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Le bac français appliqué dans quelques écoles privées
égyptiennes de langue française, après avoir été annulé
suite aux événements de 1956, est une expérience encore
nouvelle. Les premiers bacheliers viennent juste d’obtenir
leur diplôme. L’occasion de faire une première évaluation.
L’alternative du bac français
«
Il s’agit non seulement de l’apprentissage, mais surtout
d’une façon différente de réfléchir, de se comporter et de
voir la vie. J’ai tout à fait changé de personnalité au
cours de ces trois dernières années », ainsi s’exprime
Nayera, une des 28 filles qui viennent d’achever leurs
études du baccalauréat français dans un établissement
égyptien. C’est bien la première fois qu’une promotion de
bac français sort d’une école égyptienne privée enseignant
le français, à savoir le Sacré-Cœur de Ghamra.
Ce genre d’éducation qui était toujours réservé au Lycée
français de Maadi et plus tard aux écoles internationales et
interdites aux Egyptiens que sous certaines conditions,
vient dernièrement de s’intégrer dans les anciennes écoles
enseignant le français et dites « écoles de langues ou
religieuses ». Cette première promotion avait pour la
première fois la chance de suivre le système égyptien
jusqu’au cycle préparatoire et d’avoir le droit de choisir
entre la poursuite de ce même cursus ou le baccalauréat
français. En fait, l’école du Sacré-Cœur qui vient
d’appliquer le système du bac français ainsi que les autres
écoles religieuses qui s’apprêtent à entamer l’expérience
sont des établissements qui ont toujours coopéré avec la
Mission laïque française. Le système d’éducation français
était l’unique cursus appliqué dans ces écoles jusqu’à la
guerre de 1956 suivie d’une nationalisation ou d’une mise
sous séquestre des établissements .
Ensuite, ces écoles ont introduit à la société égyptienne
des générations qui ont eu accès à un enseignement de langue
française de haute qualité, tout en suivant le cursus
égyptien. Aujourd’hui et après un demi-siècle, voici le
baccalauréat du système français qui revient dans ces écoles
pour occuper sa place d’antan.
La
seule différence cette fois-ci, c’est sa présence côte à
côte avec le bac national. Jean-Pierre Vidal, attaché de
coopération éducative et linguistique à l’ambassade de
France, souligne qu’il y a de plus en plus d’élèves qui
désirent avoir un baccalauréat français et ne peuvent pas y
accéder. Car, d’une part, le Lycée français ne peut plus
absorber un nombre supplémentaire d’élèves et a atteint son
comble. Et d’autre part, les écoles internationales qui
appliquent les bacs étrangers sont très coûteuses pour la
majorité de la population.
Selon le nouveau système proposé, les élèves auront la
possibilité d’obtenir l’équivalent du bac égyptien (sanawiya
amma) parallèlement au bac français. Pour avoir cette
équivalence, les élèves devront passer à plusieurs reprises
au cours des trois ans du cycle secondaire des épreuves
obligatoires dans certaines matières n’existant pas dans le
système français, comme l’arabe et la religion.
Cet amalgame de formation permettra donc à ces élèves
d’intégrer l’ensemble des universités publiques, privées et
internationales en Egypte ou ailleurs dans le monde.
Voilà donc la singularité de cette nouvelle expérience
adoptée par l’école du Sacré-Cœur : une coexistence de deux
systèmes. Vidal explique que ce bac, comme tout le système
éducatif français, est basé sur des points fondateurs.
D’abord, sur la pratique d’une série d’activités permettant
à l’élève d’être actif et de jouer un rôle positif, de créer
son propre univers, d’apprendre à appliquer toutes les
connaissances qu’il a acquises à chaque occasion et surtout
pendant les situations problématiques. Ainsi, l’élève
devient-il autonome dans son apprentissage, ajoute-t-il.
La crainte de l’inconnu
Une méthode d’enseignement tout à fait différente du système
égyptien basé sur le parcœurisme. Une raison pour laquelle
beaucoup de parents ont préféré inscrire leurs enfants dans
ces écoles qui viennent d’intégrer le bac français. « J’ai
beaucoup hésité avant d’inscrire mes enfants à un système
d’enseignement étranger. Mais quand ma fille aînée a vécu le
cauchemar du bac égyptien, j’ai catégoriquement changé
d’avis et j’ai décidé d’épargner aux trois autres filles et
à moi-même cette souffrance », dit Leïla Héneine, qui
affirme qu’en comparant les deux systèmes, elle n’a jamais
regretté cette décision.
La panique des parents et des élèves ainsi que la série de
souffrances qu’ils vivent pendant les deux ans continus du
bac égyptien ont obligé les gens à refaire leurs calculs.
En plus, le fardeau des cours particuliers indissociables de
la sanawiya amma encourage plusieurs à renoncer au système
égyptien. Leïla affirme que le bac français peut paraître
coûteux, puisque ses frais s’élèvent à 22 000 L.E. par an.
Mais, cette même somme est dépensée dans les leçons
particulières.
« En suivant le système français, j’ai réalisé pour la
première fois le rapport entre ce qu’on apprend dans les
livres et la vie quotidienne. On apprend à réfléchir, à
former un avis, à prendre des positions et non pas à faire
partie d’un troupeau qui apprend par cœur des textes pour
les reproduire sur des feuilles d’examen et les oublier le
lendemain sans savoir quel bénéfice ils apportent », c’est
ainsi que réfléchit Nayera et toutes les autres élèves qui
ont passé par cette expérience.
Ce bac convient aussi aux familles dont le travail exige le
déplacement d’un pays à l’autre. Leurs enfants doivent
suivre un système international. Rami, ingénieur, travaille
dans des entreprises multinationales, ce qui l’empêche de
s’installer en Egypte pendant de longues durées. Ses enfants
ne l’ont jamais accompagné, puisque le système éducatif
égyptien est très différent de celui appliqué dans les
autres pays. Il n’était pas non plus convaincu du fait
d’inscrire ses enfants dans des écoles internationales qu’il
jugeait « occidentales, important des idées et des cultures
qui ne nous conviennent pas ». Avec l’intégration du bac
français dans les écoles égyptiennes, il a trouvé une
solution à son problème.
Le système d’évaluation appliqué dans le bac français est
aussi très singulier.
Une chose semble inquiéter les gens peu habitués à ce
système. « Ce que je crains c’est que l’on nous exige
d’inscrire nos enfants uniquement dans les universités
étrangères et non pas égyptiennes, car ces dernières ne
consacrent que 5 % de leurs sièges aux élèves ayant des
diplômes étrangers », explique Hicham, directeur d’une
entreprise privée.
Pour lui, il vaut mieux investir son argent dans
l’enseignement universitaire que secondaire.
« Cet enseignement est le facteur essentiel qui décide des
opportunités de travail qui vont s’ouvrir à nos enfants et
de la carrière qu’ils pourront se faire », explique Hicham.
Une opinion partagée par la pédagogue Samar Ibrahim. Pour
elle, ce bac français et tous les autres diplômes étrangers
sont nécessaires seulement pour les gens qui veulent
continuer leurs études universitaires à l’étranger.
Aujourd’hui, les gens ont recours à ce genre d’enseignement
juste pour fuir le système égyptien inutile. Il existe aussi
des craintes par rapport à la culture, car beaucoup de
parents s’opposent à l’idée que leurs enfants soient
complètement déracinés et isolés de leur propre culture. Car
ils n’étudient ni l’histoire, ni la géographie de l’Egypte.
Certains préfèrent attendre et observer de loin avant de
juger. Amal Malawi, responsable de l’éducation de la langue
française à l’école du Bon Pasteur, se demande si les élèves
ayant obtenu le bac français ne seront pas obligés de suivre
leurs études dans l’Université française d’Egypte pour
profiter de la langue française qu’ils possèdent. Dans ce
cas-là, ils n’auront pas beaucoup de choix, car cette
université ne comprend qu’un nombre très limité de filières.
Les écoles hésitent aussi à appliquer ce système. Et ce, par
manque d’équipement car pour intégrer le bac français dans
un établissement, il faut des locaux bien équipés, des
laboratoires et des centres de documentations assez avancés.
D’autres établissements n’ont pas les moyens d’employer des
professeurs étrangers.
D’autres craignent l’existence des deux systèmes au sein
d’une même école. Ce qui a été le cas dans les
établissements ayant appliqué cette expérience. Cela crée
des situations assez délicates entre les élèves. Car, ceux
inscrits dans le système international ont souvent droit à
des locaux très chic, climatisés et hautement équipés et ce,
sans oublier les cantines vendant des articles très
séduisants. Alors que les élèves du système national ne
peuvent pas en bénéficier. Ce qui leur donne l’impression
d’être des « élèves de second degré ».
Il est donc trop tôt de dresser un tableau complet de cette
expérience, mais il est sûr qu’elle attirera de plus en plus
d’adeptes désireux de fuir les tracas insoutenables du bac
égyptien l
Hanaa
Al-Mekkawi