Insolite.
Après la femme juge et maazoun, voici un autre monopole
masculin bousculé. Al-Osta Oum Bassem est la première femme
en Egypte à exercer le métier de plombier. Un travail
physique et rude à la fois réservé aux hommes. Focus.
Mme la plombiere arrive
Lorsqu’il
s’agit de déboucher une canalisation, réparer une chasse
d’eau ou un robinet cassé, les habitants de Haret Al-Nassarah
font désormais appel à Siham Moghazi, ou Al-Osta Oum Bassem,
comme ils l’ont surnommée. Agée de 54 ans et vêtue comme un
homme, pantalon et chemise, Oum Bassem a quelque peu dérouté
tout le monde.
Elle est la première femme à exercer le boulot de plombier,
un métier exclusivement masculin. Dès que l’on pénètre le
quartier de la Citadelle, Souq Al-Sélah et Bab Al-Khalq, les
habitants s’affairent pour indiquer son domicile ou la
quincaillerie par laquelle elle passe chaque jour. Tout le
monde la connaît. Ses clientes lui sont fidèles, et son
numéro de téléphone figure dans les index tant sa réputation
a dépassé les frontières de son quartier. « Faire de la
plomberie ne m’avait jamais effleuré l’esprit », dit Oum
Bassem.
Tout a commencé en 2005 lorsqu’elle s’est présentée au
ministère des Affaires sociales pour prendre part au projet
d’Aghakhan. Un projet lancé par le ministère de l’Education,
en collaboration avec les Affaires sociales, la société
Aghakhan et l’Union franco-américaine au quartier de Darb
Al-Ahmar pour lutter contre le chômage. « Je voulais suivre
des cours de couture pour apprendre à confectionner des
vêtements pour mes petits enfants. Des vêtements qui coûtent
de plus en plus cher dans les magasins de prêt-à-porter.
Durant cinq mois, j’ai fait des va-et-vient incessants pour
tenter de m’inscrire, et à chaque fois, les responsables me
répondaient qu’il existait seulement une formation pour la
plomberie ».
Une réponse qui a provoqué un déclic chez Siham. Elle décide
alors de franchir le premier pas et présente son dossier. En
le parcourant, le fonctionnaire lève la tête et la regarde
avec des yeux de merlans frits. « Avez-vous compris ce que
signifie le mot plombier? Ce n’est pas un métier pour les
femmes », lui lance-t-il, en rejetant carrément sa demande.
Mais Siham s’obstine et ne baisse pas les bras. Elle le
supplie de l’accepter en lui proposant de verser 1 000 L.E.
en guise d’assurance au cas où elle causerait des dégâts. Et
face à cette obstination, les responsables ont cédé et ont
même ouvert la porte à d’autres candidates. « Au début, on
était onze, mais toutes n’ont pas résisté, je suis la seule
à avoir continué les études », dit Siham, tout en ajoutant
qu’elle a eu droit à des réflexions désobligeantes de la
part des hommes qui suivaient la même formation.
Une chose inconcevable pour eux comme pour tout le monde,
puisque le métier demande beaucoup d’efforts physiques sans
compter qu’un plombier est contraint de travailler avec des
outils traditionnels comme le chalumeau, et doit rester
longtemps dans des positions incommodes et se déplacer
continuellement avec une caisse d’outils bien lourde, ou
pire encore s’engouffrer dans un trou pour réparer ou
installer une canalisation de drainage sanitaire. Oum Bassem
rapporte qu’un jour elle s’est rendue avec ses collègues
dans un atelier pour s’entraîner. Là, on lui a demandé de se
glisser dans un trou et réparer une canalisation enfouie
sous terre. Une fois les travaux achevés, ses camarades ont
pu se laver et se changer alors qu’Oum Bassem fut contrainte
de marcher dans la rue avec sa tenue toute souillée et
dégageant une odeur nauséabonde. « Pourquoi ne restes-tu pas
à la maison comme toutes les femmes normales ? Pourquoi
avoir choisi un métier aussi difficile ? », lui lance l’un
d’eux. Et des commentaires pareils, elle en a entendu. Mais
elle essaie de leur expliquer qu’une femme ou un homme, cela
ne fait aucune différence et qu’elle est capable d’exercer
ce métier. « Mon chef a eu du mal à m’admettre dans ce
groupe, il ne voulait pas m’adresser la parole au début et
n’osait même pas prononcer mon nom à l’appel. Mais j’ai fini
par gagner sa confiance », explique Oum Bassem. Et d’ajouter
: « Les cours théoriques et pratiques avaient lieu de 8h
jusqu’à 14h à l’école de Zein Al-Abedine, à Sayeda Zeinab.
La première fois où l’on m’a remis une caisse d’outils et un
uniforme complet : une salopette, un kozloq (une paire de
bottes en plastique), un casque et des gants et que l’on m’a
demandé de descendre à l’atelier, j’étais au comble de la
joie. Ce jour-là, j’ai eu droit à des critiques bien
sévères. On me trouvait un peu trop émancipée et mes
camarades refusaient de marcher avec moi lorsque je portais
cette tenue ».
Des mentalités rétrogrades
En effet, Siham est une personne tout à fait singulière.
Mère de trois enfants et diplômée en commerce en 1972, elle
a toujours refusé d’être une femme au foyer. Elle a d’abord
occupé un poste à la banque Misr, puis elle est partie au
Koweït où elle a exercé le métier de secrétaire durant 10
ans dans une agence de voitures. De retour en Egypte, Siham
a monté un projet pour gagner sa vie et subvenir aux besoins
de ses trois enfants, après son divorce. Elle a ouvert un
restaurant de fast-food, mais a été victime d’escroquerie,
ce qui lui a coûté tout son argent. Elle a donc cherché à
exercer un travail manuel et a tenté sa chance partout. Une
fois coiffeuse, une autre repasseuse et pour finir, elle
s’est lancée dans la plomberie. Pour nourrir ses enfants, il
lui fallait suivre cette formation. Et les choses ne seront
pas si simples pour elle. Mais Siham ne perd pas espoir.
Comme pour tout métier nouveau pour la femme, elle réussit à
se faire une place parmi les phallocrates. Après deux ans
d’études, Siham obtient un certificat d’excellence du
ministère de l’Education l’autorisant à exercer ce métier.
Le premier travail qu’elle a effectué avec succès a été de
changer une installation d’eau et réparer une fuite dans des
toilettes. Elle relate la scène de la cliente qui, en
ouvrant sa porte, a été surprise de voir une femme en face
d’elle, alors qu’elle s’attendait à un homme. Choquée, la
cliente lui claque la porte au nez et ne l’a fait rentrer
chez elle qu’après avoir téléphoné au propriétaire de la
quincaillerie où elle a l’habitude de rester. Ce dernier lui
a assuré qu’elle pouvait lui faire confiance. « La cliente
n’a pas cessé de me regarder en doutant de moi, mais j’ai
réussi à la satisfaire en réparant sa chasse d’eau »,
explique-t-elle, tout en ajoutant que beaucoup de clientes
pensent qu’une femme est incapable d’exercer un tel métier.
Oum Bassem se souvient encore du jour où elle est allée
faire l’installation d’une cuvette de toilette dans un
domicile situé au centre-ville. Cela s’est bien passé sauf
qu’elle n’a pas réussi à venir à bout d’une fuite, parce
qu’elle a oublié de placer un anneau en caoutchouc qui
assure l’étanchéité. Pour sortir de cet embarras, Oum Bassem
décide de téléphoner à l’un de ses camarades pour lui venir
en aide. « J’ai formé tous les numéros de mes camarades,
mais aucun ne m’a répondu. La cliente s’est énervée et m’a
insultée. Depuis, je ne compte que sur moi-même et avant de
me rendre chez un client, je revois tout ce que j’ai étudié
et appelle mes enseignants en cas de besoin ». Et si
beaucoup de personnes rejettent l’idée qu’une femme puisse
exercer ce métier, les femmes voilées ou qui habitent seules
apprécient ma présence. Tel est le cas de Karima. « Les
pannes, c’est toujours une source de tracas à la maison : un
évier bouché, un robinet défectueux, une fuite d’eau, un
ballon d’eau chaude en panne, autant de désagréments qui
paralysent mon quotidien. Cependant, je n’ose pas faire
appel à un plombier que si mon mari est présent à la maison,
et malheureusement, il rentre très tard le soir, alors il
faut demander à la voisine de venir pour me tenir compagnie
», dit Karima.
De jour comme de nuit, Oum Bassem n’hésite pas à se déplacer
pour dépanner les gens. Elle répare et entretient les
canalisations d’eau et de gaz en amont et en aval des
appareils eux-mêmes. Elle effectue aussi la pose et la
réparation des appareils sanitaires. Autrement dit, elle est
capable de tracer le parcours des canalisations le long des
murs et des planchers et perce les trous nécessaires pour
fixer les conduites. Reste à façonner la tuyauterie en
coupant les tubes aux dimensions désirées, faire une soudure
pour les joindre les uns aux autres et les fixer à un
appareil (chauffe-eau, radiateur, baignoire, évier, etc.).
Une fois le système installé, Oum Bassem vérifie
l’étanchéité et l’isolation. Lorsque tout fonctionne et
qu’aucune fuite n’est décelée, elle pose les appareils
sanitaires (baignoire, lavabo, évier ...), procède aux
raccordements électriques, aux réglages et à la mise en
service de la production d’eau chaude. Son outil
traditionnel est le chalumeau et sa caisse à outils ne la
quitte jamais. Une caisse pesant au moins une vingtaine de
kilos et qui contient un outillage très spécialisé, à savoir
un coupe-tube, un ressort à cintrer, une cintreuse, une clé
serre-tube, une ventouse et un furet ainsi que différents
accessoires utilisés pour une réparation provisoire. Et si
Oum Bassem est entrée dans ce métier par pur hasard,
aujourd’hui, elle l’adore et veut tout savoir. « La
plomberie est un univers fait de pièces en tout genre, c’est
pourquoi j’ai toujours à ma disposition ma caisse que je
considère comme mon trésor, car elle contient un stock
important de pièces qui me permettent d’intervenir
rapidement dans toutes les circonstances », dit-elle. Chaque
jour, Oum Bassem se rend au café situé à quelques pas de sa
maison pour attendre qu’un client lui fasse signe. Mais elle
passe la plupart de son temps dans la quincaillerie du coin.
Là, c’est l’occasion pour elle de feuilleter quelques
catalogues pour découvrir des modèles plus esthétiques ou
plus pratiques. « Je dois être hautement qualifiée, car la
technologie évolue et il faut s’adapter aux nouveaux
matériaux et aux nouvelles techniques », explique-t-elle.
Or, si Oum Bassem a fait ses preuves et fait front aux
hommes, ses trois enfants rejettent l’idée que leur maman
exerce un tel métier. Sa fille Bardisse, âgée de 19 ans,
refuse de voir sa mère rentrer chaque jour du travail les
mains couvertes de ciment ou de plâtre, ou des vêtements
trempés et sales. « Comment pourrai-je garantir de rentrer
avec des vêtements propres, alors que je suis exposée dans
mon travail à toutes sortes de saleté et je refuse de
changer mes vêtements hors de la maison », conclut Oum
Bassem, qui insiste pour porter toujours deux pantalons au
cas où le premier se déchirerait en plein travail.
Aujourd’hui, elle cherche à recruter une assistante pour
l’aider dans son travail.
Chahinaz Gheith