Guinée.
Le premier anniversaire de la prise du pouvoir par la junte
militaire s’inscrit dans un contexte politique extrêmement
tendu. Les promesses du dirigeant par intérim, le général
Sékouba Konaté, de tenir des élections libres n’apaisent en
rien la situation.
L’impasse comme mot d’ordre
Il
y a tout juste un an, la junte militaire prenait le pouvoir
par la force en Guinée, suite à la mort du président Lansana
Conté, le 22 décembre 2008, après 24 ans à la tête du pays.
Un premier anniversaire qui prend des allures sinistres. En
effet, il intervient alors que l’impasse politique est
totale. Impasse dans les négociations entre la junte et
l’opposition. Impasse également en raison de l’attentat
perpétré il y a plus de trois semaines contre le chef de la
junte, Dadis Camara. Le capitaine Dadis Camara, actuellement
hospitalisé au Maroc, se sentirait mieux et aurait manifesté
le désir de revenir à Conakry. Pour de nombreux observateurs,
dont le ministre français des Affaires étrangères, Bernard
Kouchner, un éventuel retour risquerait de provoquer une
guerre civile en Guinée. A cela s’ajoute une autre donne
importante : un rapport de l’Onu, rendu public la semaine
dernière, a établi l’implication formelle de Camara dans le
massacre de civils perpétré le 28 septembre dernier dans le
stade de Conakry. Le rapport accuse les plus hautes
autorités guinéennes de crimes contre l’humanité. Il
détaille les atrocités commises et donne un bilan d’au moins
« 156 morts ou disparus » et d’au moins 109 femmes ou jeunes
filles victimes de viols, de mutilations sexuelles et
d’esclavage sexuel. Qui plus est, la commission d’enquête
réclame la saisine de la Cour Pénale Internationale (CPI) et
nomme plusieurs personnes de l’entourage direct de Dadis
Camara, notamment le lieutenant Aboubacar Diakité, dit «
Toumba », chef de la garde présidentielle au moment du
massacre, comme présumés responsables, avec lui, de ces «
crimes contre l’humanité ».
Véritable impasse donc pour la junte au pouvoir. Depuis que
le patron est loin de Conakry, on se demandait ce qu’allait
faire son intérimaire, le général Sékouba Konaté, dit « Le
Tigre », et le ministre de la Défense. Face au danger
qu’affronte le pays, Konaté a voulu faire preuve de
modération, peut-être est-ce pour confirmer sa réputation
d’homme plus conciliable que Dadis. Il a ainsi appelé au «
pardon » et à « l’indispensable réconciliation » nationale
près de trois mois après le massacre de Conakry. Mais il a
surtout promis, lors d’un discours dans le principal camp
militaire de la capitale Conakry, de tenir « le plus tôt
possible les élections libres et démocratiques » jamais
organisées en Guinée depuis les indépendances. Pour lui, il
s’agit là d’une préoccupation de la junte et il a demandé
aux partis politiques, à la société civile et à la
communauté internationale d’accompagner en conséquence la
Guinée pour l’atteinte de cet objectif. Il a insisté et
martelé qu’organiser les élections demeure « notre mission
et que rien ni personne ne pourra nous distraire ni nous
éloigner de cet idéal ». Et de proclamer : « Nos élus se
sentiront légitimes autant que nos institutions quand ils
seront l’émanation du peuple. La Guinée a besoin de
dirigeants légitimes et d’institutions fortes, tel est le
tracé de notre lutte que nous avons initiée ensemble le 23
décembre 2008 ».
Promesses de démocratisation
Reste à
savoir quand et comment ce scrutin sera organisé et qui en
seront les candidats. La junte présentera-t-elle un candidat
ou pas ? Le général Konaté n’a rien mentionné à cet effet.
Avec le peu de chance d’un retour aux affaires de Dadis, le
nouveau chef va-t-il se découvrir un destin présidentiel ou
va-t-il respecter les engagements initiaux du Conseil
National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) à
savoir organiser les élections et partir ? Pour l’instant,
tout cela est encore vague et imprécis.
Au cours
de cette année, après des promesses habituelles de
démocratisation et de pouvoir « bientôt » rendu aux civils,
d’arrêt de la corruption ou du trafic de drogue, les
militaires n’ont eu de cesse en réalité de se servir du
régime à leur profit, plongeant la Guinée dans le chaos.
Comme souvent en Afrique, le contrôle du pouvoir se traduit
par la mainmise d’une ethnie sur les ressources du pays. Le
premier président Sékou Touré était Malinké et s’est entouré
des siens pour asseoir son pouvoir de terreur. Lansana Conté,
son successeur dans la dictature, n’a eu de cesse « d’épurer
» l’administration pour placer des Soussous, son ethnie.
Dadis Camara vient lui de la Guinée forestière et, derrière
les barbelés de son camp Alpha Yaya Diallo à la sortie de
Conakry, avait constitué une annexe présidentielle autour de
son ethnie et de ses bérets rouges. Jusqu’à ce que son ami
et aide de camp, Aboubacar Sidiki Diakité, tente de
l’assassiner le 3 décembre.
D’autre
part, l’argent est sans doute, comme souvent, le nerf de la
guerre : détenir le pouvoir en Guinée signifie mettre la
main sur le magot des ressources naturelles. La Guinée est
en effet le deuxième producteur et le premier exportateur de
bauxite au monde, avec les réserves les plus importantes.
Mais la Guinée est aussi les diamants, l’or, le fer, le
trafic de drogue et bientôt, au large, le pétrole.
Abir
Taleb