Pollution.
Le quartier de l’Est de Madinet Nasr a lancé tambour battant
une campagne d’assainissement pour préserver l’environnement.
Mais la réalité sur le terrain n’a pas changé. Reportage.
Une
campagne fictive
Il
est 10h. Tout est naturel dans le bâtiment de la
municipalité du quartier Est de Madinet Nasr qui vient
d’annoncer le lancement d’une campagne d’assainissement qui
durera deux semaines dans le but d’enlever les montagnes
d’ordures et de poussières dans le quartier et apporter la
propreté dans les rues. La campagne est organisée par la
branche de l’Est de Madinet Nasr dépendant de l’Organisme
général de la propreté et de l’embellissement du Caire.
En se
dirigeant vers ce bureau, dans la rue Mohamad Youssef Moussa,
une dizaine de balayeurs avec leurs balais et leurs sacs
s’affairant à nettoyer.
L’état
lamentable dans lequel étaient ces balayeurs laisse douter
de leur capacité de venir à bout de cette tâche. Leurs
uniformes étaient sales, ils ne portaient pas de gants et
ils n’avaient pas de masques pour se protéger de la
poussière grise de la rue.
La rue
Mohamad Youssef Moussa est l’une des plus grandes artères de
l’Est de Madinet Nasr. Sa longueur dépasse les 600 mètres et
sa largeur est d’à peu près 50 mètres.
Des tas
de poussière grise étaient accumulés partout, et le passage
des véhicules les dispersait et laissait monter un nuage de
fumée noire dans la rue.
« Je
dois passer l’aspirateur deux fois par jour, car j’habite le
premier étage et j’ai un enfant asthmatique ! », se plaint
Mme Mona, une habitante de la rue.
En effet,
les balayeurs n’étaient pas au courant et ne savaient rien à
propos de la campagne de propreté lancée récemment dans ce
quartier.
« Nous
faisons partie du département du sauvetage central de
l’Organisme général de la propreté et de l’embellissement du
Caire. Nous sommes envoyés chaque jour dans un endroit
différent : est, ouest, nord ou sud », avance Ahmad, un des
éboueurs.
Ce
groupe de balayeurs devrait travailler de 8h à 14h. « La
plupart d’entre nous habite à l’extérieur du Caire, dans des
gouvernorats comme Ménoufiya, Fayoum et Qalioubiya. On se
réveille tôt et on rentre tard et nos salaires sont
dérisoires », souligne un des balayeurs, qui affirme qu’il
salirait la rue plutôt que de nettoyer, pour se venger de
cette société qui le sous-estime.
Un autre
enchaîne : « Ces rues très sales devraient être nettoyées
par les balayeurs des compagnies étrangères. Ces derniers
touchent 4 fois plus que nous et ce sont nous qui faisons le
vrai travail à leur place. En plus, nous ne sommes jamais
motivés ».
Un
troisième souligne qu’au temps des zabbaline, au moins les
rues des quartiers riches étaient propres ! « Ils disent que
sous l’influence des compagnies étrangères, les ânes du
chiffonnier traditionnel ont presque disparu des rues !
Maintenant, c’est nous qui poursuivons la tâche des ânes !
», se moque-t-il.
A propos
des tas de poussières grises accumulés partout dans la rue
et qui polluent l’air, les balayeurs ont expliqué qu’il
n’est pas dans leurs moyens de les collecter. « Ces tas de
poussières sont lourds, seul le tracteur est capable de les
enlever », explique un des balayeurs.
Les
responsables gardent le sang-froid
Dans les
locaux de la branche de l’Est de Madinet Nasr, située dans
la rue Moustapha Al-Nahass, le bureau du responsable était
ouvert. Avant de parler, il nous montre un courrier reçu.
L’ordre était clair et net : il lui est interdit de faire
des déclarations aux médias.
Pourtant,
il essaie de se défendre en disant qu’il est très difficile
de sentir la propreté dans ce quartier de l’Est de Madinet
Nasr pour trois raisons. Premièrement, il est situé près de
la colline de Moqattam, ce qui fait que les poussières de
cette colline tombent quotidiennement sur ce quartier.
Deuxièmement, les décharges publiques sont à quelques
encablures de ce quartier, ce qui fait que le vent le plus
léger pourrait soulever la poussière et les ordures de
nouveau vers le quartier. Troisièmement, la surface du
quartier est de 88 km2, les rues sont longues et larges et
le personnel insuffisant.
Pendant
notre présence dans le bureau, un homme d’une quarantaine
d’années se présente. « S’il vous plaît, je viens me
plaindre, j’habite rue Al-Takka et les bennes ne sont pas
suffisantes. Alors les habitants se débarrassent de leurs
ordures sur le trottoir. Dites-moi : à qui je dois
m’adresser ? », se demande le citoyen.
On lui
indique un bureau dans lequel on collecte les détails, afin
d’intervenir pour régler le problème.
« Notre
grand problème c’est la disparition des bennes ! Nous avons
fourni 3 600 bennes aux quatre coins du quartier, mais elles
sont ou bien volées ou bien confisquées par les concierges
des immeubles environnants. Ces derniers les cachent chez
eux pour s’en servir personnellement. Ils font le travail du
chiffonnier pour les habitants de leur immeuble », explique
un responsable dans le bureau de dépôt des plaintes,
préférant garder l’anonymat.
Un autre
responsable prend la parole. « Le vrai problème, c’est le
comportement des gens. En passant devant une benne, j’ai vu
un homme jeter un sac d’ordures juste à côté de la benne
vide et en lui demandant pourquoi il a agi de la sorte, il a
tout simplement lancé : je suis désolé », raconte-t-il.
En fait,
dans le bureau de l’Organisme de propreté, la compagnie
espagnole FCC est montrée du doigt. « Il n’est pas logique
d’avoir 130 balayeurs pour nettoyer 20 rues principales et
880 rues adjacentes ! ».
En
sortant du bureau, vers 12h45, le chauffeur qui accompagnait
le groupe de balayeurs dans la rue Mohamad Youssef Moussa
était déjà là, annonçant qu’ils ont terminé leur travail
dans cette rue, alors qu’ils devaient terminer à 14h. Le
résultat est connu d’avance : ce groupe de balayeurs était
dans cette rue pour faire preuve de l’existence de la
campagne lancée en grande pompe dans la presse.
Une
question reste sans réponse : jusqu’à quand les responsables
continueraient-ils à donner des pièces de théâtre devant la
presse ? Malheureusement, lorsque le rideau tombe tout d’un
coup, la réalité reste la même. La propreté est absente et
l’environnement est loin d’être sain.
Dalia
Abdel-Salam