Mounir Fakhri Abdel-Nour,
secrétaire général du néo-Wafd, estime que la crise du parti
relève d’une sorte de culture de l’Egypte d’aujourd’hui,
faite de divisions, qui s’est imposée partout.
« Le Wafd doit rajeunir ses cadres, son image
et son discours »
Al-Ahram
Hebdo : Le néo-Wafd fait aujourd’hui face à une véritable
crise, que s’est-il passé exactement ? Est-ce uniquement un
conflit juridique entre l’ancien et l’actuel président ?
Mounir Fakhri Abdel-Nour :
Il faut remonter dans le temps pour chercher les racines de
ce conflit, plus précisément à l’automne 2005. Durant cette
période, des dissensions évidentes ont été mises au jour.
Parce que les différends étaient là mais plutôt latents. Des
différends entre le président du parti à l’époque Noamane
Gomaa et le haut comité du parti ainsi que la grande
majorité des comités des provinces.
— Nous étions au lendemain des présidentielles et presque au
moment des législatives ...
— C’est vrai et je pense que les présidentielles elles-mêmes
étaient une des causes principales de la crise actuelle. Il
y avait tout d’abord le comportement de Gomaa, qui s’est
avéré au-dessous de nos attentes à l’égard d’un président de
parti que ce soit au niveau de la forme ou du fond. La forme
n’était pas des plus respectables, vous avez certainement
entendu parler du discours électoral de Port-Saïd, lors
duquel Gomaa n’a pas hésité à insulter un des participants
au congrès. Sur le fond, on lui avait demandé d’étudier et
de planifier ses discours et son message politique mais il a
refusé en disant qu’il professe depuis une quarantaine
d’années et qu’il peut parler pendant des heures sans aucune
préparation.
— Donc ce comportement que vous venez de décrire était un
des éléments déclencheurs de la crise ?
— C’est un comportement qui a été jugé inacceptable d’autant
plus que Gomaa s’était révolté après les élections
présidentielles en raison de son échec (Gomaa est arrivé en
troisième position après le président Moubarak et Aymane
Nour dans ce scrutin). Il nous accusait de l’avoir obligé à
se porter candidat. Ce qui n’est pas tout à fait faux parce
qu’en effet, on l’a en quelque sorte poussé à se présenter.
Mais il nous a fait assumer la responsabilité des résultats
surtout qu’il sentait les critiques qui s’adressaient à lui
au sein du parti.
Les présidentielles ont été suivies par les législatives et
là malheureusement, il a adopté une attitude tout aussi
injustifiable. C’était la goutte d’eau qui a fait déborder
le vase. Il a usé de toute sa force pour faire échouer les
candidats du Wafd aux législatives. Il a réussi à faire
échouer Fouad Badrawi et moi-même, mais il n’a pas réussi à
obtenir le même résultat avec Mahmoud Abaza (l’actuel
président du parti). Imaginez-vous un président du parti qui
met les bâtons dans les roues de ses collaborateurs.
— Mais avant ce paroxysme, les luttes intestines au sein du
parti se laissaient entendre en dehors des locaux ?
— Je crois que Gomaa gérait d’une manière
dictatoriale. Le haut comité demandait des changements du
statut du parti. Car, c’était un statut presque élaboré sur
mesure pour le fondateur du néo-Wafd, Fouad Séragueddine.
Celui-ci jouait un peu le rôle du père des Wafdistes et on
lui accordait énormément de pouvoirs, notamment en raison de
la différence d’âge et d’expériences. Et donc, il était
temps de modifier ce statut pour qu’il soit adéquat ou
convenable avec un président normal, un président élu. Les
changements portaient sur deux points essentiels. Il
s’agissait d’abord de limiter les pouvoirs du président du
parti pour rendre les structures du parti beaucoup plus
démocratiques, d’avoir un véritable dialogue à l’intérieur
du parti et puis de limiter dans le temps le mandat du
président. Il est impossible de réclamer au président de la
République d’avoir un mandat limité alors qu’au sein du
parti le mandat est pour une durée indéterminée. Donc,
c’était sa gestion du parti, sa gestion du journal et puis
son refus de modifier le statut et son piètre score durant
les présidentielles.
— Plusieurs mois plus tard, les choses ont pris une tournure
différente avec des bagarres durant lesquelles des armes ont
été utilisées ?
— C’est parce que le haut comité devait se réunir tous les
mois, mais Gomaa a commencé à faire entendre qu’il ne
respecterait pas cette nouvelle mesure et le jour prévu de
la réunion, on arrive et on trouve des gens qui ne sont pas
membres du haut comité occuper la salle de réunion. C’était
un mélange de partisans de Gomaa et des hommes de bras qui
venaient empêcher la réunion. Donc, nous nous sommes réunis
dans une autre salle, en l’absence de Gomaa, et avons décidé
de le limoger de son poste conformément à l’article 5 du
règlement du parti. C’était une décision prise à la grande
majorité, seuls 3 membres du comité ont voté contre. On
avait épuisé tous les moyens et les choses traînaient depuis
6 mois. Vous connaissez le reste de l’histoire. Il a
continué à venir au siège et quand il s’est rendu compte que
le courant de la réforme est plus fort que lui, il est parti
et allé se jeter dans les bras de quiconque, en dehors du
Wafd, pour le soutenir. Il a réussi ainsi à obtenir une
décision du Parquet lui permettant de retourner au siège
comme si le problème était celui d’une possession de
propriété. L’assemblée générale a confirmé la décision de
limoger Gomaa et décidé d’élire Moustapha Al-Tawil, nouveau
président. L’assemblée s’est réunie de nouveau pour modifier
le statut du parti. Depuis, les prérogatives du président
ont été restreintes, le mandat a été limité à 4 ans,
renouvelable une seule fois. Il a été également décidé
d’élire un nouveau président en juin 2006, date de
l’élection d’un nouveau haut comité.
— Par la suite, Mahmoud Abaza a été élu nouveau président du
parti mais en même temps Gomaa a obtenu plusieurs décisions
de justice en sa faveur, l’affaire ne s’est-elle pas
transformée en conflit purement personnel qui va à
l’encontre du parti ?
— Gomaa a eu recours à la justice en faisant des manigances
vraiment magnifiques. Il a obtenu plusieurs jugements
administratifs qui, je crois, n’ont aucune importance. Le
plus important, c’est le verdict émanant du tribunal civil,
qui qualifie d’illégale son expulsion du parti. On a fait
appel et on attend la décision de justice ce 30 juillet.
— Si Gomaa réussit à confirmer le jugement en sa faveur, que
va-t-il se passer au sein du Wafd ?
— C’est absurde. Le Wafd est un parti qui a une structure,
une base populaire, plusieurs milliers de Wafdistes, une
assemblée générale constituée de 2 500 membres, on n’est pas
dans le vide. Dans les pays où le droit règne, l’assemblée
générale des partis est maîtresse de ses décisions. Au Wafd,
elle se réunira le jour du procès pour reconfirmer ses
décisions. Je ne vois pas comment on peut lui imposer une
autre décision. Même si le verdict est en faveur de Gomaa,
concrètement comment sera-t-il appliqué ? Il va pouvoir
entrer au parti, mais comment va-t-il gérer ? Il y a un haut
comité élu, qui le rejette, il va le limoger et travailler
avec l’ancien comité qui l’a limogé !
— Comment donc sortir de cette impasse ?
— Aujourd’hui, il y a trois possibilités. La première est
que le jugement sera en faveur de Gomaa et là encore,
franchement, je ne vois pas comment il pourrait être
appliqué ou applicable. La seconde possibilité est que le
jugement ne sera pas rendu, c’est-à-dire le déférer à un
spécialiste, à un comité pour l’examiner, c’est-à-dire
qu’entre guillemets : le tribunal ne veut pas se prononcer.
Et dans ce cas, il faut tourner la page et participer au
débat politique en cours en Egypte et laisser ces différends
de côté. La dernière possibilité serait un jugement en notre
faveur et donc le dossier sera clos.
— Mais où se situe le néo-Wafd sur la scène politique, ne
serait-il pas injuste d’imputer l’échec aux législatives à
la seule mauvaise gestion de Gomaa ?
— C’est très pertinent. Je pense que le pays a besoin d’une
alternative convaincante et objective au PND. Le Wafd
devrait se poser comme cette alternative, crédible et
objective. On devrait être là pour combler ce vide mais pour
le faire, il faut remplir plusieurs conditions. Il faut être
jeune, paraître jeune et parler jeune parce qu’on a affaire
à une population jeune. L’histoire a donné au Wafd les
valeurs et les principes, c’est un tracé de chemin mais ce
n’est pas suffisant. Il faut avoir de nouvelles idées pour
les nouveaux problèmes et la nouvelle audience.
— A vous entendre, on voit que le parti est riche en « idées
jeunes », qu’est-ce qui empêche donc le parti de représenter
cette alternative ?
— Vous connaissez déjà la réponse. Il y a des entraves de
partout. On n’a pas les mains libres pour travailler. Ce
n’est pas une coïncidence, ce n’est pas par pur hasard que
toute la société fait face à des problèmes de ce genre.
L’Ordre des avocats, le club Zamalek, la Fédération de
handball, le syndicat des commerçants, les médecins ...
partout il y a des divisions. Je crois qu’il y a une main
invisible qui s’ingère partout pour, excusez mon langage «
foutre le bordel », soit c’est un phénomène qui est devenu
une sorte de culture de l’Egypte d’aujourd’hui : une culture
de divisions, de sécessions, de scissions qui s’est imposée
partout.
— Le néo-Wafd est-il aujourd’hui un parti vieux ?
— C’est un parti historique qui doit rajeunir ses cadres,
son image et son discours. Le Wafd n’est pas assez jeune et
je ne suis pas assez jeune non plus.
— Beaucoup font porter cette responsabilité de
vieillissement des partis au régime, est-il possible de le
pousser à agir autrement ?
— On est certainement à la croisée de chemins, à la veille
d’un changement quelconque. J’espère qu’il sera positif. On
s’approche très rapidement du terme d’un mandat. Il y a une
génération qui doit passer la relève à une autre. Il existe
d’énormes problèmes économiques et sociaux qui ne peuvent
pas ne pas aboutir à des changements. Rien qu’à lire
l’histoire socio-économique de l’Egypte au XXe siècle pour
comprendre qu’à chaque fois qu’il y a eu une inflation, il y
a eu un changement. A la fin de la première guerre mondiale,
à cause de l’inflation et l’augmentation des prix, c’était
la Révolution de 1919. A la fin de la seconde guerre
mondiale, toujours à cause de l’inflation et ses
conséquences, c’est-à-dire l’écart entre les riches et les
pauvres, les mouvements sociaux qui se relèvent et se
multiplient, on a eu le coup d’Etat de 1952. Aujourd’hui,
nous vivons une période économiquement riche en changements,
qui ont un impact social énorme et l’on s’en rend pas
compte. Personne ne gère ces problèmes et je crois que
quelque chose va avoir lieu.
— Et vous avez des solutions à ces problèmes ?
— Certainement. Il faut avant tout rassembler le peuple. Les
problèmes sont tellement compliqués qu’ils ne peuvent pas
être résolus que dans le cadre d’un accord national, un
consensus national, car les solutions sont pénibles et il
faut savoir partager socialement cette peine. Et pour
aboutir à un consensus, il faut avoir un dialogue national.
Malheureusement, on a affaire à un régime et un gouvernement
qui s’imaginent avoir le monopole du savoir, de l’expérience
et de la justice.
— Vous contestez la manière dont le gouvernement gère
l’économie du pays ?
— Ce gouvernement gère l’économie avec le seul objectif
d’augmenter la croissance et je crois que c’est un faux
pari, puisqu’il n’est pas accompagné d’une politique
sociale. Parier sur une politique appelée le consensus de
Washington est une erreur grave, parce que là où elle a été
appliquée, elle a eu exactement le même résultat :
c’est-à-dire un taux élevé de croissance et une énorme
disparité des biens et des revenus avec un dualisme social.
— N’est-ce plutôt un discours proche du socialisme ?
— De parler de justice sociale ? Appelez-le le communisme
même. Peu importe les étiquettes. Le Wafd est le premier
parti politique qui a fait entrer dans le dictionnaire
politique égyptien l’idée de justice sociale. On la retrouve
dans le discours de Makram Ebeid en 1936. C’est également le
Wafd qui a créé les syndicats ouvriers. Si en Egypte
aujourd’hui, on ne se prend pas la peine de parler de
justice sociale et de la mettre à la tête des priorités de
la politique économique, c’est qu’on est inconscient de la
réalité. Il faut aller à la campagne pour se rendre compte
combien c’est pauvre et à quel point ils ont besoin de tout.
Propos recueillis par Samar Al-Gamal