructifs, surtout ceux qui appellent à la
normalisation des relations avec Israël et il a exhorté les
Etats arabes de le faire. Il est sans doute un homme très
intelligent et choisit soigneusement ses mots. Pour cette
raison, nous devons assumer qu’il savait très bien ce qu’il
était en train de faire lorsqu’il s’est abstenu de faire
référence à l’essentiel du plan arabe, ou le contrepoids à
la normalisation, c’est-à-dire un règlement créant deux
Etats, basé sur un consensus international. Un consensus que
les Etats-Unis et Israël ont bloqué pendant plus de 30 ans.
Obama a, par conséquent, émis un message très clair, qui
feint rejeter verbalement l’action d’Israël, mais qui a
apporté le soutien réel des Etats-Unis à toutes ses actions
criminelles dans les territoires occupés. Et ce, alors que
les Israéliens s’emparent de toutes les terres qu’ils
souhaitent en Cisjordanie et condamnent les Palestiniens à
vivre dans des cantons. C’est la conclusion que l’on puisse
tirer des actes d’Obama avant et après son investiture.
— Quelles seront les principales différences de style dans
le traitement du conflit israélo-arabe entre
l’Administration d’Obama et celle de son prédécesseur ?
— Il y a certainement des différences dans leur style. Si
l’Administration Bush a été marquée par une arrogance sans
limites et un total mépris de l’opinion internationale, en
ne tenant même pas compte de l’avis des ses alliés les plus
proches, celle d’Obama utilisera, sans doute, une rhétorique
plus agréable à entendre et plus plaisante. Mais l’évidence
à laquelle nous sommes confrontés en ce moment tend à
soutenir les prévisions de Condoleezza Rice quand elle a dit
que le style qui sera adopté par Obama pour traiter du
conflit israélo-arabe ressemblera beaucoup à celui du
deuxième mandat de George W. Bush.
— Pensez-vous qu’il serait possible de poursuivre les
responsables israéliens pour crimes de guerre contre les
Palestiniens lors de l’offensive de Gaza ? Les Etats-Unis
risquent-ils d’apposer leur veto au cas où l’affaire serait
portée devant le Conseil de sécurité ?
— Si une telle demande parvient au Conseil de sécurité, les
Etats-Unis lui imposeront certainement leur veto. Mais il
serait très difficile qu’une telle possibilité vienne à voir
le jour. Si cela a lieu, alors les Etats-Unis devraient
être, eux aussi, poursuivis. Car l’invasion de Gaza a été
une opération israélo-américaine. A part le soutien
diplomatique de Washington, les armes étaient pour leur
majorité américaines, et ont été utilisées en violation des
lois américaines et aussi, bien entendu, du droit
international. Mais les Etats-Unis ont toujours pris leurs
distances par rapport à toute juridiction internationale,
que ce soit la Cour pénale internationale ou la Cour
internationale de justice. La loi implacable de l’Histoire
dit que les puissants cherchent toujours à punir les crimes
des autres, tout en restant eux-mêmes intouchables.
— Que pensez-vous de l’impact qu’aura la guerre à Gaza sur
la scène politique en Israël ?
— La réponse est claire et a été donnée par les résultats
des élections israéliennes où l’on voit que la guerre a
poussé les Israéliens encore plus vers la droite
ultranationaliste et raciste.
— Pensez-vous que les Palestiniens, divisés entre le Fatah
et le Hamas, pourraient surmonter leurs dissensions pour
parvenir à un minimum de dénominateur commun ?
— Il y a eu plusieurs initiatives essayant d’aller vers une
unité nationale entreprises par les Palestiniens depuis le
mois de juin 2007. Il est fort possible que la violation
israélienne du cessez-le-feu du 4 novembre 2008 était un
effort pour empêcher des réunions qui auraient conduit à un
gouvernement d’union nationale. Par ailleurs, les Etats-Unis
ont immédiatement réagi aux élections de janvier 2006 en
punissant les Palestiniens d’avoir « mal voté » dans des
élections libres. Je pense que les Etats-Unis réagiraient à
un gouvernement palestinien d’union nationale de cette même
manière.
— Mais Obama a annoncé qu’il avait l’intention de dialoguer
avec l’Iran et la Syrie. Ne pourrait-il pas encore le faire
aussi avec le Hamas ?
— Avec la Syrie, il va peut-être dialoguer. Mais son
intention d’entretenir un dialogue avec l’Iran relève plutôt
de la rhétorique vide. La position de l’Administration Obama
a été révélée par le vice-président, Joe Biden, lors d’un
discours prononcé dans une conférence internationale sur la
sécurité, le 7 février à Munich, en Allemagne. Selon ses
propres mots, l’Iran doit « abandonner son programme
nucléaire illicite et le soutien accordé au terrorisme ».
Par ces propos, Biden se référait au programme
d’enrichissement d’uranium iranien qui est licite et qui
respecte les normes du traité de non-prolifération
nucléaire. Et bien que cela soit rarement dit aux
Etats-Unis, la position de l’Iran quant à l’enrichissement
de l’uranium est soutenue par la majorité des Etats du monde
(comme les non-alignés) et par la plupart des Américains
eux-mêmes.
Lorsque Biden parle de « soutien au terrorisme », il se
réfère au Hezbollah et au Hamas. Il est vrai qu’ils peuvent
être attaqués d’avoir perpétré des actes terroristes, mais
cela ne pourra pas être l’affaire des Etats-Unis, car ce
pays accorde un important soutien et commet lui-même aussi
des actes terroristes beaucoup plus extrêmes. Ce qui doit
préoccuper les Etats-Unis, ce sont leurs actes criminels
tout comme ceux de ses alliés. Mais bien loin de cela,
l’agenda américain pour des négociations renferme le
programme nucléaire iranien et le support accordé par ce
pays au Hezbollah et au Hamas.
— Croyez-vous que Barack Obama agira en faveur de la
démocratie et des libertés fondamentales dans le monde arabe
?
— Rien n’indique que cela va avoir lieu. Il semble qu’Obama
restera dans la même ligne traditionnelle adoptée jusqu’à
présent par les Etats-Unis d’appui accordé à des régimes
totalitaires et qui s’opposent à la démocratie et ce, sauf
si des élections formelles aboutissent au résultat souhaité
par l’Administration. Les élections palestiniennes donnent
une illustration dramatique de cela.
Propos recueillis par Randa Achmawi