Caire Islamique.
Ses monuments courent un véritable danger. Des vols
successifs ont eu lieu, au cours des six derniers mois, dans
plusieurs mosquées historiques.
Des déprédateurs au visage masqué
A
l’entrée de la mosquée d’Al-Fakahani dans le quartier d’Al-Darb
Al-Ahmar, au sud du Caire, une grande surprise attend les
visiteurs qui viennent exprès à cette mosquée pour
contempler sa porte. Celle-ci est considérée comme un des
chefs-d’œuvre rares de l’art islamique. Elle date de
l’époque du calife fatimide Al-Zafer qui l’a construite en
544 de l’hégire. En 1182 de la même ère, le prince Ahmad
Katkhoda Al-Kharbotli a démoli l’édifice original pour le
reconstruire, mais il a conservé la belle porte telle
qu’elle est. Maintenant, tous les ornements et toutes les
gravures de la porte ont disparu suite à un vol et une
plaque en bois la couvre à la place. « Beaucoup de visiteurs
et de touristes demandent pourquoi cette plaque qui enlaidit
l’entrée, surtout que la plupart d’entre eux connaissent la
valeur de la porte à travers les lectures dans de nombreux
ouvrages », explique l’un des fonctionnaires de la mosquée.
Quand il a su l’affaire du vol de la porte de la mosquée Al-Fakahani,
il a été choqué en disant que cette porte est incomparable,
puisqu’elle était réalisée selon la méthode des gravures
saillantes et l’arabesque symétrique. Il ajoute qu’avec ce
vol, on risque de perdre une étape importante des étapes de
l’évolution de l’art de la gravure sur bois. Mais comment ce
vol a-t-il eu lieu ? C’est la question qui se répète lors de
chaque cas de vol similaire, puisque ce n’est pas le premier
du genre et ne sera pas apparemment le dernier. A chaque
fois le même scénario se répète : une personne est passée à
l’intérieur de la mosquée lors de la prière d’Al-Aicha (la
cinquième prière des musulmans), prend tout son temps pour
arracher les ornements et les gravures de valeur qu’il veut
en s’aidant d’un marteau et ensuite il sort lors de la
prière de l’aube et chaque fois les gardiens de la mosquée
ne s’aperçoivent du vol que le matin !
La seconde catastrophe qui a bouleversé les cercles
archéologiques, c’est le vol d’une façade du minbar de la
mosquée d’Al-Saleh Talae qui est considéré comme le plus
important minbar après celui du sultan Lagine qui se trouve
dans la mosquée d’Ahmad Ibn Touloun. Ce minbar a été
construit en 699 de l’hégire. « Ils ont arraché
soigneusement sept gravures sous forme d’étoiles du minbar.
C’est un travail dur qui exige beaucoup de temps. Ce voleur
est un spécialiste et il a dû veiller la nuit à l’intérieur
de la mosquée. Le matin, quand on a demandé à la responsable
archéologique de la mosquée, elle a dit que ces décorations
subissent une restauration minutieuse ailleurs », se lamente
Sadeq Hanafi, habitant de la région et qui prie dans cette
mosquée depuis plus de 50 ans. « Je ne sais rien à propos de
ce qui s’est passé. Demandez à mes directeurs », balbutie
l’inspectrice en responsabilité de la mosquée.
Des mesures peu efficaces
A
la suite de ce vol, le système de sécurité de la mosquée a
changé de façon à ce qu’elle ne soit ouverte que 10 minutes
avant la prière, puis elle est immédiatement fermée après.
Le Conseil Suprême des Antiquités (CSA) a décidé pour sa
part de prolonger le temps consacré à la surveillance de la
mosquée qui au lieu de se terminer à 16h00, a été prolongé
jusqu’à 22h00. « Ces vols sont bien organisés et c’est un
groupe de bandits spécialisés dans les vols des pièces
islamiques dont ils connaissent bien la valeur et savent
bien les commercialiser, puisqu’aucune pièce n’a été
retrouvée », assure Mokhtar Al-Kassabani, conseiller du CSA
pour les monuments islamiques.
Le grand écrivain Gamal Al-Ghitani avait évoqué ces vols à
plusieurs reprises tout en mettant la lumière sur le fait
que plusieurs pays du Golfe construisent des musées pour
l’art islamique et bien sûr ils ne possèdent pas de
matériel, et l’Egypte est un musée ouvert pour l’art
islamique soit dans les mosquées, les madrassas (les écoles)
et ses sabils (les fontaines d’ablution). « Nos pièces
pourront donc réapparaître n’importe où dans le monde. J’ai
reçu des renseignements certains que des conteneurs remplis
tout entier de monuments égyptiens, soit islamiques ou
autres, passent à l’étranger », assure Mokhtar Al-Kassabani.
Le dernier vol dans cette région, mais qui a heureusement
échoué, est celui tenté dans la mosquée du Sultan Hassan qui
est d’une valeur historique très importante. Mais la
providence l’a protégée grâce à sa proximité de la mosquée
d’Al-Réfaï, dont la garde est assurée par une importante
force policière qui a pu attraper le voleur avant qu’il ne
quitte la mosquée.
Ce n’est pas en fait les premiers pillages qui ont eu lieu
dans la région d’Al-Darb Al-Ahmar. Il y a quelques mois les
responsables du CSA ont avoué que le minbar de la mosquée
d’Al-Tonbogha Al-Mardani a subi des vols. Cette mosquée
porte le nom d’un des princes du sultan Al-Nasser Ibn
Qalaoun vers 1330 ap. J.-C. Ce minbar, qui est considéré
comme le plus ancien d’Egypte, a été complètement vidé de
ses décorations en ivoire et en cuivre à trois reprises et
par la même manière comme le témoignent les procès-verbaux
faits à la suite de chaque vol. En outre, le minbar de la
mosquée de Ganem Al-Bahlawane, qui était l’une des rares
pièces islamiques fabriquées en ivoire orné de gravures en
cuivre, a été volé. L’importance de cette mosquée,
construite en 1409 ap. J.-C., est qu’elle porte le nom d’un
des plus importants princes du sultan mamelouk Qaïtbay et
elle est considérée comme l’un des rares monuments qui
persistent de l’époque des Mamelouks circassiens. Même les
fenêtres du sabil de Roqaya Doudou ont été pillées, de quoi
enlaidir l’un des plus beaux monuments islamiques remontant
à l’époque ottomane.
Une question de responsabilité
Le problème en ce qui concerne les mosquées, c’est que les
responsabilités sont partagées entre le CSA qui détient la
supervision archéologique de ces lieux saints et le ministre
des Waqfs qui dirige ces lieux comme étant des lieux de
prière. Ainsi, chacun se renvoie la balle. « Ce sont les
responsables du ministère des Waqfs qui se chargent des
mosquées, ce sont leurs gardiens qui veillent sur les
mosquées, notre rôle se limite à la maintenance et la
restauration », assure Mokhtar Al-Kassabani. « On a demandé
il y a plus de deux ans la liste des noms de ceux qui
travaillent dans ces mosquées pour les poursuivre,
puisqu’ils sont responsables du patrimoine égyptien tout
entier. Et on n’a reçu aucune réponse », renchérit Abdel-Khaleq
Mokhtar, directeur de la région archéologique du sud du
Caire.
Pour leur part, les responsables des Waqfs assurent que tout
ce qui fait partie du patrimoine égyptien est la
responsabilité du CSA et du ministère de la Culture. « La
responsabilité de ces vols est commune, mais je pense que le
simple gardien des waqfs ne connaît pas la valeur des pièces
volées. Celui qui vole est un spécialiste qui connaît bien
l’intérêt de ce qu’il pille et sait comment et où le vendre.
La preuve en est que la mosquée de Ganem Al-Bahlawane est
fermée depuis plus de deux ans pour les raisons de
restauration et il est la responsabilité de l’entreprise qui
exécute les travaux de restauration », répond cheikh Mohamad
Abdel-Rahmane, vice-ministre des Waqfs.
Abdel-Halim Noureddine, professeur d’archéologie et
ex-secrétaire général du CSA, partage la même opinion que le
cheikh Abdel-Rahmane. Il assure que seules les nouvelles
mosquées doivent dépendre des Waqfs. Quant à celles
historiques, elles sont la responsabilité du CSA qui connaît
bien leur valeur et peut bien les préserver contre tous les
périls et non seulement le vol. Il ajoute que le budget du
département des monuments islamiques doit beaucoup augmenter
pour pouvoir conserver ces trésors, puisqu’ils se trouvent à
l’intérieur des régions urbaines surhabitées, ce qui rend
difficile leur préservation et exige une surveillance 24
heures sur 24. « Les responsables des deux ministères
doivent rester ensemble pour coordonner leurs efforts le
plus rapidement possible pour prendre des mesures fermes
pour éviter de nouveaux vols et avant de perdre une autre
partie de l’histoire de ce pays », conclut Noureddine. Mais
la question qui se pose est de savoir comment on n’a pas le
moindre indice sur des crimes dont la réalisation matérielle
exige du temps, des efforts, du bruit ... Et s’il s’agit de
professionnels, n’a-t-on pas la moindre idée des filières
par lesquelles passe ce trafic ?
Dalia
Farouk