Liban.
Les différents protagonistes entament une nouvelle session
de dialogue national dans un climat délétère.
Le Hezbollah, nœud du problème
Le
Liban a entamé mardi un nouveau round de dialogue national
qui réunit les principaux dirigeants politiques pour
débattre notamment de la question épineuse de l’armement du
Hezbollah, dans un climat de crainte de violences après un
nouvel attentat, qui a coûté la vie à un député pro-syrien.
« La stratégie nationale de défense » va être le sujet
principal du dialogue, a déclaré le premier ministre, Fouad
Siniora. Elle devrait définir la relation entre l’armée et
le puissant mouvement chiite du Hezbollah, seule formation
libanaise à ne pas avoir été désarmée à la fin de la guerre
civile et qui fut le fer de lance de la résistance contre
Israël jusqu’à son retrait du Sud-Liban en 2000. « Plusieurs
acteurs locaux et étrangers souhaitent voir le Hezbollah
désarmé, alors que le camp opposé, à l’intérieur comme à
l’étranger, veut qu’il demeure armé », résumait dimanche le
quotidien indépendant Al-Anwar. La majorité parlementaire,
qui insiste pour que seul l’Etat puisse décider des
questions de guerre et de paix, avait proposé de débattre de
l’armement du Hezbollah dans le cadre d’un dialogue
national. Le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naïm
Kassem, a posé trois conditions au succès du dialogue, dans
des déclarations publiées ce week-end. Que « les
participants conviennent que le Liban n’a qu’un ennemi,
Israël », qu’il faut construire un « Etat fort, juste,
équilibré et capable » et que l’objectif doit être «
d’assurer les ressources nécessaires à la libération de la
terre et à la défense du Liban par le biais de la stratégie
nationale de défense ».
Pour beaucoup d’observateurs, le dialogue est déjà menacé
par les divisions, notamment concernant le dossier de
l’armement du Hezbollah. Les protagonistes « divergent sur
tout et notamment sur l’idée qu’ils se font du Liban »,
explique Rafic Khouri, rédacteur en chef du quotidien
Al-Anwar. « La majorité anti-syrienne veut discuter d’une
stratégie de défense nationale pour désarmer le Hezbollah et
ce dernier veut en discuter pour garder son arsenal »,
a-t-il souligné.
La controverse sur l’armement du Hezbollah s’est intensifiée
après l’enlèvement par ce mouvement de deux soldats
israéliens en juillet 2006, ce qui a entraîné un conflit
dévastateur de 34 jours entre Israël et le Hezbollah. Elle
s’est encore aggravée après les violences
intercommunautaires de mai au cours desquelles le Hezbollah
avait pris le contrôle du secteur ouest de Beyrouth. Ces
combats avaient fait 65 morts et 200 blessés.
Le président Michel Sleimane avait invité la semaine
dernière les 14 signataires de l’accord conclu en mai à Doha
(Qatar) et qui avait débloqué une grave crise politique
opposant la majorité anti-syrienne soutenue par l’Occident
et l’opposition emmenée par le Hezbollah chiite et appuyée
par la Syrie et l’Iran. En novembre 2006, la démission des
ministres de l’opposition pour protester notamment contre la
décision du cabinet de soutenir la formation d’un tribunal
international chargé de juger les assassins de l’ex-premier
ministre libanais Rafic Hariri avait plongé le pays dans une
grave crise politique. Le conflit avait dégénéré en mai en
combats sanglants, les pires depuis la guerre civile de
1975-1990, avant que l’accord du 21 mai ne permette
l’élection d’un président et la formation d’un gouvernement
d’union nationale où la minorité parlementaire bénéficie
d’un pouvoir de blocage. L’accord signé dans la capitale du
Qatar prévoit une reprise du dialogue national « pour
étendre l’autorité de l’Etat sur toutes les régions du pays
», en allusion au Hezbollah qui contrôle notamment le sud du
pays.
Crainte d’attentats
La reprise du dialogue a lieu dans un climat de crainte de
nouveaux attentats, à la suite de l’assassinat mercredi
dernier de Saleh Aridi, un responsable d’une formation
pro-syrienne, le Parti démocratique. « La sécurité
quotidienne devrait être le principal point des discussions
», estime Oussama Safa, directeur du Centre libanais
d’études politiques. « La stratégie nationale de défense est
une question qui concerne le long terme. Ce serait une
erreur de se concentrer exclusivement sur cela », a-t-il
dit. « Nous avons besoin de parler du fait que les gens
vivent dans la peur », a-t-il insisté. « La sécurité avant
le dialogue », titrait samedi le quotidien libéral An-Nahar.
L’assassinat de Aridi vient fragiliser les efforts de
réconciliation nationale déjà menacés par les profondes
divergences entre les parties rivales. Dirigeants et
observateurs ont souligné le moment choisi pour cet attentat
qui a coûté la vie à un membre influent du Parti
démocratique de Talal Arslane, un leader de la minorité
parlementaire soutenue par Damas et Téhéran et rival
traditionnel du druze Walid Joumblatt, ténor de la majorité.
L’attentat, le premier visant un responsable pro-syrien, est
en effet survenu à quelques jours avant la reprise du
dialogue national devant permettre à toutes les parties de
régler leurs divergences après une période de crise ayant
dégénéré en violences meurtrières en mai et fait craindre un
retour à la guerre civile. « Il faut prendre garde de toutes
les conspirations qui visent à (...) entraver les efforts de
réconciliation et les préparatifs pour le dialogue national
», a prévenu le président Michel Sleimane. « Qui veut tuer
le dialogue ? », demandait jeudi le quotidien francophone
L’Orient-le-Jour, alors que le journal An-Nahar, proche de
la majorité anti-syrienne, titrait « Le crime de Baysour :
un veto sanglant contre les réconciliations », en référence
à la localité au sud-est de Beyrouth où s’est produit
l’attentat.
Selon l’entourage de M. Joumblatt, la victime œuvrait pour
consolider la réconciliation entre les deux dirigeants
druzes, entamée après les violences de mai dernier. La
réconciliation « porte préjudice à certains », a affirmé M.
Joumblatt, en allusion à la Syrie, ancienne puissance de
tutelle. Le président syrien Bachar Al-Assad avait déclaré
le 4 septembre à Damas que la situation au Liban était
encore « précaire ». La Syrie est accusée par la majorité au
Liban de déstabiliser le pays et d’être derrière les
attentats ayant visé des personnalités anti-syriennes depuis
2004, tandis que le camp pro-syrien accuse Israël.
L’annonce de M. Sleimane survient également au lendemain de
la signature d’un accord de réconciliation entre les
communautés musulmanes alaouites et sunnites à Tripoli
(nord), dans le but de rétablir le contrôle de l’Etat sur
cette ville portuaire et mettre fin aux affrontements. Au
moins 23 personnes ont été tuées depuis le début des
violences en mai à Tripoli entre sunnites, partisans de la
majorité parlementaire anti-syrienne, et alaouites, ces
derniers étant proches de l’opposition libanaise emmenée par
le Hezbollah chiite et soutenue par l’Iran et la Syrie. Le
document signé appelle au retrait des hommes armés de la
rue, au déploiement des forces de sécurité, au retour des
déplacés chez eux, à des compensations pour les dégâts
matériels ainsi qu’à un plan de développement économique
pour la ville. Les soldats de l’armée sont rarement
intervenus au cours des affrontements qui ont eu lieu,
suscitant des critiques au sein de la majorité
anti-syrienne, qui accuse la Syrie, ancienne puissance de
tutelle au Liban, de déstabiliser le pays en soutenant
notamment les mouvements alaouites.
Ce climat de suspicions et d’accusations mutuelles jette une
ombre sur les possibilités d’entente entre les protagonistes
libanais. En 2006, un dialogue difficile avait réuni les
principaux dirigeants politiques mais avait été interrompu
après le conflit entre Israël et le Hezbollah l’été de la
même année.
Hicham Mourad