Caire Islamique .
Le ministère de la Culture a décidé de transformer quelques
monuments islamiques en hôtels et restaurants cinq étoiles.
Initiative qui a suscité un fort débat avec le risque d’une
atteinte aux édifices historiques d’une ville plus que
millénaire.
Loger dans le passé
Vivre
quelques jours comme un sultan mamelouk ou une femme du
temps des Abbassides est sûrement un rêve non seulement pour
des touristes, mais aussi pour les Egyptiens qui aimeraient
se trouver dans la peau de leurs ancêtres, dans une
atmosphère des mille et une nuits. Transformer quelques
anciennes constructions du Caire islamique en des hôtels ou
des restaurants est en fait la seule solution pour réaliser
ce désir. En effet, la réutilisation des monuments
historiques comme lieux d’hébergement touristique n’est pas
une nouvelle idée. Plusieurs pays arabes et européens ont
déjà transformé une partie de leur patrimoine architectural
en projet touristique sans précédent. En Syrie, en Espagne,
en France, en Turquie ... et dans beaucoup d’autres pays,
l’idée a eu un grand succès. D’ailleurs, le fait de la
réutilisation des monuments historiques n’est pas tout à
fait nouveau pour l’Egypte.
Bon nombre d’antiquités égyptiennes ont été reconverties en
des activités culturelles et artistiques. « Les sabils, ou
fontaines publiques, figurent en tant que premier exemple de
la réutilisation des monuments. Le sabil-kottab Qaïtbay de
la rue Al-Saliba, dans le quartier de la Citadelle, a été
aménagé pour abriter une grande bibliothèque consacrée à la
civilisation islamique et le sabil Mohamad Ali, situé rue
Al-Nahassine, sera bientôt transformé en musée de tissus et
de tapis de différentes époques égyptiennes et le sabil Al-Aïni,
annexé à la madrassa qui porte le même nom, a servi de
centre pour l’enseignement de l’informatique aux étudiants
d’Al-Azhar et aux habitants de la région », avance Sayed
Ismaïl, directeur des antiquités de la zone d’Al-Azhar. Par
la suite, d’autres monuments des époques islamique et
moderne ont été aussi réutilisés en tant que musées et
centres culturels. Citons Wékalet Al-Ghouri, devenue un
centre pour la réhabilitation de l’artisanat traditionnel du
Caire islamique, le palais du prince Amr Ibrahim à Zamalek
qui abrite aujourd’hui le musée de la céramique islamique
... D’autres sites, par contre, servent de bureau
d’inspection pour les fonctionnaires du Conseil Suprême des
Antiquités (CSA).
Mais la conversion en hôtels de monuments islamiques de
grande valeur est en fait une nouvelle idée pour l’Egypte,
du moins en ce qui concerne le patrimoine islamique. Un
restaurant, une résidence hôtelière, un centre de congrès ou
de séminaires peuvent-ils trouver place dans un monument
historique ? Si oui, à quelles conditions de sécurité et de
rentabilité ? « Il ne faut pas transformer tous les
monuments restaurés en des centres culturels. Ce serait
ennuyeux. Des objectifs sociaux seront aussi nécessaires
pour les gens. On peut les transformer aussi en des
hôpitaux, des banques ... Pour garantir une bonne
réexploitation des édifices historiques pour éviter qu’ils
ne retombent dans l’oubli », suggère Salah Zaki, professeur
d’architecture à l’Université Misr International et un des
participants au projet de la réutilisation des sabils du
Caire islamique.
Bazaraa, Qaïtbay et Mamay reçoivent les touristes
De façon générale, les projets de réutilisation doivent être
financés par le CSA, en collaboration avec le Fonds de
développement culturel. Mais cette fois-ci, le financement
sera par l’intermédiaire de certains investisseurs. Cette
démarche présente un double intérêt. D’une part, la
préservation de ces monuments, fleurons de l’architecture
islamique, et d’autre part, la sensibilisation de la
population à l’importance de la richesse du patrimoine.
Comme point de départ, le projet-pilote sera la
transformation de trois monuments du Caire islamique :
Wékalet Bazaraa du quartier Al-Gamaliya, Wékalet Qaïtbay à
Bab Al-Nasr et le Maqaad (siège) Mamay, situé rue Beit
Al-Qadi. Ces trois monuments ont été déjà restaurés dans le
cadre du projet du réaménagement du Caire fatimide.
« Le choix de ces monuments n’est pas le fruit du hasard.
Ceux-ci sont les mieux conservés du Caire islamique. D’autre
part, l’architecture de ces monuments possède beaucoup
d’avantages qui rendent sa réutilisation plus facile que
d’autres édifices islamiques ; d’abord la structure des
caravansérails qui aménage beaucoup de chambres et d’espaces
vides, leur surface assez importante, ainsi que leur
important emplacement dans des lieux très fréquentés.
Notons que ces caravansérails avaient autrefois presque le
même but, puisqu’ils étaient élevés pour faire loger les
négociants des pays islamiques et étrangers qui venaient
vendre ou acheter des marchandises du Caire islamique ...
Quant au Maqaad, il est construit à l’origine pour recevoir
les invités de la maison ; le transformer donc en restaurant
maintient sa vocation originale », explique Mohsen Sayed
Ali, directeur général des affaires des antiquités
islamiques au CSA. Les trois monuments choisis pour y
entamer le projet du ministère de la Culture seront
exploités pour une durée de 20 ans. Le groupe Eugénie pour
l’investissement touristique ainsi qu’une compagnie
d’investissement koweïtienne se sont présentés pour réaliser
le projet des deux hôtels cinq étoiles dans les Wékalas de
Bazaraa et de Qaïtbay. Alors que pour le projet du
restaurant au Maqaad Mamay, un célèbre restaurant français
s’est présenté pour le réaliser.
Une réutilisation critiquée
Quoique l’idée de réutilisation des antiquités paraisse
originale et fructueuse, elle reste pour beaucoup très
risquée. Cette réhabilitation comporte parfois des dangers.
Elle constituera un va-et-vient continu dans l’édifice.
Seront-ils préservés ou auront-ils besoin d’une nouvelle
restauration ? « La régularité d’un tel projet contredit la
loi numéro 117 pour l’année 1983 concernant la sauvegarde
des monuments. Le projet adopté par le ministère de la
Culture aura des effets catastrophiques qui, entre autres,
diminuent de l’âge des antiquités », estime Dr Haggagui
Ibrahim, professeur à l’Université de Tanta. De leur côté,
les responsables au CSA indiquent que la réhabilitation de
ces monuments doit être soumise à plusieurs critères, dont
le fait que la nouvelle vocation devrait correspondre au
caractère de l’édifice, son environnement et le style ancien
du Caire islamique. Des activités qui doivent répondre aux
attentes des habitants de la région et aux touristes, sans
représenter de danger pour les bâtiments historiques. De
quoi redonner un souffle de vie à ces monuments oubliés. «
Par exemple, il est logique que la cuisine des deux futurs
hôtels ainsi que du restaurant sera aménagée en dehors des
antiquités. On a aussi choisi des monuments bien conservés
qui peuvent subsister à la réexploitation. Il y a plusieurs
conditions qui réglementent la réhabilitation des monuments
», explique Sayed Ismaïl.
De son côté, Zahi Hawas, secrétaire général du CSA, s’étonne
de ceux qui refusent l’idée de la réutilisation des
antiquités. « Que faire d’un palais de l’époque médiévale,
d’un caravansérail historique, d’une forteresse restaurée ?
Quelle réutilisation pour notre patrimoine architectural ?
Est-ce que vous voulez que l’on s’arrête à la restauration
du patrimoine architectural, puis l’abandonner à son sort ?
En tirant profit de ces monuments, on les conserve mieux. La
réutilisation est une partie principale dans les étapes de
conservation d’un monument restauré. On accepte de tels
projets, après des études, tant qu’ils n’attaquent pas les
antiquités et qu’ils font entrer un bon revenu au pays »,
annonce-t-il.
Les responsables au ministère de la Culture œuvrent à ce que
ces lieux exceptionnels deviennent de nouvelles destinations
touristiques hors pair. Toutes ces nouvelles idées dans la
réutilisation des édifices donnent un cachet de renouveau et
attireront un grand nombre de touristes. En cas de succès,
cette expérience sera généralisée dans d’autres monuments
islamiques restaurés. Les résultats ne sont pas toujours
immédiats. Mais, le succès d’un tel projet vaut une forte
couverture médiatique à l’échelle nationale et
internationale (télévision, radio, journaux, Internet,
affiche ...), sans oublier la formation et l’intégration
sociale autour des monuments historiques sélectionnés .