Loisirs .
L’un avec son oud, l’autre avec son bouzouki et le troisième
avec son banjo, c’est tout un orchestre, mais fait
d’amateurs qui tiennent salon chez l’un d’eux pour
s’extérioriser.
Le rendez-vous de la société
Philharmonique
C’est
dans sa maison qu’il a appris petit à petit dès sa plus
tendre enfance à tomber amoureux de la musique en observant
son père jouant du oud. Plus tard, à l’école, il a appris
les premières bases de la note musicale et ne s’est pas
empêché d’être fasciné par ses rythmes.
Mais si le destin l’a obligé à faire des études de médecine,
le rêve de faire de la musique ne l’avait jamais quitté.
Aujourd’hui, Khalil Al-Diwani est un célèbre pédiatre. Mais,
ce n’est pas sa seule préoccupation. Sa passion pour la
musique l’a poussé à tenir chez lui un salon musical où se
rassemblent des passionnés comme lui chaque deux semaines
pour exercer leur hobby.
Un salon unique en son genre qui regroupe des gens occupant
différentes professions. D’apparence, ils n’ont rien en
commun. Mais, en assistant à leur réunion, on constate
facilement ce qui les unit.
Leur rendez-vous régulier date depuis 15 ans. Et même s’il
arrive parfois que des membres s’absentent et que d’autres
les remplacent, cette réunion musicale est quasi sacrée.
L’idée revient en fait au Dr Al-Diwani qui a vu dans cette
pause artistique une découverte des talents cachés. Ayant
fait des études spécialisées de musique, il n’a pas hésité
de joindre des orchestres assez connus comme celui de Sélim
Sahab. D’ailleurs, son oud ne le quitte jamais.
Ces rencontres mi-mensuelles sont organisées le mardi vers
11h du soir. C’est l’heure à laquelle Khalil termine son
travail à la clinique. Il ôte son manteau blanc et se
précipite pour joindre les autres membres du groupe. Ils
arrivent l’un après l’autre, chacun avec son instrument en
main. Sans perdre une seconde de temps, ils s’installent et
chacun occupe sa place habituelle.
Ismaïl arrive avec un grand cartable rectangulaire
comprenant une dizaine de flûtes et essaye deux ou trois
avant d’en choisir une. Saher, ex-responsable de sécurité
dans une grande entreprise et actuellement à la retraite,
arrive aussi avec son banjo.
Parler un même langage
Ici, on ne s’échange pas beaucoup de paroles, juste un court
salut et quelques petits commentaires sur la dernière
répétition et sur ce qu’ils désirent jouer et écouter ce
soir. « Pour moi, ce rendez-vous est sacré, je ne m’absente
que dans les cas d’urgence. Il m’arrive souvent de fermer
les portes de ma clinique pour ne pas rater la chose que
j’aime le plus », explique Hani Al-Sobki, psychiatre et qui
assiste à ce rassemblement depuis plus de 12 ans.
Lorsqu’il commence à mettre les doigts sur son oud, il
oublie tous ses maux et se sent soulagé, se débarrassant de
tous ses soucis et fatigues. C’est comme une séance de
traitement qui lui donne la force de reprendre son travail.
En
effet, Al-Sobki et Al-Diwani ne sont pas les seuls médecins
dans ce salon. Dans cette rencontre d’amateurs, on trouve
des spécialisations différentes. Pour eux, rien d’étrange si
des médecins peuvent avoir un côté artistique. « Nous
connaissons tous les secrets du corps humain. C’est le
plus bel exemple de la beauté et de la gloire de Dieu. Nous
apprenons à admirer tout ce qui est beau dans la vie. Le
métier de médecin est très fatiguant, ce qui augmente chez
lui le besoin de briser le rythme stressant du travail et de
trouver une percée », explique Al-Sobki.
Quelques moments plus tard, Alaa arrive. Dès qu’il
s’installe, on lui demande de chanter, il prend son oud
entre les bras, fait quelques gestes aux autres membres de
l’ensemble et commence à chanter Touta.
Une chanson très ancienne comme toutes les autres performées
dans ce salon. « C’est l’une des particularités de ce salon.
Nous tentons d’écouter les choses qui nous manquent et
auxquelles nous n’avons pas droit dans les chaînes de télé
», commente Ahmad Mansour, le célèbre présentateur de la
chaîne Al-Jazeera et qui révèle un autre visage de lui tout
à fait différent du « sérieux provocateur que l’on voit sur
l’écran de télé ».
Apportant avec lui un plat de basboussa, cette pâtisserie
orientale très sucrée, ce dernier n’est pas là pour jouer de
la musique, mais plutôt pour l’écouter.
Cela fait quatre ans seulement qu’il fréquente ce salon, et
aujourd’hui, il est l’un de ses fidèles. Il ne rate ce
rassemblement que lorsqu’il est hors du pays. « Peut-on
avoir une telle compagnie de personnes aussi raffinées et
cultivées, et de surcroît qui jouent de la musique et rater
cette occasion ? », s’interroge Mansour, dont le sourire ne
quitte pas son visage. Il fait de temps en temps bouger ses
jambes et sa tête pour exprimer sa joie.
Et des auditeurs aussi
D’autres mélomanes ont décidé de joindre ce salon. Ils sont
là pour apprécier la musique. D’après Saher, la présence de
ces auditeurs est très importante car elle enrichit le salon
et nous encourage à faire mieux. « Ils viennent avec des
demandes précises de chansons que nous tenons à leur
présenter ».
Le plaisir devient plus fort lorsqu’ils jouent en présence
d’une audience, et le spectacle peut durer pendant des
heures. « Je me suis éloigné un peu à cause du travail, mais
une fois à la retraite, je me suis donné corps et âme à ce
salon qui représente pour moi la plus grande source de joie
», confie Saher qui est aussi un membre fidèle dans d’autres
salons artistiques qu’ils fréquentent au cours de la
semaine. D’après lui, ces rassemblements sont beaucoup plus
intéressants que ceux des cafés où il perd son temps à
parler de choses inutiles.
« Endama yaäti al-massä » (quand la nuit tombe), une chanson
ancienne de Abdel-Wahab que Alaa décide de chanter pour
répondre aux demandes de l’audience.
Il répète des parties et fait quelques retouches à sa
manière, pour susciter l’enthousiasme des autres qui
expriment leur satisfaction par applaudissements. Alaa,
comptable et propriétaire de projets privés, a toujours
voulu être musicien ou chanteur. Il a joué des instruments
musicaux depuis l’âge de dix ans. Mais son père, ingénieur,
l’a obligé de devenir ingénieur ou d’entrer dans le monde du
business. Ne voulant pas sacrifier son talent, il a trouvé
un compromis, celui de pratiquer la musique en tant que
hobby. Au cours de ces quarante ans, il n’a raté aucune
chance pour profiter de son talent. Il a même été accrédité
par la radio en tant que chanteur.
Mahmoud rejoint le groupe avec son violon et Khalil laisse
son oud pour jouer du bouzouki. Réda, médecin spécialiste de
foie, reprend le chant avec une voix mélodieuse et aussi
belle que celle de Alaa. Pourtant, il se considère
simplement comme un amateur. Entre son travail universitaire
et sa clinique, Réda fait tout pour trouver un espace de
temps pour la musique. « J’assiste à des rassemblements
pareils depuis l’époque de Hamada Madkour, le médecin ayant
fondé le premier salon du genre en Egypte. Depuis cette
époque et jusqu’à ce jour, une harmonie regroupe les
assistants, puisqu’il s’agit de personnes du même niveau
culturel et social et des amateurs qui pratiquent un loisir
et ont un talent commun », confie Réda.
Pourtant, les artistes professionnels commencent
dernièrement à envahir ces salons, ce qui contredit le but
et l’idée de leur création. « Ce sont des personnes qui ont
un mode de vie et qui adoptent un comportement très
différents des nôtres », s’indigne Réda qui considère ces
quelques heures comme son unique détente.
Graduellement, il a décidé de se retirer de ce salon et est
allé à la recherche d’autres rassemblements du genre. Mais,
la présence des professionnels ne semble pas gêner tout le
monde. D’après Saher, il s’agit bien d’une preuve que leur
talent peut être comparé à celui des professionnels. Il
s’agit aussi d’un échange d’expérience et d’une ouverture
sur les dernières évolutions du monde artistique, ce qui
rend l’expérience plus utile et plus fructueuse.
Les heures passent et les gorges commencent à se sécher et
se fatiguer. Les regards se dirigent vers la table située au
milieu de la salle sur laquelle des boissons chaudes sont
servies. Khalil avait tout préparé à l’avance et quelques
invités ont apporté des mets avec eux. Le pharmacien Salah
Fawzi adore servir les autres. Il est l’un des fidèles de ce
salon depuis quatre ans, et confie que le jour où il est
venu ici pour la première fois, suite à l’invitation de
Khalil, a fait découvrir en lui cette passion. « Même si je
ne joue pas, j’ai vécu ce plaisir d’écouter de magnifiques
pièces. De plus, j’ai appris à mieux comprendre et goûter la
musique à travers l’échange de commentaires », dit Salah.
Les autres l’appellent le baromètre du salon. C’est selon
ses gestes et ses regards qu’ils constatent si leur
spectacle jouit de son admiration.
Par des invitations personnelles comme a été le cas avec
Salah ou du bouche à oreille, le salon a fait des échos.
Ici, ils se rassemblent tous, vivent cette harmonie et
parlent le même langage, celui de la musique.
Avant de quitter, Ahmad, lui aussi médecin, est là pour
écouter de la musique. Pendant toute la soirée, il s’occupe
d’enregistrer le show et vient de leur annoncer que la
prochaine fois, il leur offrira la première cassette qui
servira de souvenir.
Hanaa Al-Mékkawi