Exposition.
25 artistes incitent à la réflexion et nous tracent les
contours de corps transparents et d’une nouvelle réalité.
Vacuité d’un corps invisible
Dans
un lieu magnifique, le palais arabe de Maalawiya, aménagé en
centre de restauration, de spectacle et d’art, l’idée d’une
exposition sur le thème du « Corps invisible dans l’Egypte
d’aujourd’hui » semble insolite et merveilleuse à la fois.
Telle une boîte de Pandore, les petites pièces obscures ou
éclairées de ce palais, portant en leur sein un univers de
possibles en vidéos, installations, peintures, photos et
sculptures, se succèdent dans une multitude de variations où
la solitude et le vide et une certaine souffrance, mais
aussi beaucoup de dépression, planent dans les airs. Tel est
le paradoxe d’un monde où les vestiges d’hier sont ouverts
et aérés, tout en beauté et en grâce et où notre monde
d’aujourd’hui semble fermé, en attente de quelque chose
pouvant remplir cette vacuité qui pèse de partout malgré un
corps qui regorge de vêtements et d’absence d’identité.
Autour de ce thème extrêmement important et dont l’idée est
certes à saluer par la galerie Machrabiya en la personne de
Stefania Angarano et de ses tenants, des artistes, jeunes et
moins jeunes, ont travaillé sur un thème audacieux et
contemporain. Quels que soient leurs matériaux, ils ont
essayé de puiser en eux ce que leur monde d’aujourd’hui,
surtout le monde virtuel de l’Internet, leur communique.
Mais déjà parler de communication est étrange dans cette
panoplie d’œuvres qui nous fixe comme devant une caméra
invisible, et de ces êtres qui, souvent seuls ou accompagnés
d’autres personnes aussi seules qu’elles, nous regardent
avec détresse. Un amalgame de solitude conjuguée dans tous
les temps.
Si
quelques œuvres n’ont pas respecté le thème de l’exposition
et se sont étendues plutôt sur leurs états d’âme, elles
restent néanmoins proches de l’idée par cette sensation
forte qui vous accompagne de pièce en pièce. Malgré la
vacuité intérieure de ces corps étendus sur le sol chez Hani
Rashed, l’attente de Chérif Al-Azma, qui perdure dans les
terrains vagues d’un désert intérieur et extérieur, est
accompagnée de chiens et d’autres hommes uniquement, en
l’absence de toute femme. Ils regardent au loin ou en
eux-mêmes, vers un ailleurs qui pourrait changer la donne
dans une installation très intéressante où la maquette de la
ville est omniprésente et bruyante, mais néanmoins vide et
sourde.
Les
vêtements de Amr Kafraoui habitent des corps survêtus, sans
beauté avec des femmes et des hommes qui nous regardent sans
sourire. Les photos de famille ou d’amis d’Ahmad Kamel qu’on
récupère sur le Facebook, baignées dans la grisaille et le
manque d’authenticité d’un monde qui devient de plus en plus
artificiel et mensonger, nous apparaissent au travers d’une
pellicule au lieu de prendre corps dans la réalité.
L’installation de Nermine Al-Ansary, intelligente et subtile,
est créée à travers une pièce aux murs noirs dont les
dessins à la craie blanche et aux touches phosphorescentes
sont accompagnés d’une musique lancinante. Elle évoque
encore plus la vacuité d’un lieu où les êtres humains ont
disparu pour laisser l’absence régner, avec des rappels à
travers le cadre d’un homme sur un mur ou d’une salle à
manger vide ou encore d’homme sévère un marteau à la main,
que les temps ont changé. Vestiges de lieux sans corps et
réalité assourdissante, telle est la sensation qui
s’infiltre en vous.
Pourtant,
les artistes plus âgés comme Suzanne Al-Masri, et surtout
Adel Al-Siwy, dont les superbes panneaux en couleurs chaudes
reflètent un univers où des êtres, même s’ils n’apparaissent
pas clairement, ont la latitude de s’étreindre ou encore de
s’afficher telle cette danseuse orientale, vêtue de son
costume, apparaît à travers un voile léger. Suzanne Al-Masry
incruste sur un buste les images nostalgiques de ses
souvenirs d’une ville où le passé reste le refuge à un monde
fermé. A travers ces deux artistes, la vacuité du présent
est remplacée par les touches bénéfiques d’un passé dont on
pourrait faire usage pour aller de l’avant.
Néanmoins, tous les artistes se sont plutôt penchés sur les
retombées d’un corps qui se cache de plus en plus et qui
cache par le fait même sa crainte du monde, sans aller
directement à certaines raisons politiques ou autres de cet
enfermement. La spécificité des lieux, le voile, le niqab ou
les autres formes d’emprisonnement, d’intolérance d’idées ou
d’intégrismes de la pensée sont évoquées de loin. Rania
Ezzat, qui habite à l’étranger, montre des femmes devenues
des pots de fleurs et des objets. Un panneau présente une
panoplie de portraits de femmes minuscules dans les
différents accoutrements de notre société moderne. Et Ahmad
Sabri se joue du niqab et de la nudité en montrant dans sa
vidéo des scènes de films où l’on pourrait deviner la grande
comédienne Soad Hosni et Ezzat Al-Alayali dans le film de
Youssef Chahine travestis dans des vêtements ultra-religieux
avec barbes et un niqab, tout en évoquant, en un clin d’œil,
un monde sexuellement débridé malgré les apparences qui
rappellent ceux de Mahfouz.
Toutefois, cette exposition, dans son ensemble, est le
reflet d’un moment où les jeunes ne rêvent pas trop. Il n’y
a pas d’avenir qui se dessine à l’horizon et le rêve ne
revêt pas l’image d’une motivation capable de transformer le
présent, mais celle d’une simple évasion. Comme c’est le cas
pour la vidéo de Hala Al-Koussy, qui affirme, comme dans un
court métrage, la réalité-monde qui n’offre rien aux jeunes
si ce n’est de se déconnecter de la réalité.
Passivité, dépression ou facilité ? On ne le sait pas.
Cependant, cette exposition dénude les états d’âme habillés
de couches de tissus et l’opacité du monde d’aujourd’hui en
Egypte.
Soheir Fahmi