Fils de
Saeb Beik Salam, figure de proue politique du siècle
dernier, le député et ministre libanais de la Culture,
Tammam Salam, s’attelle à
la consolidation de l’harmonie des esprits et des cœurs.
Rassembler est sa mission
Le
ministre libanais de la Culture, Tammam Salam, n’a pas eu le
temps de chômer cette année. Il a même brillamment relevé
les défis qui se présentaient à lui. Autour du beau, du
divertissement et de l’art au sens pur du mot, ses activités
se succèdent et ne se ressemblent pas. Au plus grand bonheur
des Libanais, en dépit des différends politiques qui les
divisent. L’année 2009 a connu un foisonnement d’idées et
d’événements culturels et artistiques, à faire oublier au
peuple libanais tous ces tiraillements politiques
presqu’enfantins autour d’un portefeuille ou d’une personne.
Il suffit que Beyrouth soit nommée par l’Unesco capitale
mondiale du livre en 2009, que les VIes Jeux de la
Francophonie se soient déroulés en grande pompe sur le
territoire libanais, en septembre dernier, et que le 16e
Salon du livre francophone s’y soit tenu du 23 octobre
jusqu’au 1er novembre derniers, sur un grand espace réservé
à ce genre d’événements grandioses, le Biel. Sans oublier
les festivals de musique et de théâtre de cet été à Byblos,
Baalbeck et Beiteddine.
Dans son
luxueux bureau de Hamra (Beyrouth), il accueille ses
visiteurs avec courtoisie et un sourire affable, faisant
oublier tout le vacarme et les embouteillages de la ville à
la mi-journée. Au premier abord, l’on est frappé par la
simplicité et la spontanéité du ministre, illustre
descendant d’une famille noble sunnite qui a joué un rôle
prépondérant sous le règne des Ottomans et sous le mandat
français. Saeb Beik Salam, son père, a marqué de son
empreinte l’histoire politique libanaise au XXe siècle,
siégeant quatre fois à la tête de l’exécutif entre 1952 et
1973. Son mandat était loin d’être pacifique. A la tête
d’une rébellion en 1958 qui finit par l’adoption du fameux
slogan « Ni vainqueur, ni vaincu » retenu jusqu’à nos jours.
Il mena, en 1982, la médiation entre l’envoyé des
Etats-Unis, Philippe Habib, et le chef de l’OLP à l’époque,
Yasser Arafat. On lui doit la fondation, en 1945, de la
compagnie aérienne civile libanaise, la MEA, et la
présidence de la fondation caritative et éducative des
Maqassed de 1952 à 1980. Aujourd’hui, c’est son fils Tammam
qui assure la relève à la tête de cette institution. Mais il
est aussi député de Beyrouth et ministre de la Culture
depuis juillet 2008, date de la formation du gouvernement de
l’Union nationale. Ce poste lui va d’ailleurs à merveille
n’hésitant pas à réclamer « la performance du gouvernement,
et non la composition, les chiffres ».
Personnalité modérée, il a réussi à rester à égale distance
des différents partis impliqués dans la vie politique
libanaise. Le pays du Cèdre, par exemple, s’est
métamorphosé, transposant, l’espace de dix jours, le
carnaval de Rio dans les rues de Beyrouth et des principales
autres localités. A la grande joie du public de pouvoir
goûter sur son sol à tout le plaisir qu’un carnaval de cette
envergure peut procurer. Et puis, le Guinness Book n’a pas
échappé aux Libanais. Les 24 et 25 octobre dernier, deux
records y ont été enregistrés au centre-ville de Beyrouth,
où les plats libanais de hommos et taboulé ont connu des
dimensions plus qu’universelles méritant bien leur point
d’honneur dans ce livre. En outre, un programme spécial a
été conçu pour célébrer la participation libanaise à la
proclamation d’Al-Qods, capitale de la culture arabe en
2009. « Organiser ces journées culturelles palestiniennes au
Liban vise à mettre la lumière sur le rôle important de
Jérusalem sur les plans religieux, historique et celui de la
civilisation », a dit le ministre lors de l’inauguration de
la semaine, le 8 octobre dernier. Et d’ajouter : « Il faut
inciter la communauté internationale et les organisations
arabes, internationales et civiles à promouvoir ce riche
patrimoine culturel ».
Loin de
la politique, le ministre évoque son enfance heureuse et
chaleureuse, au sein d’une famille unie et très soudée. Il a
vécu pleinement la vie familiale où les membres se
réunissent autour de la table et discutent de tout. Et si
jamais un terme ou un sujet compliqué était évoqué, « il
fallait obligatoirement recourir au dictionnaire pour
connaître son sens et signification, se remémore Tammam
Salam. Depuis, j’ai pris cette habitude de me référer au
dictionnaire », poursuit-il. Ses parents ? La mère, Mme
Tamima, a choisi de transformer son domicile en « une
véritable forteresse, face à la vie tumultueuse et
mouvementée » de son mari. Le papa, Saeb, est « mon idole »,
lance Tammam, « un grand symbole de réalisations grandioses
sur la voie de la construction et de la liberté, un symbole
de courage, de sincérité, de compréhension et de culture ».
Cette soif de la culture, il l’a acquise de son père.
A l’âge
de 14 ans, Tammam ne lisait pas. Remarquant cela, le père
choisit d’enfermer son fils dans sa chambre pendant les
vacances d’été, l’obligeant à lire et à résumer trois livres
de valeur : Pour qui sonne le glas de Hemingway, Le Bossu de
Notre-Dame et Les Misérables de Victor Hugo. « Il a fait le
bon choix. Depuis ce jour-là, la lecture est devenue non
seulement un hobby, mais aussi un véritable plaisir, une
passion », remarque le ministre. Du Lycée français à
Beyrouth jusqu’aux études économiques en Angleterre, en
passant par le Victoria College, à Maadi, en Egypte, c’est
un brassage de langues et de cultures qu’il a su assimiler à
la perfection. « Mais la principale école dans la vie reste
la maison, surtout si les parents sont bien éduqués et si
l’ambiance familiale chaleureuse y est reine », estime le
ministre. « Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui où nous ne
vivons pas dans une situation confortable. Mes enfants sont
à l’étranger, c’est un déchirement social qui s’impose
malgré nous », poursuit-il avec résignation. La solution, à
son avis, est, avant tout et par-dessus tout, la paix et la
stabilité du pays, « pour que nos enfants puissent retourner
au bercail ». La consolation réside dans la femme, son
épouse Lama Badreddine. « La femme occupe une grande place
dans ma vie personnelle. Elle joue un rôle très important
dans la vie privée et sociale », dit le ministre. Avec ses
trois enfants, Saeb, Tamima et Soraya, il s’estime un père
et un mari heureux et en paix avec lui-même.
Elève au
sein d’une famille plus que sportive, Tammam pratique depuis
son jeune âge l’équitation, la natation et bien d’autres
disciplines encore dans un climat d’union et de respect
d’autrui. Tous les problèmes de la région constituent pour
lui une priorité. « Entre la dictature de Saddam et
l’impérialisme américain, c’est le peuple iraqien qui paie
le prix, et cela se reflète sur tous les pays de la région
», remarque Tammam Salam. Il ajoute : « La cause
palestinienne représente une lutte qui date de près d’un
siècle. Le sionisme prône un Etat religieux au détriment des
Palestiniens. Malheureusement, la solution tarde à venir
malgré les démarches de paix appuyées par les pays arabes ».
Tammam Salam a une affection particulière pour l’Egypte, «
ce pays d’Histoire, de grandeur, le rôle influent qu’il joue
dans la région. Je m’attends à ce que l’Egypte exerce
pleinement son rôle de leader au sein des pays arabes. Elle
en a le poids et les moyens », dit-il.
Quant à
ses activités culturelles, « nous les suivons de près.
L’antiquité, l’histoire, les traditionnels et immortels Taha
Hussein, Naguib Mahfouz ainsi que les contemporains Aswani
et beaucoup d’autres » qui reflètent la belle image de ce
grand pays. Le rêve arabe ainsi évoqué, il fallait en fin de
compte retourner au pays et penser à ses problèmes. Le
ministre a bien le droit de rêver de son Liban, un « Liban
géré et mené par la jeunesse. Celle-ci doit relever tous les
défis et prendre le pays en main. Sinon, nous n’aurons qu’un
pays de retraités », pense-t-il tout haut. « Oui, les jeunes
doivent être plus courageux, plus audacieux dans leur
mouvement. La vigueur des Libanais, leur rage de vivre, leur
dynamisme à toute épreuve et cet enthousiasme qui leur est
propre doivent les guider dans cette mission. Car la liberté
s’acquiert, elle n’est pas gratuite ». Ainsi parle Tammam
Salam, lançant un appel à l’acquisition de la liberté comme
l’avait précédé son père, Saeb Beik. Mais chacun à sa
manière.
Mireille Bouabjian