Théâtre .
A travers une sélection de pièces de notoriété de Youssef
Idriss, le jeune metteur en scène Amr
Qabil nous propose une plongée dans son univers
singulier, cette semaine au théâtre Al-Ghad.
Les jeux du paradoxe
Les
pièces Al-Eib (le vice), Al-Haram
(le péché), Gomhouriyet
Farahat (la république de
Farahat), Al-Setara
(le rideau) et Akher al-dounia
(au bout du monde) sont reconduites en guise d’hommage
au dramaturge et de redécouverte de la quintessence des
années 1960. « Dès lors que je suis nostalgique de
l’écriture pertinente des années 1960, j’ai décidé de
présenter au public chaque année un de ses écrivains à
travers une série de spectacles théâtraux consacrés à leurs
œuvres. Ma première expérience fut dédiée aux œuvres de
Tewfiq Al-Hakim que j’ai
produites au palais de culture d’Al-Charqiya
», explique le metteur en scène Amr
Qabil. Et d’ajouter : « L’univers d’Idriss est riche
et nécessite une étude détaillée. Après la réussite de cette
première expérience, l’occasion était donc favorable à une
plongée dans sa propre œuvre ». Son pari est de ressortir
les divers aspects et qualités intrinsèques de ses pièces
avec la contribution d’acteurs chevronnés. Il varie sa mise
en scène entre le tragique et le comique, le réel et le
fantaisiste, etc. De l’univers romanesque,
Qabil a choisi de faire une
adaptation et un amalgame entre deux pièces Al-Eib
et Al-Haram. Dans la première,
Sanaa, employée modeste, est contrainte de suivre le même
chemin de corruption que ses collègues. Dans la deuxième
œuvre, Aziza, paysanne de souche pauvre, souffre de ses
moments de faiblesse et de sa grossesse illégitime. « Les
deux personnages ne sont que les deux faces d’une même
médaille », évoque le metteur en scène. Une raison pour
laquelle il a érigé un parallèle entre les deux pièces. Pour
ce faire, il a divisé la scène en deux. Le devant de la
scène sert à présenter les bureaux des fonctionnaires de la
ville. L’arrière-fond montre l’aspect rural. Les
fonctionnaires dans Al-Eib
changent sur scène quelques accessoires et habits pour
ensuite entrer dans la peau des villageois. Seules Sanaa et
Aziza maintiennent leurs personnalités. Les deux, victimes
de leur entourage, apparaissent ensemble sous un éclairage
rougeâtre. Elles s’affrontent, se dévoilent chacune à
l’autre dans une scène-clé qui résume toute l’idée du
spectacle.
Dans Gomhouriyet
Farahat,
Qabil est fidèle à la simplicité du texte d’Idriss.
Farahat est un commissaire de
police qui rêve d’un endroit utopique. Un homme dans le
commissariat dont il ignore l’identité l’encourage dans
cette perspective. L’inconnu envers qui il éprouve un grand
respect s’avère être un coupable en détention. Jouant sur
l’humour noir, le metteur en scène a autorisé les comédiens
à improviser leurs effets hilares. Certains défauts
physiques sont représentés en extravagance comme dans le cas
d’une dame gigantesque, âgée et laide, qui se plaigne des
flirts d’un jeune adolescent.
Quant
aux deux pièces présentées séparément, Al-Setara
et Akher al-dounia,
on y relève les minutieux détails descriptifs d’Idriss dans
les discours des personnages.
Al-Setara retrace l’histoire
d’un mari jaloux de son voisin célibataire. Il dresse un
rideau sur le balcon pour instaurer une barrière entre ce
voisin et sa femme sans jamais dévoiler ses motifs à
celle-ci. Le metteur en scène a recours à la commedia
dell’arte. Le personnage principal incarne un triptyque : le
mari qui aime sa femme, le soupçonneux et le naïf. Le
soupçonneux empreinte l’intonation typique du vilain,
caractéristique de l’acteur Zaki
Rostom, dans le cinéma égyptien
d’antan.
Dans Akher al-dounia,
l’idée est plutôt centrée sur un rêve avorté d’un jeune
enfant qui a perdu une pièce de monnaie fétiche. Il perd la
vie quand il la retrouve sur un chemin de fer.
Qabil se sert d’un écran
cinématographique afin d’articuler les séquences narrées par
les personnages sur scène au récit fictif de l’enfant. Ainsi
le paradoxe de la vie et la mort, du rêve et la réalité qui
jalonne l’œuvre de Youssef Idriss est mis en exergue par la
virtuosité de l’adaptation de Amr Qabil,
dans un souci de faire découvrir au public l’essence du
travail du grand dramaturge.
May
Sélim