La
leçon de Jérusalem
Anas
Fawzy
Pourquoi
l’Etat d’Israël s’attaque-t-il de plus en plus fréquemment à
la liberté du culte musulman à Jérusalem ?
C’est
qu’un seuil vient d’être franchi : depuis l’agression de
Gaza, Israël poursuit désormais ouvertement une politique
d’expansion territoriale ayant pour objectif l’expulsion
totale des Palestiniens avec, provisoirement, le confinement
du peuple palestinien dans des zones territorialement
limitées, sous le contrôle total des forces armées
israéliennes et dans un asservissement économique dont le
seul parallèle récent ne peut être trouvé que dans les
bantoustans du régime raciste d’Afrique du Sud.
Affirmer
cela n’est aucunement une déclaration haineuse à l’égard des
juifs, mais la constatation d’un état de fait dont la
confirmation vient de la bouche même des autorités
israéliennes lorsqu’elles déclarent tranquillement que le «
peuple juif » a besoin d’espace pour faire face à la «
croissance naturelle » de sa population. Israël s’attaque
désormais à l’identité palestinienne elle-même à travers ce
qui fait le fondement de la vie de tout musulman : l’islam.
Pour révoltante que soit cette stratégie, elle n’en possède
pas moins sa logique : en ôtant aux populations
palestiniennes leur identité, Israël nie leur existence et
les repousse dans une sorte de sous-humanité.
Lorsque
l’on regarde une carte de Palestine, on ne peut pas manquer
d’être frappé de la lente unification territoriale
israélienne aux dépens des Palestiniens. Qui peut affirmer
aujourd’hui qu’avec le contrôle des eaux du Jourdain, Israël
ne va pas soudain « découvrir » que l’unification
territoriale totale de la Palestine passe par la «
rationalisation » des enclaves palestiniennes et une seconde
émigration forcée vers d’autres territoires ? C’est aux
Etats voisins que, tôt ou tard, la question palestinienne
sera posée. Israël proclame son acceptation d’une solution
pacifique, mais la rend concrètement impraticable :
l’extraordinaire morcellement territorial et la réduction
lente mais inexorable des surfaces enlèvent toute réalité
pratique à cette solution. Les zones palestiniennes
ressemblent de plus en plus aux réserves indiennes en
Amérique du Nord : selon les besoins, les frontières sont
redessinées.
Tout
ceci est sinistre mais connu, ce qui reste obscur c’est la
solution. Il faut admettre une fois pour toutes qu’Israël a
besoin de la guerre et du fantasme terroriste, pas les
peuples de la région et encore moins les Palestiniens. Tout
ce qui va dans le sens de la paix est une arme dirigée
contre Israël, et tout ce qui va dans le sens de la guerre
et de la violence est une arme qui lui est fournie.
Les
Palestiniens sont supposés maintenant posséder un Etat : aux
yeux des populations palestiniennes elles-mêmes, cela a-t-il
un sens ? Du côté palestinien, les errements du Fatah ont
facilité la création de deux entités palestiniennes qui ne
se parlent que du bout des lèvres et sous la pression
permanente de l’Egypte qui a la lucidité de comprendre
qu’une Palestine à deux vitesses est la mort de l’Etat
palestinien. Un peuple n’existe que s’il poursuit une grande
idée commune : quelle est cette idée ? L’idée d’un Etat ne
suffit pas : c’est un outil politique et non une grande idée
qui concentre les énergies comme le sont l’identité ou la
liberté ou la paix.
La
première clé de la question palestinienne est en réalité le
droit à une vie normale, c’est-à-dire le développement : la
division actuelle des Palestiniens empêche toute idée d’un
grand plan international de développement de la Palestine.
Aucun financier n’accepte l’incompétence et la corruption,
aucun financier n’accepte les gesticulations héroïques de
certaines organisations dont l’impact négatif sur les
opinions publiques de pays pourtant souvent favorables est
un immense désastre. Le développement a besoin de stabilité,
de confiance et de constance. Il a aussi besoin de nombreux
amis. La tragédie actuelle vient non seulement des
criminelles agressions israéliennes, mais aussi de
l’attitude des dirigeants palestiniens plus préoccupés
d’occuper le pouvoir que de gérer un pays. Les dirigeants
palestiniens sont incapables de soutenir leur droit par des
faits : lorsque des milices servent de forces de l’ordre, il
n’y a ni droit ni ordre. Il ne s’agit pas de faire porter au
peuple palestinien la responsabilité de ce qui lui arrive,
mais de questionner avec force la capacité de ses dirigeants
actuels de ne plus être des chefs de bande, mais de devenir
des chefs d’Etat. C’est ce que le reste du monde attend.
La
seconde clé de la question palestinienne est d’accepter
comme une donnée de fait qu’il y a un problème intérieur et
extérieur, et que dans les deux cas, des ponts doivent être
jetés. C’est ce qu’a compris l’Egypte, l’un des très rares
pays arabes à entretenir des relations diplomatiques avec
Israël. Prenons un exemple concret. Nous assistons tous les
jours à des violences à Jérusalem : où est la voix des pays
arabes pour y imposer une force internationale, ce à quoi
l’opinion publique internationale et l’Europe sont prêtes ?
En cas de guerre, les négociations ne peuvent se passer
qu’entre Etats, comment en refusant de reconnaître Israël
les Etats arabes comptent-ils faire entendre leur voix ?
L’Arabie saoudite a fait des propositions dans le sens de la
reconnaissance, en les assortissant de conditions pour
sortir de cette impasse. Si Israël les a repoussées sans
même les examiner sérieusement, c’est que ce qu’il perd en
devenant un Etat reconnu par ses voisins est supérieur à ce
qu’il gagne en restant un Etat hors la loi dans la région.
Israël ne veut, en aucun cas, d’un dialogue avec les pays
arabes : il compte sur la supposée faiblesse de ces Etats
pour grignoter tranquillement des territoires nouveaux, le
temps lui semble jouer en sa faveur. On comprend la
difficulté qu’auraient les Etats arabes à reconnaître Israël,
il faut cependant, à tout prix, et en se bouchant le nez
s’il le faut, que les pays arabes ouvrent un pont.
Le seul
moyen pour les Etats arabes de peser sur l’avenir de la
région c’est de s’inscrire dans un cercle de plus en plus
large d’amitiés et de confiance à défaut d’avoir les moyens
militaires d’une autre politique.
Nous
devons nous convaincre que si c’est le droit le plus absolu
des musulmans de Palestine — et d’ailleurs — d’aller prier
dans leurs lieux saints, ce droit ne peut pas être exercé si
on n’a pas la force de le faire respecter.
Telle
est la leçon que nous fait entendre Jérusalem. L’histoire de
la ville sainte est très tourmentée, mais ce qui la
caractérise principalement c’est que les périodes de calme
et de tolérance les plus longues sont celles qui se situent
sous la domination musulmane. Il est extraordinaire que
cette vérité ne soit pas plus largement connue et ne
nourrisse pas la réflexion sur le sort de Jérusalem à
l’échelle internationale. Cette longue période de tolérance
ne serait-elle pas le fait de la sagesse de nos ancêtres qui
montraient manifestement plus de goût pour la vie que pour
le martyre ?