Humeur. Etre heureux malgré
la situation politique, la crainte de la grippe (AH1N1) et en présence de
conditions économiques stressantes ? Comment et où pourraient être les sources
de félicité dans un quotidien comme celui des Egyptiens ? Astuces.
A la recherche du
bonheur perdu
Des souffrances sur le
niveau éducation, santé, sécurité et justice teintent le quotidien des
Egyptiens ces dernières années. Ces maux communs ont laissé leurs traces sur la
personnalité égyptienne, devenue de plus en plus pessimiste et triste. En fait,
1,5 million des Egyptiens souffrent de la dépression, selon le Dr Okacha, chef
de l’Association égyptienne de la psychiatrie. Et pour y faire face, un appel a
été lancé cette semaine par le journaliste Ahmad Al-Messlemani, dans son
éditorial publié dans le quotidien Al-Masry Al-Youm. Al-Messlemani propose à la
société égyptienne de chercher des éléments de lutte contre la dépression et
l’oppression dont souffre le peuple. « Des Egyptiens contre la tristesse », tel
est le titre de sa campagne visant à éradiquer la tristesse de la société et
l’aider à retrouver son bonheur perdu.
Convaincu que la raison de
ce malheur réside dans la situation économique et politique actuelle,
Al-Messlemani interroge ses lecteurs : « Est-ce que nous sommes condamnés à la
dépression et la mort à cause des décisions prises par les politiciens ? Est-ce
que les politiciens vont nous priver de notre droit élémentaire à jouir de
notre vie et à vivre des sentiments de bonheur et à retrouver notre volonté et
notre détermination ? ». En posant de telles questions à ses lecteurs,
Al-Messlemani tente d’éveiller chez eux cet esprit de lutte. Car, pour lui, un
peuple opprimé et surtout déprimé ne peut en aucun cas changer son sort ni son
avenir.
Et c’est là que réside
l’importance du bonheur. Mais, aujourd’hui, quelles seraient les sources de la
joie dans le quotidien des Egyptiens ? Et dans un tel quotidien, y a-t-il ce
qui peut nous rendre heureux ? Voici un échantillon de ce que pensent les
Egyptiens.
« Le football est sûrement
notre seule source de bonheur en Egypte ces jours-ci », dit avec beaucoup
d’enthousiasme Mina, diplômé de la faculté de commerce et qui a toujours un
journal sportif en main ou dans sa voiture.
L’élimination de l’Egypte
de la qualification de la Coupe du monde ne semble pas atténuer son
enthousiasme. Il suit avec le même esprit les nouvelles de l’équipe nationale
pour savoir si Abou-Treika pourra participer à la Coupe d’Afrique qui devra se
tenir dans quelques jours en
Comme tous les Egyptiens,
il suit les nouvelles de la prochaine sélection de Hassan Chéhata, dans
l’attente d’une victoire qui pourra peut-être effacer la défaite au Soudan. «
Ce sont ces victoires sportives qui rehaussent le moral et me font sentir qu’il
reste quelque chose à célébrer et à en être fier », explique Mina qui juge les
gens d’après les équipes de football dont ils sont les ardents supporters.
Noha, bancaire de 35 ans,
a d’autres vues faites de sensibilité. Pour cette jeune fille, pour laquelle
l’amitié et les rencontres sont l’unique source de bonheur, les petits moments
où elle se sent heureuse résident dans ces sorties entre amis où « nous mangeons,
discutons, rigolons et surtout nous nous défoulons. Nous dérobons de temps en
temps quelques heures d’excursions hors du Caire. Ce sont des moments volés et
vécus loin du stress et des problèmes quotidiens qui me donnent la capacité de
reprendre le souffle. Une occasion pour nous amuser, échanger des histoires
drôles et reprendre de nouveau nos responsabilités familiales et
professionnelles avec plus d’énergie mais aussi en bonne humeur ». Quant à May,
32 ans, être heureuse signifie avoir une vie culturelle bien chargée. « Jouir
d’une pièce de théâtre bien jouée ou chercher l’esprit de la création et les
côtés esthétiques dans un tableau de peinture, cela me fait oublier tous les
maux de la vie. Ce sont des instants précieux où je sens que j’ai des ailes
pour voler au-delà de la réalité et du quotidien pesant », confie May.
Trouver le bonheur dans la
culture et surtout la lecture est un moyen qui accentue le sentiment de
satisfaction et de la joie de vivre. Le scénariste Bélal Fadl, qui prépare un
programme télévisé donnant aux citoyens des recettes de livres importants à lire,
intitulé Le jus des livres, est de cet avis. « La lecture est un plaisir
incomparable, elle nous permet d’oublier les tensions, les erreurs graves de la
politique du PND, la grippe aviaire et porcine, la crise économique, etc. C’est
une joie qui rend la vie meilleure et c’est le seul moyen pour sortir de ses
souffrances », assure le scénariste.
Pour d’autres, le secret
du bonheur est lié à la magie de l’amour. Vivre ces splendides sentiments
d’aimer et d’être aimé. « Partager des mots doux ou de simples cadeaux pour
exprimer son amour et son estime à son âme sœur est la source magique d’énergie
dans la vie. Un motif qui permet de lutter contre toutes les difficultés de la
vie quotidienne. Peu importe la source de cet amour, mon mari, ma fille ou mes
amis. C’est l’amour qui compte et qui fait tout mon plaisir », confie Névine,
33 ans.
Mais pour Nader,
journaliste, ces moments d’amour risquent parfois de se transformer en fardeau.
Il opte pour le succès professionnel comme source de bonheur.
« L’amour devient vite une
lourde responsabilité avec ces préparatifs interminables pour le mariage, les
prix excessifs de l’or, de l’appartement et aussi des meubles. Pour moi, la
joie de publier un bon article et qui suscite des réactions chez les lectures
est beaucoup plus influente », dit le jeune journaliste.
Pour Mariam, traductrice,
le véritable bonheur n’a pas de critères. « Je passe les meilleurs moments de
ma vie lorsque je réussis à rendre une personne plus heureuse ou plus
optimiste. De petits gestes qui peuvent changer la vie des autres, je considère
cela comme une mission. Faire des changements dans la vie d’autrui à travers
une chose nouvelle que j’ai apprise, un conseil à donner ou au moins en leur
prêtant une oreille attentive quand ils ont besoin d’être écoutés. ça me fait
sentir un bien-être indescriptible », dit Mariam qui confie se donner elle-même
le bonheur en exerçant les choses qu’elle aime, en lisant, écoutant de la
musique ou en faisant de petites découvertes tout le long de son quotidien. «
Des découvertes de toute nouveauté qui peut me plaire ou rendre la vie des
autres meilleure », dit la jeune fille qui a sa propre philosophie du bonheur.
« C’est l’accumulation des petits moments de bonheur qui nous donne ce
sentiment d’être heureux ».
Mariam n’est pas en fait
la seule à trouver son bonheur dans celui des autres. Une tendance positive
règne parmi beaucoup de jeunes qui essayent de faire des changements dans leur
entourage, comme l’explique Nihal Salah, rédactrice en chef du magazine des
jeunes Kelmetna. « Beaucoup pensent que s’il est difficile de faire des grands
changements sur le plan du pays, cela ne doit pas les empêcher de contribuer à
améliorer leur entourage. Des tentatives de développement social, des
initiatives et des actes de bénévolat loin des institutions lucratives font de
plus en plus leur apparition sur scène et permettront de créer une société
meilleure », dit Nihal, en ajoutant qu’elle observe des airs positifs dans la
société. « Des gens qui essayent d’améliorer leurs compétences et leurs
qualifications personnelles, d’acquérir différentes expériences. Ce qui les
rend des éléments prêts à participer à toutes sortes de développement », dit la
jeune, toujours enthousiasmée et optimiste. Nihal trouve la joie dans la
lecture d’un livre de philosophie ou de la psychanalyse. Cela lui permet de
mieux comprendre l’autre et de connaître ses motifs. Des moments de joie qui
atteignent son comble en jouant à la guitare ou en pratiquant un cours de danse
latine.
« J’adore ce sentiment
d’harmonie dans ces genres de danse. Ça me donne une énergie positive
qui me permet d’assimiler beaucoup de problèmes dans mon quotidien », lance
Nihal.
L’avis du psychiatre
Sentir le bonheur et la
satisfaction proviendrait d’une certaine façon de sortir de sa propre prison.
Une mission qui, selon le psychiatre Ahmad Abdallah, passe par une étape
primordiale,
Pardon et merci
C’était le but de la
campagne récemment lancée par Saqiet Al-Sawi, ce centre culturel situé à
Zamalek au Caire, portant sur l’importance de réintégrer deux mots dans notre
quotidien : pardon et merci.
Le mariage étant devenu de
plus en plus difficile, le couple est donc un enjeu majeur dans l’obtention du
bonheur.
Scruter un bonheur lointain
Om Ibrahim, femme de tenue
et de caractère simple, qui fait le tour de la rue Gameat Al-Doual avec ses
coquillages en main, propose aux passants de leur lire l’avenir. Experte en la
matière, Om Ibrahim assure que la plupart des filles essayent de guetter des
prémices de bonheur dans ces coquillages, en répétant des questions à propos de
l’amour. « Elles parlent des hommes qu’elles aiment et veulent savoir s’ils
sont sérieux, ou à propos d’un indicatif d’amour ou d’une noce éminente », dit
la jeune femme qui trouve son propre bonheur dans son bien-être et celui de ses
enfants. « Avoir du satr (protection) de Dieu pour moi et pour mes cinq
enfants, c’est la grande joie de ma vie », telle est la recette d’Om Ibrahim
qui ressemble à toutes ces mères égyptiennes pour lesquelles le bonheur est de
voir leurs enfants heureux. Rim, mère de 35 ans, assure qu’elle ressent la
véritable joie en voyant ses enfants réaliser des succès dans leurs études ou dans
des concours sportifs. « Parvenir à leur créer des moments de jouissance ou de
satisfaction à travers quelques jours de vacances ou quelques festivités est un
exploit en tant que tel. Car, dans cette période difficile, on vole même la
joie de ces petites créatures. Ces tentatives mettent du baume à mon cœur »,
assure une jeune mère.
Om Racha, une femme pauvre
et divorcée, a trois enfants. Elle assume toute seule leur responsabilité. Son
seul souhait est de voir le sourire se dessiner sur les lèvres de ses enfants
lorsqu’elle rentre en fin de journée de dur labeur avec une poule ou un kilo de
viande en main.
A chacun ses procédés,
d’où sans doute la difficulté de trouver une formule de félicité.
Doaa Khalifa