Tranche de Vie.
Le choix des Egyptiens qui ont décidé de vivre en Israël est
un dilemme quotidien. Un pays avec lequel l’Egypte a signé
des accords de paix mais avec lequel l’opinion publique
refuse toute normalisation vu les exactions sionistes contre
les Palestiniens.
Ces
Egyptiens d’Israël
En
mettant le pied pour la première fois en Israël, Rafiq
Rafael tremblait de peur et se demandait s’il allait revoir
un jour l’Egypte ou s’il mourrait sur cette terre qui lui
paraît inconnue. « Pour moi, Israël a toujours été l’ennemi
qui nous menace, nous les Arabes ». De religion chrétienne,
il voulait tout simplement visiter les Lieux saints.
Aujourd’hui, et presque 15 ans après, il y est toujours.
Rafiq a
fini par s’installer dans cet Etat avec travail, épouse et
quatre enfants qui portent tous la nationalité israélienne,
celle de leur mère.
Rafael,
40 ans, est l’un de ces Egyptiens qui se sont mariés avec
des Israéliennes et ont fini par mener un train de vie
normal en Israël. L’Hebdo les a contactés tous par téléphone.
Un fait
qui peut choquer, surtout en prenant en considération que
l’Etat hébreu est toujours vu comme étant l’ennemi. Un Etat
qui continue à exercer toutes sortes de violations contre
les Palestiniens. Ce qui fait que même si l’Egypte a signé
la paix avec Israël, l’opinion publique refuse toute
normalisation. Une position de refus qui a été couronnée
l’an dernier par un jugement de la justice administrative
exigeant de retirer la nationalité égyptienne à tout citoyen
égyptien ayant épousé une Israélienne.
Le but
était de limiter ce phénomène du départ des jeunes Egyptiens
allant à la recherche d’un gagne-pain en Israël. Un voyage
qui se termine souvent par le même scénario. La plupart
d’entre eux décident de s’installer là-bas et se marient
avec des femmes israéliennes.
Pourtant,
il y a moins d’un mois, la justice administrative a décidé
que ces Egyptiens ayant épousé des Israéliennes peuvent
toujours garder leur nationalité. Une action qui
s’appliquera à la suite sur les enfants des Egyptiens nés de
mère israélienne et qui portent automatiquement la
nationalité de leur mère.
« Au
début, cet Etat était pour moi l’inconnu, l’absurde et
surtout l’ennemi. Jamais je ne pensais que j’allais
m’installer ici. Je suis venu en Israël pour trouver un
emploi et améliorer mes conditions de vie, comme tous ceux
qui décident de partir aux Etats-Unis, au Canada ou dans
l’un des pays du Golfe », confie Rafiq qui a commencé sa vie
professionnelle au Caire comme serveur dans un hôtel.
Aujourd’hui, il travaille toujours dans le domaine du
tourisme, mais à la ville de Nazareth, habitée uniquement
par une population arabe.
Rafiq ne
voulait ni transgresser les lois ni travailler au noir. Il a
donc tout fait pour rendre sa résidence là-bas légale. Il
décida donc de se marier avec une Israélienne, le plus court
chemin pour obtenir le droit de résidence.
Mais les
choses n’ont pas été aussi faciles. Pour un copte comme lui,
il n’avait pas le droit de divorcer et savait que cette
alliance allait durer à jamais.
« Je
n’ai jamais planifié de continuer ma vie là-bas. La preuve :
je suis rentré au Caire avec ma femme en 1999, avec
l’intention d’y rester. Mais, on a découvert qu’on n’était
pas les bienvenus et qu’on n’avait qu’un seul choix, celui
de repartir en Israël », avance Rafiq.
Sa vie
en Israël et son mariage avec une femme israélienne ont
accentué les craintes chez son entourage. Dans son travail,
la direction de l’hôtel et même ses proches, tout le monde
le poussait à repartir là-bas. Au niveau de son entourage,
on le traitait ainsi que sa famille avec suspicion, « comme
si nous étions tous des agents ».
« Mes
enfants n’avaient aucune chance de continuer leur éducation
en Egypte à cause de la nationalité de leur mère, et pour la
même raison ils n’auraient jamais eu l’occasion de faire
leur vie dans mon pays natal », confie-t-il. Face à de tels
faits, Rafiq a donc décidé de planifier son avenir en Israël.
En effet,
si le mariage mixte est facilement toléré en Egypte,
lorsqu’il s’agit d’une Israélienne, les choses sont
différentes, vu que la question palestinienne est brûlante
et que les exactions israéliennes, comme la guerre contre
Gaza en 2008, ravivent constamment la tension.
30 ans
après la signature des accords de paix (Camp David),
l’opinion publique demeure opposée à la position officielle
de l’Etat.
En effet,
il n’existe pas de chiffres précis sur le nombre d’Egyptiens
installés en Israël et mariés à des Israéliennes. Mais
certains avancent le chiffre de 30 000, comme le député
Moustapha Bakri, ayant abordé le sujet au Parlement.
Or,
selon des chiffres israéliens, ils ne seraient qu’au nombre
de 10 000 répartis dans les différentes villes. Mais d’après
Choukri Al-Chazli, un Egyptien vivant à Israël depuis 20 ans
et le chef de la communauté égyptienne à Jérusalem, le
nombre des Egyptiens installés en Israël ne dépasse pas les
7 000. Ce chiffre représente uniquement ceux qui résident en
Israël d’une façon légale et détiennent des papiers de
résidence et des permis de travail.
Choukri,
qui possède une librairie à Nazareth et qui travaillait au
Caire dans le domaine du tourisme, a épousé une Israélienne
en 1989. Après une longue histoire d’amour, le couple a
passé les cinq premières années de mariage en Egypte. Mais,
ce n’est que dans les années 1990 que les choses sont
devenues plus compliquées. « En renouvelant la résidence de
ma femme, on nous mettait à chaque fois les bâtons dans les
roues, jusqu’au jour où on m’a franchement annoncé que nous
n’avons que deux choix : divorcer ou quitter le pays dans 48
heures au maximum », se rappelle-t-il.
Il a
donc décidé de partir. Accompagné de sa femme et de ses
enfants, il a été choqué d’apprendre que nombreux sont ceux
qui partagent le même sort.
D’après
Choukri, c’est dans les années 1990 que l’immigration des
Egyptiens vers l’Etat hébreu a vu une hausse importante et a
atteint les 30 000.
En 2000,
une vague de violence touchait tout ce qui est arabe et les
Egyptiens ont dû fuir ces circonstances.
« Avant
cette date, les Egyptiens vivaient en paix, même à Tel-Aviv.
Mais leur nombre n’a cessé de diminuer et tous ceux qui ne
possédaient pas de papiers officiels étaient condamnés à
quitter le pays », explique Choukri.
Le vague
à l’âme quand même !
Mais
avec la politique de recourir à la main-d’œuvre locale
adoptée par les pays arabes et la guerre en Iraq, où
travaillaient environ 2 millions d’Egyptiens, certains
d’entre eux ont pensé à Israël comme destination.
A
l’époque de Atef Ebeid (1999- 2004), les conditions du
départ des Egyptiens vers Israël ont été plus simples. Ce
qui encourageait les jeunes Egyptiens à partir. Le mariage
avec des Israéliennes était leur astuce pour s’intégrer dans
le pays et garantir l’obtention des papiers de résidence en
un temps record.
En
Israël, ces jeunes se sont fait une petite place. « Tous les
Egyptiens qui vivent ces mêmes conditions se connaissent. On
s’échange les visites ainsi que les expériences pour se
soutenir », lance Choukri. Tous les vendredis, ils se
rassemblent dans un café en ville.
Ils font
tout pour justifier leur choix, même si le ton qu’ils
adoptent laisse paraître un certain sentiment de culpabilité.
« Est-ce que parmi les espions arrêtés par les agences de
sécurité ont figuré des Egyptiens mariés avec des
Israéliennes ? La réponse est non. Alors pourquoi toutes ces
craintes et tous ces regards de mépris alors que tout notre
rêve était de mener une vie meilleure, que ce soit en Israël
ou ailleurs ? », lance Hicham pour convaincre ceux qui
l’accusent d’avoir trahi son pays.
Il
partage le même avis que tous ceux qui ont épousé des
Israéliennes et se sont installés en Israël. Pour eux, il ne
faut pas considérer comme un crime le fait de vivre dans un
pays avec lequel on a signé un accord de paix.
Père de
deux enfants, Hicham considère sa décision comme courageuse
et ne cesse d’énumérer les privilèges qu’il en a tirés.
Il
n’empêche que nombreux sont les Egyptiens qui regrettent
cette décision et qui n’hésitent pas à le dire. « Je n’ose
pas conseiller à un cousin ou un ami de venir vivre ici,
même si le niveau de vie est meilleur. Il doit savoir qu’il
affrontera beaucoup d’obstacles et qu’un jour, il devra
faire le choix entre les deux pays », explique Choukri.
Même en
Israël, et malgré tous les privilèges qui leur sont offerts,
ils restent aux yeux de la société des citoyens de second
degré. Il leur est interdit de fréquenter des
administrations stratégiques et délicates telles que la
direction de l’aéroport et celle de l’électricité.
Aujourd’hui, il est difficile de juger s’ils sont satisfaits
de leur choix. Mais, ce qui est évident, c’est que des
centaines d’enfants ont été le fruit de ces mariages. Ces
enfants savent qu’ils appartiennent à deux pays très
différents l’un de l’autre. En effet, leurs parents font
tout pour leur prouver qu’il existe des accords de paix
entre ces deux parties. Leur objectif étant de ne pas créer
chez leurs enfants un sentiment d’animosité envers le pays
dans lequel ils vivent et dont ils portent la nationalité.
Partagés
entre deux identités, ils seront peut-être un jour obligés
de répondre à l’appel du devoir et rejoindre l’armée
israélienne. Un fait qui semble choquer Rafiq, qui confie ne
pas avoir pris en compte ce fait en faisant ce choix.
Avec une
voix tremblotante à l’autre bout du fil, il conclut : « Mes
salutations pour L’Egypte et pour tous les Egyptiens ».
Hanaa
Al-Mekkawi