Démographie.
L’Egypte compte 37,7 % de jeunes de moins de 15 ans. Ce
phénomène, qui ne se répète que tous les 33 ans, est un défi
pour l’Etat qui doit tout faire pour exploiter cette
jeunesse. Dossier.
Fenêtre sur l’avenir
On
prévoit que l’Egypte aura 103 millions d’habitants en 2025.
Le dernier recensement effectué en 2005 par l’Organisme
central de la mobilisation et du recensement a estimé la
population égyptienne à 71,8 millions, dont 2 millions d’Egyptiens
travaillant à l’étranger. Une population qui augmente chaque
année de 2,1 %. Des chiffres et des estimations qui
paraissent colossaux et qui font peur. Cependant, il existe
un point positif.
En Egypte, on compte environ 37,7 % de jeunes de moins de 15
ans et 56,6 % ont entre 15 et 60 ans. Cela veut dire que la
courbe démographique penche en faveur de la jeunesse et des
personnes actives. « La population égyptienne est jeune. Ce
qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays européens, au
Japon et en Chine où les populations sont en train de
vieillir. Les 15 prochaines années, le nombre de retraités
sera plus élevé par rapport aux personnes qui travaillent.
Dans ces pays, ce sujet fait aujourd’hui couler beaucoup
d’encre et provoque de vives polémiques parmi les experts
qui sont à la recherche d’une sortie à cette impasse »,
confie Abdel-Salam Hassan, un démographe et chercheur au
Centre national pour la population. La Suisse, par exemple,
enregistre un chiffre record de par le monde en matière de
vieillissement. 1,11 % de ses habitants dépassent les 100
ans. En 2000, on en a recensé 797 vieux, alors que la
population de ce pays ne dépasse pas les 7 millions.
En Egypte, la courbe paraît idéale. C’est ce qu’on appelle
la pyramide renversée. Une chance à ne pas rater et surtout
à exploiter en matière de développement. Les études
démographiques effectuées par le PNUD (Programme des
Nations-Unies pour le Développement) prouvent que certains
pays comme la Malaisie, l’Indonésie et la Corée du Sud ont
profité de la population jeune pour développer leur
économie.
« Le gouvernement ne cesse de répéter que la croissance
démographique est la cause de tous les problèmes en Egypte,
entre autres celui du chômage. A citer que la Malaisie dont
la croissance démographique dépasse nettement celle de l’Egypte
est arrivée à baisser son taux de chômage, soit 3,7 % en
2002, contre 9 % en Egypte, selon les chiffres officiels.
Alors que le revenu moyen d’un Malaysien atteint les 1 000
dollars par mois, celui de l’Egyptien ne dépasse pas les 1
200 dollars par an », explique Mahmoud Yasser, expert en
développement humain.
Une courbe idéale
Il s’agit donc d’un défi à relever pour l’Egypte. D’après
l’avocat Hafez Abou-Seada, secrétaire général de
l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, le droit au
développement est porté sur la liste des droits de l’homme,
surtout dans les pays du tiers-monde. Cette pyramide
renversée est l’occasion à ne pas rater pour atteindre des
objectifs importants. Une population jeune est plus apte à
réaliser les plans de développement programmés par l’Etat.
Il assure que son travail sur le terrain lui a permis de
constater de près à quel point les sociétés occidentales se
préoccupent du phénomène de vieillissement de la population
qui entrave l’avenir de certains pays. « J’ai suivi de près
le procès des membres de l’ONG qui ont tenté de kidnapper
des enfants soudanais et tchadiens. Le but étant de les
placer dans des familles habitant les pays du Nord. Des pays
qui souffrent du vieillissement de leurs populations. Ces
enfants allaient recevoir une éducation et une culture de
façon à ce qu’ils puissent s’intégrer dans ces sociétés et
remplacer les personnes qui vont partir à la retraite »,
estime Abou-Seada, qui explique que l’Egypte possède donc
une fortune qu’elle doit apprendre à gérer.
Ce défi implique donc une planification pour le futur.
« Une révolution en matière d’éducation paraît nécessaire »,
explique le Dr Abdel-Salam. C’est d’ailleurs le thème de la
dernière conférence tenue la semaine dernière sur la réforme
de l’éducation. Le but était d’adapter les programmes
scolaires et universitaires aux demandes du marché.
Il poursuit que l’Egypte va avoir besoin d’idées créatives
pour faire évoluer les choses. « Depuis longtemps, les
établissements scolaires et les universités ne cessent de
former des fonctionnaires».
Depuis l’époque de Mohamad Ali et du khédive Ismaïl, qui ont
bâti l’Egypte moderne, cette conception ne semble pas avoir
changé. Il est vrai qu’à cette époque, la nécessité d’avoir
des fonctionnaires capables de gérer les nouvelles
institutions de l’Etat était urgente. Ce qui n’est plus le
cas aujourd’hui. L’appareil d’Etat compte actuellement 5
millions de fonctionnaires, dont beaucoup ne travaillent pas
suffisamment. « On a besoin alors d’un système éducatif qui
peut former des investisseurs, des hommes d’affaires, des
experts en technologie et qui répond aux besoins du marché
local et aux évolutions internationales », avance
Abdel-Salam.
En effet, les années 1950 et 60 ont témoigné d’un flux
d’émigration de la jeunesse égyptienne vers l’Amérique du
Nord et du Sud (surtout le Brésil). Dans les années 1970 et
80, beaucoup d’Egyptiens sont partis vers les pays du Golfe.
C’était un moyen d’ascension sociale d’autant plus que les
économies de ces expatriés ont contribué à améliorer
l’économie du pays. Il est vrai que depuis quelques années,
les frontières de certains pays sont interdites d’accès aux
Egyptiens, mais la situation risque de changer dans quelques
années. Et il va falloir que l’Egypte se prépare à cela. «
Il faut d’abord étudier pourquoi la main-d’œuvre égyptienne
n’est pas autant sollicitée qu’auparavant. Il faut donc
armer la nouvelle génération, lui donner une bonne formation
pour faire face à la concurrence, surtout que les sociétés
européennes vont sélectionner du personnel qualifié pour
l’emploi. Ces sociétés veulent éviter les problèmes liés à
l’émigration à cause des expériences précédentes », explique
Abdel-Salam.
Et ce n’est pas tout. La situation exige aussi une
augmentation du budget en ce qui concerne la santé. Il faut
que la masse laborieuse ait accès aux soins médicaux dès
l’enfance pour être capable de produire. Sans cela, selon
Yasser, elle se transformera en un fardeau pour la société.
« On va avoir besoin d’une main-d’œuvre productive. Un autre
défi à relever : le cancer enregistre un chiffre record en
Egypte. Certaines estimations assurent qu’environ la moitié
des enfants atteints de cette maladie dans le monde sont des
Egyptiens. Une masse laborieuse malade sera donc l’autre
revers de cette fenêtre démographique », lance-t-il.
Reste à dire alors que des études démographiques seraient
sans doute nécessaires pour étudier le phénomène de cette
croissance démographique. Il faudra planifier correctement,
pour être mieux armé pour l’avenir. Tel est le slogan de la
campagne lancée cette semaine par le Capmas (Centre national
des statistiques) et diffusée sur tous les médias en 2006. «
Il faut observer les évolutions de cette courbe
démographique, année par année, afin d’avoir des
informations précises sur le nombre de personnes qui
appartiennent à la tranche d’âge productive pour faire une
bonne planification de l’avenir. Une chose dont on se soucie
peu en Egypte », explique un autre expert démographique qui
a requis l’anonymat.
Reste à savoir si l’Egypte pourrait profiter de cette
pyramide renversée qui ne se répétera pas de si tôt.
Dina
Darwich