Antoine Haj,
55 ans, est un incontournable de la gastronomie libanaise et
occidentale. Devenu une vedette des chaînes télé satellites
grâce à la simplicité de ses recettes, il se fait aussi un
plaisir de partager ses secrets culinaires avec les
étudiants de l’Ecole hôtelière de Beyrouth.
Le chef de la toque libanaise
« C’est à l’œuvre que l’on reconnaît l’artisan ». Un
proverbe qui s’applique bel et bien au chef Antoine Haj,
directeur des études et travaux pratiques à l’Ecole
hôtelière et à l’Institut dépendant de cette école, situés
tous deux à Dekouane, dans la capitale libanaise. A 55 ans,
ce maître incontesté de l’art culinaire parvient à attirer
le grand public d’amateurs de bonne chère libanaise et
étrangère. Sans trop débourser ni inventer. Un peu à la
manière de nos grands-mères, autrement dit au naturel. Car
il anime, depuis l’an 2000, un programme à la Télévision
publique, Télé Liban, diffusé quotidiennement à 15h. Cela,
au grand bonheur des gourmands et gourmets. D’ailleurs, son
programme fait, contrairement aux politiciens, la joie,
l’enthousiasme et l’unanimité de tous les Libanais. Ainsi,
reçoit-il tous les jours quantité d’appels en direct en
provenance du monde arabe, d’Europe, des Etats-Unis, mais
aussi d’Australie.
Cependant, il ne s’agit pas là d’un orateur né ou d’un grand
diseur. Bien au contraire, ce chef de la toque libanaise se
distingue par sa spontanéité et son charisme. En parlant de
sa cuisine, il adopte un véritable langage de l’amour. Il
n’y va pas par quatre chemins, mais tout droit au cœur à
l’idée de concocter avec ses téléspectateurs un délicieux
repas. Raison pour laquelle on le sent tout proche de la
femme au foyer, de cette Libanaise traditionnelle mettant en
pratique les recettes de sa maman ou encore de sa
grand-maman. En fait, il s’agit d’un véritable patrimoine
culinaire qu’il essaye de préserver ou de vivifier.
Son parcours n’a pas été semé de roses. Un véritable
parcours de combattant, mais à la manière d’Auguste: Festina
Lente (Hâte-toi lentement pour arriver à un travail bien
fait).
Né le 10 novembre 1953 à Kornayel, dans le caza de Baabda,
dans la banlieue de Beyrouth, il aimait, alors qu’il était
encore tout petit, s’infiltrer dans la cuisine où sa mère
préparait le repas du jour. Sa passion culinaire s’est
enrichie de sept ans d’études à l’Ecole hôtelière de
Dekouane, fondée en 1956. C’était d’ailleurs l’unique école
en son genre au Liban à cette époque, dépendant jusqu’à nos
jours du ministère de l’Education. « De stage en stage, j’ai
voulu perfectionner ma formation, d’abord à l’Université
américaine de Beyrouth (AUB) en 1974 et 1975, ensuite à
Lausanne, en Suisse en 1977 et enfin j’ai effectué une
tournée dans une vingtaine de pays européens et étrangers »,
souligne le chef Antoine, bien déterminé à aller de l’avant.
Côté pays arabes, il inaugure en 1975, avec un directeur
tunisien l’Ecole hôtelière d’Iraq où il a appliqué les
programmes suivis au Liban. En 1979, c’est le retour au
bercail. En 1986, il prend en charge la spécialisation BT
destinée aux bacheliers, pour fonder ensuite en 1992
l’Institut des études hôtelières destinées aux jeunes
universitaires. Et depuis 1996, il préside le jury d’examens
des travaux pratiques à l’école et à l’institut, tout en
s’occupant de la commission d’achat de ces établissements.
Fort de succès dans les rangs académiques, il choisit de
percer pour atteindre le grand public. Comment ? En faisant,
en 2000, son entrée spectaculaire à la télévision de l’Etat.
Sa popularité n’a pas tardé à se faire remarquer et il
devient vite le chef de tous les Libanais ou plutôt de
toutes les Libanaises, tous bords confondus. Le secret de la
recette ? Décrier au naturel tout comme la femme au foyer, «
comme si c’était moi qui préparais le menu », souligne May,
cordon bleu, qui insiste cependant à suivre régulièrement le
programme du chef.
Amoureux de son métier, il l’est davantage de son pays, le
Liban, qu’il a aimé et qu’il aime au point de ne jamais
vouloir le quitter pour aller briller ailleurs. Cela à
l’heure où des millions de ses compatriotes sont en
expatriation et réussissent. Mais comme le soleil luit pour
tout le monde, il opte pour la vie au sein de la mère
patrie. « J’y suis, j’y reste », dit-il fièrement. Il reste
donc et assure annuellement la formation de quelque 1 200
étudiants, futurs chefs hôteliers. Et sa popularité franchit
les frontières libanaises. Son émission Maakoul al-hana (bon
appétit) est suivi par un grand nombre de téléspectateurs
arabes et étrangers désireux de connaître ses astuces
libanaises. Il y consacre la moitié du temps prévu pour son
programme, répondant lentement mais sûrement à toutes les
questions posées. De toute façon, son patriotisme ne l’a pas
empêché d’offrir son expérience aux différentes chaînes de
télévision étrangères. De courte durée, disons, avant le
retour au pays.
C’est ainsi qu’en 1980, il collabore pendant deux ans et
demi avec Antenne +. Durant le mois sacré de Ramadan, il
présente sur la chaîne Orbit le menu quotidien. Durant 3 ans
consécutifs. Il a passé également 9 mois à MBC et a
participé en 1996 en direct au célèbre mois du shopping à
Doubaï. Et l’Egypte ? « Je l’ai visitée en touriste, tout
simplement », remarque-t-il humblement avant d’ajouter : «
Un pays riche de par sa civilisation. J’aimerais bien y
retourner pour échanger les expériences ». Donc, autant
d’expériences qui ont contribué à enrichir son parcours
professionnel.
Côté social, le chef Antoine n’hésite pas à accorder chaque
mois trois heures de son temps aux associations caritatives
telles que Caritas et ak-saha pour les orphelins.
Son plan d’avenir ? Achever son ouvrage de cuisine retardé
par un problème technique. Le plus important demeure son
projet non seulement théorique mais aussi et surtout
pratique. Il n’hésite pas à le clamer haut et fort. « Je
voudrais assurer le repas du jour à la femme, surtout
active, à des prix abordables pour ne pas dire compétitifs
», assure-t-il. L’idée d’offrir au grand public un bon plat
sans bourse trop délier ne fait qu’accroître sa popularité,
réussissant, là où les politiciens ont échoué, à savoir
unifier tous les Libanais en remportant tous les suffrages.
Mais « que conseille-t-il aux jeunes Libanais assoiffés de
diplômes ? », s’interroge Siham, fonctionnaire au ministère
de l’Education. « Il n’est pas donné à tout le monde d’être
médecin, ingénieur ou avocat. La chance est offerte à tous
les jeunes du cycle secondaire ou universitaire de briller
dans le domaine hôtelier au Liban », rétorque-t-il. Encore
faut-il qu’on leur donne l’occasion de pouvoir réussir dans
leur pays, si bien entendu, la situation politique le leur
permet. Le chef parle peu politique et encore moins vie
privée. Il a appris à donner la recette du bonheur de
manière très pratique, affichant son air sérieux. Sous la
toque libanaise, il y a pas mal d’idées qui mijotent et de
bons plats encore à déguster.
Mireille Bouabjian