Assistant du ministre égyptien des Affaires étrangères pour
les affaires arabes, Abdel-Rahman
Salah évoque l’action du Caire envers la question
palestinienne, les rapports avec l’Iraq ainsi qu’avec l’Iran.
«
Israël doit cesser ses politiques de changement de la
réalité sur le terrain »
Al-Ahram
Hebdo : Les colons israéliens tentent régulièrement de
pénétrer sur l’Esplanade des mosquées, donnant lieu à des
affrontements entre Palestiniens et Israéliens. Que cherche
Israël par ces provocations à Jérusalem ?
Abdel-Rahman Salah :
Le
problème principal dans toutes les politiques israéliennes
dans les territoires occupés est qu’elles essayent de
modifier la situation sur le terrain pour prédéterminer le
résultat des négociations. Ce qui rend plus difficile
l’aboutissement de la solution sur laquelle toutes les
parties sont d’accord, à savoir la création d’un Etat
palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est
pour capitale. Sur le terrain, la construction des colonies
se poursuit. Il y a aussi la construction du mur à
l’intérieur des terres palestiniennes de 1967. La politique
de judaïsation de Jérusalem consiste non seulement à
construire des colonies à l’intérieur de Jérusalem-Est, mais
aussi à exproprier des terres palestiniennes, à empêcher des
Palestiniens d’obtenir des permis de construction ou des
permis pour réparer les maisons détériorées, à fermer des
institutions palestiniennes à Jérusalem-Est comme la maison
d’Orient. Toutes ces mesures ont pour objectif de judaïser
Jérusalem-Est et de rendre plus difficile la solution de
deux Etats avec Jérusalem-Est comme capitale d’un Etat
palestinien.
– Les
Palestiniens se plaignent de l’absence d’un rôle arabe face
à la judaïsation de Jérusalem. Que fait l’Egypte pour faire
face à cette politique israélienne ?
–
L’Egypte agit sur plusieurs niveaux. Au niveau bilatéral
avec Israël via notre traité de paix, nous disons à Israël
que ce sont des mesures graves qui ont des répercussions
négatives sur toute opportunité de paix et sur les chances
d’Israël d’être accepté dans la région dans le futur.
L’Egypte poursuit également ses contacts bilatéraux avec les
Etats-Unis à ce sujet. Notre position est qu’une des
conditions de la reprise des négociations
(israélo-palestiniennes) est l’arrêt de toutes les mesures
qui cherchent à modifier la réalité sur le terrain : la
construction des colonies et toutes les mesures qui portent
sur la judaïsation de Jérusalem. L’Egypte pense que, sans
l’arrêt de ces mesures, les négociations n’auront ni sens ni
but. Si nous sommes tous d’accord que le but est
l’établissement de deux Etats indépendants, l’un palestinien
et l’autre israélien, alors ce qui se passe rend ce but
impossible. Cette position est mise en avant avec les
Etats-Unis, avec l’Union européenne et avec la Russie. Il y
a enfin le niveau multilatéral, où l’Egypte agit avec le
groupe arabe dans le cadre de l’Organisation de la
conférence islamique et du groupe des non-alignés que
l’Egypte préside. Là, le langage est le même : l’opposition
à la politique israélienne grave et catastrophique dans les
territoires occupés, Jérusalem inclus.
Nous
sentons que la période qui vient est très importante et
nécessite une unité arabe. Il y a une opportunité pour
poursuivre le processus de paix si les efforts américains
parviennent à mettre fin aux politiques israéliennes. Mais
les efforts américains ne réussiront pas tous seuls, mais
seulement avec une position arabe unie qui suivra la
position égyptienne que j’ai mentionnée.
–
Justement, comment faire évoluer la coopération interarabe ?
– Il
existe de nombreux domaines pour développer la coopération
interarabe. Dans le domaine politique, pour résoudre les
questions d’intérêt commun, comme le retour des territoires
arabes occupés par Israël, la paix au Proche-Orient, éviter
une course nucléaire dans la région … Il y a également la
coopération économique, le libre-échange et les
investissements entre les pays arabes. Le sommet économique
au Koweït, qui a eu lieu en janvier dernier, était une
initiative commune koweïto-égyptienne. D’ailleurs, c’est
l’Egypte qui accueillera le prochain sommet. Ce dernier sera
une opportunité pour examiner toutes ces chances de
coopération. Il y a également une nécessité de développer la
coopération culturelle et le domaine de l’éducation. Surtout
qu’il y a 60 millions d’Arabes illettrés dont les deux-tiers
sont des femmes. Les universités dans le monde arabe ont
besoin de centres de recherche sur la technologie moderne.
Notre rêve est qu’il y ait un centre arabe spécialisé dans
le développement et la formation dans les domaines
scientifiques et qui ferait appel aux cerveaux immigrés à
l’étranger, dont nombreux sont des Egyptiens. L’Egypte sera
heureuse d’accueillir un tel centre.
– Qu’en
est-il des relations bilatérales entre l’Egypte et l’Iraq ?
- Un
comité mixte s’est réuni les 2 et 3 novembre sous la
présidence des ministres des Affaires étrangères des deux
pays et en présence de 7 ministres iraqiens. Ils ont signé
plusieurs mémorandums d’entente et accords de coopération
portant notamment sur la sécurité, l’énergie, le pétrole,
l’agriculture, l’éducation supérieure, la santé,
l’environnement, l’investissement et l’industrie.
L’ambassadeur égyptien a commencé samedi dernier son travail
à Bagdad, et cela représente une nouvelle page dans les
relations égypto-iraqiennes. Deux délégations iraqiennes,
l’une du ministère des Affaires étrangères et l’autre de
celui des Finances viendront prochainement en Egypte pour
examiner la question de l’argent dû aux travailleurs
égyptiens en Iraq.
D’autre
part, nous avons formé des forces de la police iraqienne.
Ceci s’est fait au niveau bilatéral, mais aussi en
coopération avec l’UE et les Etats-Unis. Nous formons des
cadres iraqiens dans tous les secteurs, diplomatie, justice,
agriculture, culture, santé, irrigation, statistique et
technologie informatique …, etc. La coopération sécuritaire
entre les deux pays existe dans le domaine de
l’antiterrorisme.
–
Pourquoi n’ y a-t-il pas de médiation égyptienne ou arabe
entre le gouvernement et les parties iraqiennes ?
–
L’Egypte mène une politique de principe : elle aide les pays
arabes à maintenir leur stabilité et leur développement,
mais sans intervention dans leurs affaires intérieures.
Toute mesure ou démarche qui est entreprise dans les pays
arabes est toujours faite à la demande du gouvernement du
pays concerné. Partant de ce principe, l’Egypte aide le
gouvernement iraqien par tous les moyens possibles, entre
autres, l’encourageant un dialogue politique et pacifique à
l’intérieur de l’Iraq et l’élargissement du processus
politique iraqien pour inclure toutes les factions.
Autrement dit, il importe à l’Egypte que le gouvernement
iraqien soit stable et représente la volonté politique de la
société iraqienne, mais l’Egypte ne va intervenir ni dans
les affaires internes, ni dans le processus politique en
Iraq.
–
Pourquoi n’y a-t-il pas d’amélioration dans les relations
avec l’Iran ?
– Nous
avons des demandes spécifiques que connaissent bien les
Iraniens pour aboutir à un développement positif dans les
relations entre les deux pays. Le plus important étant que
la politique iranienne cesse d’exploiter des problèmes
arabes pour gagner des points dans ses négociations avec
l’Occident sur le dossier nucléaire. Ils doivent arrêter
d’utiliser nos problèmes comme la Palestine, le Liban et
autres. Deuxièmement, ils doivent mettre fin à leur
ingérence dans les affaires internes arabes. Troisièmement,
ils doivent prendre des positions positives pour aider à
aboutir à la paix. S’ils font ces trois choses, il n’y a pas
de doute que l’Iran est un pays important dans la région,
nous n’ignorons pas cela.
– Qu’en
est-il du dossier nucléaire iranien ?
– Nous
avons déclaré à maintes reprises que la non-prolifération
nucléaire doit se produire sur une base régionale sans
discrimination. C’est pour cela que nous avons demandé
l’établissement d’une zone non nucléaire au Moyen-Orient. Et
mettre fin à toutes les activités nucléaires qui ne sont pas
sujets à des inspections directes de l’Agence internationale
de l’énergie atomique. Cela ne s’applique pas seulement à
l’Iran, mais également à Israël. Nous pensons que n’importe
quelle politique qui interdit la prolifération, mais qui
fait des exceptions, est une politique qui ne réussira pas à
arrêter la prolifération. Au contraire, elle mènera à
davantage de prolifération dont nous ne pourrons pas
contrôler les résultats. Car cela fera apparaître de
nouveaux Etats nucléaires, et encouragera d’autres également
à poursuivre sur cette voie, non seulement des Etats, mais
également des groupes et des organisations qui pourraient
bien être des organisations terroristes. Nous remarquons une
certaine acceptation de cette position.
– De la
part de qui ?
– Nous
sommes bien sûr soutenus par de nombreux pays en voie de
développement, des pays non-alignés, mais nous commençons
maintenant à voir une certaine acceptation de la part des
puissances nucléaires. Les Etats-Unis ont déclaré qu’ils
soutiennent les efforts de non-prolifération, qui devraient
concerner tous les pays. Il y a également des propositions
égyptiennes qui vont être présentées à la conférence de la
révision de la non-prolifération nucléaire qui se réunira
l’année prochaine. Ces propositions concernent l’application
des recommandations issues de la précédente conférence de la
révision et qui appellent à la création d’une zone non
nucléaire au Moyen-Orient. Ce sera un moyen d’évaluer le
niveau d’acceptation de cette proposition des puissances
nucléaires. Enfin, nous confirmons le droit de tous les pays
non nucléaires, dont l’Egypte, qui ont choisi d’abandonner
le droit au développement des armes nucléaires et qui ont
rejoint le traité de non-prolifération nucléaire, d’utiliser
et de développer la technologie nucléaire à des fins
civiles, ce qui est d’ailleurs stipulé par le traité. Ce
droit ne doit pas être sujet à des restrictions
supplémentaires, qui viennent s’ajouter à celles déjà citées
par le traité, alors qu’il soit permis en même temps à
d’autres pays de posséder des armes nucléaires.
Propos recueillis par Héba Zaghloul