Palestine.
790 km de long et 8 mètres de haut, voilà la description
physique du mur de séparation érigé par Israël. L’autre
description, morale celle-là, c’est une Cisjordanie morcelée,
des familles séparées, des agriculteurs qui n’ont plus accès
à leurs terres. Bref, une population qui agonise lentement.
Une vraie stratégie d’anéantissement.
Ce
mur qui broie en silence
Il
y a les murs en béton, comme le mur de Berlin dont on vient
de fêter le 20e anniversaire de la chute, il y a les murs
plus sournois de l’incompréhension et du refus de l’autre,
il y a ceux invisibles mis sur la route tragique des
migrants vers le nord et les murs du silence. Mais aucun ne
ressemble au mur d’Israël. Au-delà des appellations : mur de
séparation, de ségrégation et de la honte, il est
l’incarnation lourde et flagrante d’une politique
d’anéantissement de l’autre qui remonte à loin et dont le
tracé empêche de facto la création de l’Etat Palestinien
dont la proclamation a été annoncé il y a 21 ans le 15
novembre 1988 à Alger. « Le consensus actuel en Israël est
en faveur d’un Etat comprenant environ 90 % de la Palestine,
pourvu que ce territoire soit entouré de barrières
électrifiées et de murs, visibles et invisibles », écrit
Ilan Pappe, l’un des nouveaux historiens israéliens, «
dissident ». Il est connu pour sa critique des politiques
sionistes d’Israël et dans son livre édifiant Le nettoyage
ethnique de la Palestine. Il met en avant la politique
d’épuration ethnique engagée par Israël depuis 1948. Dans ce
livre, il écrit que c’est dans la Maison Rouge à Tel-Aviv,
siège d’abord l’Union locale du syndicat ouvrier et ensuite
quartier général de la Haganah, que « par un froid mercredi
après-midi celui du 10 mars 1948, onze hommes, vieux
dirigeants sionistes et jeunes officiers juifs, ont mis la
dernière main à un plan de nettoyage ethnique de la
Palestine ». C’était « le plan D » Daleth en hébreu. Tel fut
le lancement de la machine avec déjà une énumération
détaillée des moyens à même de faire évacuer les
Palestiniens : intimidations massives, siège et pilonnage,
incendie des maisons, des biens et démolitions … La machine
n’a jamais cessé de fonctionner et de s’adapter depuis, pour
aboutir à la décision israélienne unilatérale sous Sharon,
en 2002, d’ériger le mur. Une entreprise soutenue même par
les pacifistes sous couvert de se prémunir contre les
attentats. Plus qu’une barrière de défense, c’est d’abord et
surtout un mur de l’apartheid visant à nettoyer encore une
fois le terrain des Palestiniens. Le mur sépare et élimine
par différents moyens toute une population. Voilà pourquoi
il est différent de tous les autres murs.
Desseins
inavoués mais connus
Sur son
tracé, il avale toutes les ressources en eau, englobe des
terres et des colonies et coupe Jérusalem-Est de la
Cisjordanie. Voilà les desseins inavoués du mur, comme le
constatent les différentes organisations sur place et même
un rapport datant du 15 décembre 2008, tenu confidentiel, et
rédigé par les consuls généraux des pays de l’Union
européenne sur place. Ce rapport pointe du doigt le
gouvernement israélien, l’accusant d’utiliser le
développement de la colonisation, la construction du mur de
séparation, l’instauration d’un régime de permis de
résidence et de déplacement des Palestiniens, pour
poursuivre activement et illégalement l’annexion de
Jérusalem. « La poursuite de la construction du mur
contribue à saper les bases de futures négociations, 86 % du
trajet de la barrière, y compris à Jérusalem-Est étant à
l’intérieur de la ligne verte de 1949 ». Ce rapport qui,
lui, a été englouti par le mur du silence a d’ailleurs fait
l’objet d’un livre intitulé Le Rapport occulté, présentation
de René Backmann (Salvator, Paris, 2009).
Il
s’agit d’abord de 300 000 Palestiniens qui vivent
aujourd’hui entre la ligne verte (ligne d’amnistie de 1949)
et le mur coupé de la Cisjordanie et des moyens de
subsistance. 42 villages palestiniens sont enfermés
complètement. En contrepartie, le mur intégrera de l’autre
côté plus de 414 000 colons israéliens, c’est-à-dire jusqu’à
90 % de la population totale des colons dans le Territoire
palestinien occupé.
Au-delà
de ses 790 km de long prévus et de ses 8 mètres de haut, il
est en train de broyer les Palestiniens dans leur essence
même. Il coupe la Cisjordanie en îlots séparés.
Jérusalem-Est sera isolée du reste de la Cisjordanie. Les
autres villes et villages de la Cisjordanie vivront au
compte- goutte des permis et des check- points et des moyens
élémentaires de vie.
Mainmise
sur l’eau et les terres
Le tracé
du mur illustre une intention flagrante de mainmise sur les
ressources en eau et de spoliation, encore une fois, des
terres palestiniennes.
Il rase
250 ha des terrains palestiniens abritant 70 % des oliviers
de la zone et les deux sources principales de la population,
l’agriculture et l’élevage, sont en passe d’être anéanties.
En fait, le drame est déjà enclenché. Les agriculteurs
palestiniens doivent désormais obtenir des permis pour
accéder à leur terres d’exploitation. Amnesty international
rapporte le cas d’un des villages. A Jayyous, à la frontière
de la Cisjordanie entre Israël et le mur, les familles sont
séparées et les agriculteurs n’ont plus accès à leurs
terrains agricoles sauf en obtenant un permis israélien. «
Dans ce village, 30 permis ont été annulés fin juin 2007
sans justification », relève l’organisation.
Oxfam–Solidarité, une autre organisation d’aide
internationale, incrimine ces permis délivrés au
compte-goutte : « Certains Palestiniens découvrent par
exemple qu’ils sont repris sur une liste noire établie par
les Israéliens et n’ont donc aucun espoir d’obtenir un
permis. Ceux qui n’y figurent pas peuvent réclamer l’accès à
leurs terres, mais doivent pour cela présenter des papiers
d’identité, disposer de documents qui prouvent qu’ils sont
propriétaires des terres ou qu’ils en ont hérité, remplir
divers formulaires et avoir des photos des parcelles … ». Il
faut ensuite que la porte agricole la plus proche soit
ouverte, ce qui n’est pas toujours le cas. L’organisation
rapporte les propos de Sharif Omar, agriculteur de 66 ans :
« Il y a deux ans, je suis resté sept mois sans pouvoir me
rendre sur mes terres ». Et d’ajouter : « En nous empêchant
d’accéder à nos terres, les Israéliens ont beau jeu ensuite
de déclarer que nous ne nous en occupons pas ». En effet,
l’organisation révèle que les autorités israéliennes, une
fois les agriculteurs séparés de leurs terres, font appel à
des lois datant des Ottomans et des Britanniques, ainsi qu’à
celle « des propriétaires absents » pour tenter de mettre un
cadre légal à ces confiscations. Il y a aussi un autre moyen
de dépossession : les noms de familles. Israël a imposé aux
Palestiniens d’ajouter un nom de famille au prénom suivi de
celui du père et du grand-père utilisés d’habitude. « Les
terres de ma famille sont enregistrées sous le nom de mon
père Mohamad Omar Mohamad. Mon nom est Sharif Mohamad Omar
Mohamad, ce qui devient pour les Israéliens Sharif Mohamad
Omar Mohamad Khalid. Mon fils aîné Azzam s’appelle donc
Azzam Sharif Mohamad Khalid et mon petit-fils Sharif Azzam
Sharif Khalid. A priori, il n’y a plus aucun lien apparent
entre leur nom et celui de mon père. Dans quelques années,
les Israéliens pourront donc affirmer que mon petit-fils n’a
aucun lien avec la terre familiale », prévoit l’agriculteur.
Comme les agriculteurs, les étudiants ne peuvent pas se
rendre à leur écoles et les malades ont du mal à avoir accès
aux soins. Sur son tracé, le mur a englouti les ressources
en eaux. Ainsi à Qalqylya (nord de la Cisjordanie ),
complètement encerclée par le mur dont les 50 mille
habitants sont isolés, 40 % des terres et le tiers des puits
sont de l’autre côté du mur. Et justement sur cette question
de l’eau dans un rapport daté du 27 octobre 2009, Amnesty
international accuse Israël de priver les Palestiniens des
ressources aquifères en Cisjordanie. Rapport très mal
accueilli par Israël. L’organisation révèle à quel point les
politiques et pratiques discriminatoires d’Israël en matière
d’eau bafouent les droits des Palestiniens. 80 % de l’eau de
Cisjordanie va à Israël (300 litres par pers) et 20 % aux
Palestiniens (70 litres par pers). « Par ailleurs, ajoute le
rapport, les limitations sur les déplacements des personnes
et des biens dans les territoires occupés accentuent les
difficultés pour mettre en place des projets d’eau dans les
villages ». L’armée israélienne détruit même les cuves de
récupération d’eau des pluies que les villageois installent
et confisque les camions citernes. « Quelque 450 000 colons
utilisent autant d’eau que toute la population palestinienne
», commente le rapport. Pour dire que le mur d’Israël
cristallise la ségrégation dans toutes ses formes.
Nouvelle
arme, vieille stratégie
Et
pourtant, rien n’a pu arrêter son avancée qui se fait aux
prix de discriminations multiples et de violations
incessantes au droit international sous les yeux du monde,
afin de rendre la vie des Palestiniens impossible et les
pousser ainsi à partir vers d’autres cieux plus cléments.
Même l’avis de la Cour Internationale de Justice (CIJ), émis
le 9 juillet 2004, qui qualifie l’édification du mur comme
contraire au droit international et met Israël dans
l’obligation de réparer tous les dommages. En attendant sur
le terrain, les Palestiniens continuent à s’opposer à ce
symbole d’apartheid. Le 7 novembre, des Palestiniens ont
abattu un pan du mur et l’opération a été menée par des
Palestiniens aidés par des activistes. Et tous les
vendredis, des villages organisent des marches de
protestation vers le mur. Ce fut le cas ce vendredi 13
novembre dans le village de Biliin dans la région de
Ramallah, où le mur isole 60 % des habitants de leurs terres
agricoles. Et puis, il y a Biliin où les manifestants ont
scandé « De Berlin à Biliin » (voir reportage page 5). Pour
crier au monde que tous les murs à travers l’histoire ont
fini par tomber. Mais faudrait-il avant que le mur du
silence tombe, que des rapports, comme celui des consuls
généraux de l’Union européenne, soient immédiatement publiés
et mis au grand jour et que des rapports comme celui de
Goldstone ne soient pas broyés par des arsenaux de
procédures politico-juridiques qui empêchent une
condamnation internationale.
Car en
attendant, la machine israélienne ne cesse d’avancer,
resserrant chaque jour l’étau autour de toute une
population. L’épuration, reconnaît l’historien Pappe dans un
entretien publié le 23 mars 2007 par le quotidien italien Il
manifesto, « se réalise de diverses manières. Il y a
soixante ans, on recourait aux armes pour obliger les gens à
fuir. Maintenant, à cause du contrôle des médias et des
institutions internationales, on utilise d’autres méthodes.
Rendre la vie impossible, restreindre les possibilités
économiques et réduire la capacité de développement : ces
nouvelles stratégies fonctionnent d’autant mieux qu’elles se
conjuguent avec le refus d’une véritable négociation avec
les Palestiniens ». Dans ces nouvelles stratégies, le mur de
l’anéantissement s’inscrit désormais comme l’arme idéale qui
fait proprement « une sale besogne ».
Najet
Belhatem