Al-Ahram Hebdo,Arts | L’Arabie saoudite lâche du lest
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 30 décembre 2009 au 5 janvier 2010 2009, numéro 799

 

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Arts

Cinéma. A l’heure où les Saoudiens sont les champions des chaînes satellites arabes, le cinéma demeure encore interdit au Royaume wahhabite. Mais les choses commencent à bouger.

L’Arabie saoudite lâche du lest

Après de longues années d’interdiction et d’isolement intellectuel, la société saoudienne s’apprête à une sorte de nouvelle vie cinématographique. Ce, après 30 ans de repos, car la première projection publique a eu lieu vers la fin des années 1970. Depuis, les autorités religieuses ont estimé que le cinéma était trop subversif. Néanmoins, les choses sont désormais en train de changer et les salles sont déjà opérationnelles dans les grands centres commerciaux du royaume. On n’attend plus que le feu vert des autorités. « C’est inévitable, nous avons le droit de s’exprimer sur le grand écran comme on le fait depuis des années à travers la télé », affirme le comédien saoudien Khaled Sami, une star des téléfeuilletons.

D’une superficie de 2,24 millions kilomètres carrés, l’Arabie saoudite compte 22,7 millions d’habitants et trois ou quatre salles de cinéma uniquement, malgré un engouement croissant pour le 7e art. Cinq nouveaux films sont actuellement en préparation. « Nous sommes en train de préparer la production de deux longs métrages : Al-Nahar (le jour) d’Ahmad Al-Nasser et Nadam al-senine (le regret des années) du jeune syro-saoudien Khedr Taha », affirme Saleh Abdallah, homme d’affaires, se qualifiant de « grand cinéphile ».

Un troisième film est en train d’être tourné en Jordanie : un polar abondant d’aventures. De quoi nécessiter des permissions officielles, presqu’impossibles en Arabie saoudite. Deux autres longs métrages sont en casting et seront en tournage dans environ trois mois, avec comme but de présenter des idées librement sur les écrans locaux. « Il est insupportable de rester à l’écart du monde et de demeurer enfermé. Le cinéma est comme la télévision, un moyen d’expression, de créativité et de divertissement. Notre société ne manque pas de talents pour qu’on ne soient que de simples récepteurs, il est temps de changer et de défendre notre droit à l’expression », insiste le producteur saoudien.

En quête de salles

La réalité est toute autre. Jusque-là, les habitants du royaume étaient contraints de se rendre dans les pays voisins pour regarder des films en salle (souvent au Bahreïn ou aux Emirats arabes unis). Un parcours presque habituel pour les jeunes cinéphiles, qui a même inspiré certains cinéastes saoudiens. Mais, c’est le documentaire Cinéma à 500 km qui illustre le mieux la situation cinématographique du pays. Il raconte l’histoire de deux jeunes Saoudiens cinéphiles qui ont commencé, il y a plusieurs années, à regarder des films et sont aujourd’hui critiques dans la presse arabe. Toutes les fois qu’ils doivent rédiger un article, ils doivent alors se rendre à un pays voisin ou à l’étranger pour visionner les films. Dans son premier docu-fiction autobiographique, le réalisateur Abdullah Al-Eyaf, né en 1976, emmène les spectateurs dans une sorte de road-movie à travers le désert, de Riyad jusqu’au Bahreïn, pour le grand plaisir de voir un film.

Petit à petit et au grand dam des conservateurs, de petites brèches sont creusées. Il y a déjà deux salles de cinéma reconnues par les autorités saoudiennes, à savoir la salle Al-Hamra, dans un quartier résidentiel de Djeddah, et la salle du Centre culturel du roi Fahd, au centre de la capitale Al-Riyad. C’était là que des centaines de Saoudiens ont assisté depuis quelques mois à la projection du film Manahi (pour la première fois depuis 30 ans).

Plus de 300 spectateurs, tous des hommes, rassemblés dans le vaste centre culturel, ont applaudi à tout rompre lorsque les premières images de Manahi ont défilé sur écran. Des centaines de Saoudiens ont défié alors un petit groupe de protestataires ultraconservateurs à Riyad pour assister à la projection. « Il a fallu cinq mois pour obtenir l’autorisation du gouvernement », avoue le porte-parole de la société de production. Entre-temps, des tentatives de projeter le film dans d’autres villes ont été bloquées par les autorités religieuses, accroissant l’enjeu de la projection à Riyad.

Le film, inspiré d’une série télévisée et produit par la société Rotana, dont le propriétaire est le prince Al-Walid bin Talal, dépeint les aventures comiques d’un paysan naïf prénommé Manahi.

Ce long métrage, dont l’équipe regroupe plusieurs nationalités, a été diffusé huit fois par jour pendant dix jours, selon les organisateurs. Cette comédie produite localement a été également projetée dans deux centres culturels à Djeddah et Taëf, devant un public mixte, brisant encore plus les tabous. Le grand mufti, le cheikh Abdel-Aziz Al-Cheikh, n’a fait aucun commentaire sur la mixité.

Qualité encore modeste

Les films saoudiens produits jusqu’à nos jours se caractérisent par la simplicité et la modestie de leurs idées ainsi que de leur niveau artistique. L’idée derrière l’initiative du film Manahi mérite d’être reconnue et appréciée, même s’il ne surpasse pas la comédie bouffonne. Même le film Keif al-hal (comment ça va ?), produit également par Rotana et projeté dans le marché du Festival de Cannes en 2006, a des idées qui plongent dans des thèmes très locaux. C’est pourquoi les Saoudiens l’ont vu dans les salles du Bahreïn, avec dérision et étonnement, alors que l’œuvre avait pour ambition de montrer la tension entre modérés et extrémistes religieux en Arabie saoudite. Le scénario, signé par des plumes libanaises et égyptiennes, a abordé les diverses composantes de la société saoudienne, des plus religieuses aux plus libérales.

Mais, c’est Abdullah Al-Moheysen qui signe le premier film purement saoudien, Les Ombres du silence. L’histoire est une parabole qui en dit beaucoup sur l’état de la culture et du savoir dans le royaume. Des intellectuels, artistes et savants sont rassemblés tout en étant perdus dans le désert. Ils essayent alors de s’en échapper, chacun selon sa culture et ses traditions.

La Saoudienne la plus connue dans le monde du cinéma c’est Haïfa Mansour, qui a produit l’an dernier un documentaire controversé, Nisaa bila zel (femmes sans ombre). Un film dans lequel un religieux réformiste déclare qu’il n’est pas obligatoire pour les femmes de se couvrir le visage en public. Un sujet toujours moraliste et local, qui a provoqué certes un tollé parmi les religieux du royaume.

Le film a été projeté dans 17 festivals de par le monde et Haïfa Mansour se dit optimiste quant à l’évolution de son pays en raison des réformes lancées par le roi Abdallah et ajoute qu’elle continuera à produire des films. « C’est d’après un point de vue non arabe ou non musulman qu’on parle souvent de l’Arabie saoudite, nous voulons raconter une histoire différente, vue par les Saoudiens », conclut la réalisatrice.

Yasser Moheb

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Festivals en survivance

Les cinéastes saoudiens, qui ont longtemps souffert pour trouver projeter leurs films localement, revendiquent la création de festivals locaux.

Il est vrai que deux festivals ont été lancés en Arabie saoudite, depuis quatre ans, à savoir le Festival de film de Djeddah et La compétition des films saoudiens. Toutefois, ces deux manifestations ont été malheureusement annulées cette année, portant un coup dur aux espoirs des réformistes.

Le Festival de Djeddah regroupe les cinéastes et acteurs de l’Arabie saoudite et présente une occasion de faire connaître les jeunes cinéastes locaux, les aidant à rencontrer leurs pairs dans les autres pays. Néanmoins, le gouvernorat de Djeddah a informé la direction du festival de l’annulation de l’événement la veille de son ouverture en juillet, après avoir reçu des instructions officielles.

Les conservateurs croient que les films en provenance des pays arabes libéraux pourraient briser les tabous religieux. Le chemin paraît encore long et personne n’a la certitude d’un véritable essor, en raison de l’opposition acharnée des hommes de religion, les motawës, ultraconservateurs.

« Notre société souffre de plus en plus de l’intervention de ces gens dans nos mentalités et nos plans de créativité », rétorque le scénariste et écrivain Magued Al-Chahrani. Et d’ajouter : « C’est pourquoi on a décidé de défendre nos droits à la culture et à l’expression par la préparation d’une nouvelle édition du festival de Djeddah, qui sera lancé pendant les quelques premières semaines de 2010 », affirme-t-il d’un ton rassuré.

« Il y a un certain bouillonnement et un vrai désir parmi les jeunes de faire des films. Ces salles existent et bien qu’il y ait une pression contre leur ouverture, il n’y a pas de loi spécifique qui les interdise. Elles fonctionnent de temps à autre avec des dessins animés pour enfants », explique-t-il. Et de conclure : « Le problème de la société saoudienne avec l’art, c’est que la moitié le considère comme contraire aux valeurs religieuses et les autres pensent que c’est honteux ».

De leur part, quelques responsables de l’Etat saoudien viennent de déclarer, la semaine dernière, leur respect pour le cinéma en tant qu’art, tout en soulignant leur méfiance quant à ses impacts sur la jeune génération frustrée.

« Nous n’avons rien contre le cinéma s’il montre le bien et ne viole pas la loi islamique », déclare l’un des chefs de la police municipale à Djeddah.

Pour dire que les choses évoluent certes, mais la partie n’est pas gagnée.

 




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