Ramadan .
Ce mois de jeûne suscite des actes de charité non
traditionnels menés souvent par des individus ou
associations caritatives où se mêlent solidarité et l’idée
de show. Le gouvernement lui aussi ne manque pas de signer
présent.
Charité new look
Chérif,
étudiant à l’Université américaine, évacue le garage de son
immeuble, dans le quartier de Manial. Une superficie
immense, environ 1 000m2. Les voitures sont remplacées par
du sucre, de l’huile, du beurre, des dattes, du riz ... Tout
ce qu’on peut espérer durant ce mois de Ramadan. Ce vendredi
qui précède ce mois sacré, sur l’avenue de Abdel-Aziz,
environ 200 étudiants se sont rassemblés, habillés en
majorité en t-shirts blancs brodés d’un cœur rouge avec le
slogan VIA ou « volontaires en action », le logo du dit club
de charité. Un parmi des centaines qui s’activent à la
veille du mois de jeûne pour collecter le plus de donations,
puis les redistribuer aux Egyptiens les plus démunis sous
différentes formes. Ces « volontaires en action » sont tous
des étudiants à l’Université américaine du Caire et suivent
les traces des précédentes promotions depuis une douzaine
d’années.
Mais
comme les œuvres de charité ont beaucoup changé, ces
étudiants suivent aussi ce rythme. Au début, c’était des
repas présentés sur des tables de charité, ils passèrent
ensuite aux sacs de Ramadan devenus à la mode depuis
plusieurs années. « Nous avons acheté 64 tonnes de produits
alimentaires et nous prévoyons de distribuer 2 500 sacs »,
lance Yousra Helmi, présidente de la ligue VIA. Chaque sac
doit contenir 5 kilos de riz, 6 paquets de pâtes, 3 kilos de
sucre, 2 kilos de dattes, une bouteille d’huile, 3 kilos de
beurre, un sachet de thé et deux sachets de pâte d’abricots.
Ils sont bien organisés. A peine entrés, les jeunes
orientent leurs collègues qui viennent d’arriver. Il faut
d’abord prendre le sac et passer d’un produit à l’autre. Sur
les murs et devant chaque tas de cartons, un papier est
scotché sur lequel est indiquée la quantité qu’il devrait y
avoir dans chaque sac. Leurs amis ou leurs proches les
aident dans leur mission. Ces sacs sont devenus synonyme de
ce mois.
Sur les ondes de la radio à la mode Nogoum FM, passe toutes
les demi-heures une bande-annonce, l’association Dar Al-Ormane
prépare des « cartons de Ramadan », toujours avec les mêmes
marchandises. Pour tous ceux qui veulent faire la « zakate »
ou la « sadaqa » (aumône), 60 L.E. le carton, dit la radio.
Des SMS circulant sur portables appelant les bienfaiteurs à
participer soit par espèces, soit en allant se joindre au
groupe de la Banque alimentaire (lire reportage page 5).
L’objectif, dit le message, est de préparer 250 000 cartons.
Sacs, cartons ou autres, ils ont en quelque sorte pris le
devant des tables de charité, ces tables étalées dans les
rues et sur lesquelles des repas gratuits sont offerts.
Selon une étude menée par l’Université d’Al-Azhar, plus d’un
milliard de livres égyptiennes sont dépensées sur les tables
de charité au Caire qui accueillent environ 3 millions de
personnes par jour. L’économiste Mamdouh Al-Wali estime
qu’il est difficile de donner des chiffres exacts sur la
somme dépensée par les Egyptiens sur les œuvres de charité
durant ce mois. On reste au niveau des estimations toujours.
Une autre étude menée par l’Association du Moyen-Orient pour
le développement de la société établit à un milliard de L.E.
les donations des Egyptiens durant le Ramadan.
Cette année, les tables de charité semblent avoir un peu
reculé. Un nouveau système est établi, un repas livré à
domicile est ainsi la mode de cette année. « C’est parce que
les gens qui fréquentent ces tables ne sont pas forcément
les plus pauvres », dit Mokhtar Youssef, un commerçant de
vêtements dans le quartier de Mouski et qui pendant environ
une vingtaine d’années étalait des tables pour 250 personnes
par jour. Cette année, il a décidé d’œuvrer autrement. Il
achète des quantités importantes de viandes, de poulets et
de légumes, les donne aux mosquées qui, elles, s’occupent
plus tard de la distribution. L’association la plus fameuse
Ressala envisage ainsi de distribuer 10 000 repas cette
année et la mosquée Moustapha Mahmoud parle de 8 000 repas
financés tous par des donations et dont le coût s’élève à
850 000 L.E.
Atteindre les plus méritants
L’idée,
dit-on, est de faire de la charité axée plus sur les
pauvres, car beaucoup d’entre eux trouvent de la gêne à
aller s’installer dans les rues pour manger, même s’ils
n’ont pas les moyens de prendre leur iftar. Mais pour ces
volontaires en action, il faut des mois de préparation.
D’abord, c’est la collecte d’argent, comme l’explique Yousra
Helmi, ensuite vient la phase de négociations avec les
supermarchés pour obtenir les prix les moins chers possible.
Puis, c’est la phase la plus importante et la plus
compliquée, puisque la distribution ne se fait pas de
manière arbitraire, elle est plutôt ciblée.
Les étudiants mènent une sorte d’études de terrain, pour
déterminer les bénéficiaires de ces sacs. Des groupes
partent dans les quartiers les plus pauvres, dénombrent les
familles, les orphelinats, évaluent leurs revenus mensuels
et décident par la suite qui en profitera. Le quartier de
Mitt Oqba ainsi que le bidonville situé sur le kilomètre 4,5
ont été désignés pour la distribution de cette année. Ceci
en ce qui concerne les sacs, les repas, eux, seront
distribués en dehors de la capitale. Le budget de cette
mission est évalué à environ 200 000 L.E. Une somme pourtant
médiocre par rapport aux années précédentes, estiment les
VIA.
Ceci est dû surtout à la montée en flèche des prix des
produits alimentaires, mais il est dû aussi à la saison
elle-même. Ce Ramadan arrive durant les vacances et donc
nombre d’étudiants sont moins actifs. L’année dernière, ces
mêmes volontaires ont pu distribuer 4 250 sacs, soit le
double de cette année. Ils espèrent recommencer la même
tâche vers le mi-Ramadan, s’ils parviennent à collecter
davantage de donations
Le gouvernement ne fait pas exception. Pour la première
fois, les différentes villes d’Egypte se mobilisent pour
distribuer ces sacs. C’est le gouverneur qui pilote
personnellement la tâche. Le président Moubarak a également
apporté sa contribution en faisant un don de 1 000 sacs
destinés au gouvernorat de Qéna, en Haute-Egypte, une des
régions les plus pauvres du pays. Le PND, avec certaines
associations, devra, lui, distribuer un million de sacs dans
tout le pays. Une initiative qui a exigé même l’approbation
du chef de l’Etat lui-même. A Qalioubiya, dans le Delta, des
querelles ont éclaté entre les habitants qui voulaient se
procurer à tout prix ces produits alimentaires distribués
par le gouvernement. Celui-ci cherche à façonner son image
en concurrençant les islamistes, dit-on. L’idée est de
récupérer un rôle d’autrefois. En 1967, la Banque Nasser a
ainsi était créée essentiellement pour des œuvres de
solidarité sociale. La banque supervisait une centaine de
mawaëd al-rahmane (tables de charité) et les finançait par
l’argent de la zakate (aumône légale).
Mais les autorités seraient aussi en quête de plus de
contrôle, dit-on. Ainsi, des rumeurs ont depuis circulé
selon lesquelles elles cherchent à éliminer ces tables
ouvertes à tous les passants ou les placer sous une seule
tutelle, comme plaide le mufti d’Egypte. Un moyen de
contrecarrer les islamistes, notamment les Frères musulmans.
La confrérie peine depuis l’an dernier à tenir son iftar
collectif auquel sont souvent invités des politiciens et des
intellectuels, ainsi que les Frères les plus éminents. Les
différents hôtels s’abstiennent de faire des réservations
sans autorisation préalable des services de sécurité. Les
hommes d’affaires ont la main plus libre, surtout ces
membres du parti au pouvoir. Les tables de charité de
Mahmoud Aboul-Einein et d’Ahmad Ezz rivalisent avec celles
des stars. Les invités au repas ne sont pas uniquement les
pauvres, on trouve de tout, des vendeurs ambulants, des
ouvriers, des chauffeurs de taxi, des étrangers, surtout des
Chinois. Certains fréquentent même plus d’une table en un
seul jour. On va prendre la viande ici ou le poulet là-bas.
Tout dépend du luxe de la table étalée et de l’argent
dépensé par son propriétaire. « Ils se livrent à un
véritable show avec toutes sortes d’affiches. Une manière de
se vanter », croit Mokhtar Youssef, en ajoutant que « dans
tous les cas, c’est une question d’intention et on ne peut
pas les juger sur leurs intentions ». Cette générosité qui
caractérise le mois du Ramadan n’est pourtant pas
exceptionnelle. Le spirituel, la générosité et la compassion
se mêlent spontanément depuis l’époque des Fatimides et des
Toulounides. Ils changent de visage, un nouveau look en
fonction des époques, mais l’objectif reste le même. Pour la
première fois, les Egyptiens connaissent ainsi les dons sur
Internet. L’hôpital des enfants cancéreux a ainsi lancé ce
service sur son site www.57357.com. En 3 ans, l’hôpital est
parvenu à collecter 15 millions de dollars, en grande
majorité durant le Ramadan. Cette année, le Facebook qui
attire les Egyptiens est aussi un moyen pour mobiliser les
gens à la charité ramadanienne. Des groupes sont créés avec
des appels de toutes sortes pour aller rejoindre les
missions d’emballage ou de distribution (lire encadré).
Dans le garage de Chérif, ça bouge dans tous les sens. On
remplit les sacs, on ramasse les cartons vides ... Les
traces de labeur sont évidentes sur les visages de ces
jeunes bénévoles. Ils transpirent en se passant les sacs de
main en main pour finalement les poser dans les camionnettes
destinées à la distribution. Vers 17h, le travail est
presque achevé. C’est une mission terminée, mais ces
volontaires en action sont loin de passer au repos. Au
premier jour du jeûne, ils se retrouvent de nouveau une
heure avant l’iftar, pour partir à la distribution des
repas. Du porte-à-porte pour les pauvres méritant le plus la
charité. Somme toute, la charité qui fait partie de la
conception spirituelle du Ramadan n’a jamais été aussi
perceptible, voire urgente que cette année. La crise
économique l’explique surtout avec la hausse vertigineuse
des prix. Le Ramadan est aussi une aubaine pour les
commerçants.
Chaïmaa Abdel-Hamid
Samar Al-Gamal