Cinéma.
A
l’heure où les Saoudiens sont les champions des chaînes
satellites arabes, le cinéma demeure encore interdit au
Royaume wahhabite. Mais les choses commencent à bouger.
L’Arabie saoudite lâche du lest
Après
de longues années d’interdiction et d’isolement intellectuel,
la société saoudienne s’apprête à une sorte de nouvelle vie
cinématographique. Ce, après 30 ans de repos, car la
première projection publique a eu lieu vers la fin des
années 1970. Depuis, les autorités religieuses ont estimé
que le cinéma était trop subversif. Néanmoins, les choses
sont désormais en train de changer et les salles sont déjà
opérationnelles dans les grands centres commerciaux du
royaume. On n’attend plus que le feu vert des autorités. «
C’est inévitable, nous avons le droit de s’exprimer sur le
grand écran comme on le fait depuis des années à travers la
télé », affirme le comédien saoudien Khaled Sami, une star
des téléfeuilletons.
D’une
superficie de 2,24 millions kilomètres carrés, l’Arabie
saoudite compte 22,7 millions d’habitants et trois ou quatre
salles de cinéma uniquement, malgré un engouement croissant
pour le 7e art. Cinq nouveaux films sont actuellement en
préparation. « Nous sommes en train de préparer la
production de deux longs métrages : Al-Nahar (le jour)
d’Ahmad Al-Nasser et Nadam al-senine (le regret des années)
du jeune syro-saoudien Khedr Taha », affirme Saleh Abdallah,
homme d’affaires, se qualifiant de « grand cinéphile ».
Un
troisième film est en train d’être tourné en Jordanie : un
polar abondant d’aventures. De quoi nécessiter des
permissions officielles, presqu’impossibles en Arabie
saoudite. Deux autres longs métrages sont en casting et
seront en tournage dans environ trois mois, avec comme but
de présenter des idées librement sur les écrans locaux. « Il
est insupportable de rester à l’écart du monde et de
demeurer enfermé. Le cinéma est comme la télévision, un
moyen d’expression, de créativité et de divertissement.
Notre société ne manque pas de talents pour qu’on ne soient
que de simples récepteurs, il est temps de changer et de
défendre notre droit à l’expression », insiste le producteur
saoudien.
En quête
de salles
La
réalité est toute autre. Jusque-là, les habitants du royaume
étaient contraints de se rendre dans les pays voisins pour
regarder des films en salle (souvent au Bahreïn ou aux
Emirats arabes unis). Un parcours presque habituel pour les
jeunes cinéphiles, qui a même inspiré certains cinéastes
saoudiens. Mais, c’est le documentaire Cinéma à 500 km qui
illustre le mieux la situation cinématographique du pays. Il
raconte l’histoire de deux jeunes Saoudiens cinéphiles qui
ont commencé, il y a plusieurs années, à regarder des films
et sont aujourd’hui critiques dans la presse arabe. Toutes
les fois qu’ils doivent rédiger un article, ils doivent
alors se rendre à un pays voisin ou à l’étranger pour
visionner les films. Dans son premier docu-fiction
autobiographique, le réalisateur Abdullah Al-Eyaf, né en
1976, emmène les spectateurs dans une sorte de road-movie à
travers le désert, de Riyad jusqu’au Bahreïn, pour le grand
plaisir de voir un film.
Petit à
petit et au grand dam des conservateurs, de petites brèches
sont creusées. Il y a déjà deux salles de cinéma reconnues
par les autorités saoudiennes, à savoir la salle Al-Hamra,
dans un quartier résidentiel de Djeddah, et la salle du
Centre culturel du roi Fahd, au centre de la capitale
Al-Riyad. C’était là que des centaines de Saoudiens ont
assisté depuis quelques mois à la projection du film Manahi
(pour la première fois depuis 30 ans).
Plus de
300 spectateurs, tous des hommes, rassemblés dans le vaste
centre culturel, ont applaudi à tout rompre lorsque les
premières images de Manahi ont défilé sur écran. Des
centaines de Saoudiens ont défié alors un petit groupe de
protestataires ultraconservateurs à Riyad pour assister à la
projection. « Il a fallu cinq mois pour obtenir
l’autorisation du gouvernement », avoue le porte-parole de
la société de production. Entre-temps, des tentatives de
projeter le film dans d’autres villes ont été bloquées par
les autorités religieuses, accroissant l’enjeu de la
projection à Riyad.
Le film,
inspiré d’une série télévisée et produit par la société
Rotana, dont le propriétaire est le prince Al-Walid bin
Talal, dépeint les aventures comiques d’un paysan naïf
prénommé Manahi.
Ce long
métrage, dont l’équipe regroupe plusieurs nationalités, a
été diffusé huit fois par jour pendant dix jours, selon les
organisateurs. Cette comédie produite localement a été
également projetée dans deux centres culturels à Djeddah et
Taëf, devant un public mixte, brisant encore plus les
tabous. Le grand mufti, le cheikh Abdel-Aziz Al-Cheikh, n’a
fait aucun commentaire sur la mixité.
Qualité
encore modeste
Les
films saoudiens produits jusqu’à nos jours se caractérisent
par la simplicité et la modestie de leurs idées ainsi que de
leur niveau artistique. L’idée derrière l’initiative du film
Manahi mérite d’être reconnue et appréciée, même s’il ne
surpasse pas la comédie bouffonne. Même le film Keif al-hal
(comment ça va ?), produit également par Rotana et projeté
dans le marché du Festival de Cannes en 2006, a des idées
qui plongent dans des thèmes très locaux. C’est pourquoi les
Saoudiens l’ont vu dans les salles du Bahreïn, avec dérision
et étonnement, alors que l’œuvre avait pour ambition de
montrer la tension entre modérés et extrémistes religieux en
Arabie saoudite. Le scénario, signé par des plumes
libanaises et égyptiennes, a abordé les diverses composantes
de la société saoudienne, des plus religieuses aux plus
libérales.
Mais,
c’est Abdullah Al-Moheysen qui signe le premier film
purement saoudien, Les Ombres du silence. L’histoire est une
parabole qui en dit beaucoup sur l’état de la culture et du
savoir dans le royaume. Des intellectuels, artistes et
savants sont rassemblés tout en étant perdus dans le désert.
Ils essayent alors de s’en échapper, chacun selon sa culture
et ses traditions.
La
Saoudienne la plus connue dans le monde du cinéma c’est
Haïfa Mansour, qui a produit l’an dernier un documentaire
controversé, Nisaa bila zel (femmes sans ombre). Un film
dans lequel un religieux réformiste déclare qu’il n’est pas
obligatoire pour les femmes de se couvrir le visage en
public. Un sujet toujours moraliste et local, qui a provoqué
certes un tollé parmi les religieux du royaume.
Le film
a été projeté dans 17 festivals de par le monde et Haïfa
Mansour se dit optimiste quant à l’évolution de son pays en
raison des réformes lancées par le roi Abdallah et ajoute
qu’elle continuera à produire des films. « C’est d’après un
point de vue non arabe ou non musulman qu’on parle souvent
de l’Arabie saoudite, nous voulons raconter une histoire
différente, vue par les Saoudiens », conclut la
réalisatrice.
Yasser Moheb