Al-Ahram Hebdo, Littérature |
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 Semaine du 14 au 20 mai 2008, numéro 714

 

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Littérature

Ibrahim Nasrallah, écrivain palestinien, couvre dans son roman épique Zaman al-khoyoul al-bayda 60 ans de l’histoire de son peuple, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à l’occupation en 1948. Si la sagesse arabe dit que Dieu a créé le cheval à partir du vent, et l’homme de la poussière, l’écrivain ajoute « et les maisons des gens qui y habitent ». Une division qui répond aux trois chapitres du roman.

Le temps des chevaux blancs

 

« Je ne me bats pas pour gagner, mais pour défendre mes droits »

 

Le héros du roman

Les deux tours en bois de la colonie disparurent subitement. Tout le monde le remarqua. Elles faisaient partie de manière intrinsèque de la colonie à tel point que personne ne pouvait l’imaginer sans leur présence. Les gens n’y comprirent rien. Comment cela avait-il eu lieu alors que le feu sortait de partout ?

— Ils vont quitter les lieux. C’est sûr qu’ils vont le faire puisqu’ils ont su que les armées de secours arrivaient.

— S’ils veulent partir, en quoi ont-ils besoin des deux tours ? Lorsqu’on part, on prend ce dont on a besoin. Peut-être prendront-ils leurs maisons qui se sont abattues du ciel, subitement. Mais les deux tours …

Et comme si la chose tenait du miracle, ils virent une nouvelle tour monter à la place de la tour nord. Elle grimpait largement du sol devant leurs regards ahuris. Ils ne virent personne autour de la tour pour leur permettre de penser que des gens y travaillaient. Le travail se faisait entièrement à l’intérieur. Après trois jours, elle devint plus élevée que n’importe quel bâtiment du village, plus haute que toute élévation. Tout en haut apparurent les ouvertures de combat semblable à une personne qui ferme un œil comme pour mieux voir.

***

— Ils ne jouiront pas de ce qu’ils ont construit ici puisque les armées de secours arrivent, dit le haj Salem.

— Vous êtes étranges, mon cousin, dit-elle. Comme si vous n’aviez rien appris de ce qui vous est arrivé en 36. Vous continuez à agir avec les leaders arabes à la manière du bédouin et de son histoire avec le panier de figues ! Pourtant, vous avez insulté ces leaders à ne plus en finir !

Et lorsqu’il lui demanda : Que veux-tu insinuer. Elle raconta : Un bédouin porta un panier de figues et partit avec ses bêtes vers les montagnes avant le lever du soleil. Il mangea le matin quelques figues en s’imaginant que quelqu’un viendrait lui apporter le déjeuner à midi. Il jeta un coup d’œil vers les figues et commença à grommeler : Mauvaises figues. Figues pourries. Il en vint même à pisser sur les figues. Mais il fut pris par la faim à midi, et personne ne vint. Il attendit, mais le déjeuner n’arriva pas. Il regarda alors le panier de figues avec consternation puis il dit : Cette figue n’a sans doute pas été touchée par la pisse et il la mangea, et celle-ci, et il la mangea également, et celle-là, et il fit de même. Il finit par engloutir tout ce que contenait le panier, en croyant ses dires.

Puis elle se tut et poursuivit : Si c’est la première fois que vous mangez des figues, je pourrai dire, c’est la volonté de Dieu. Mais ce que vous mangez, que Dieu nous en préserve ! C’est de la merde.

 

***

Le soleil de ce jour n’avait pas encore illuminé toutes les places du village et les recoins de ses cours. Ils entendirent alors un coup de feu suivi d’un hurlement.

Personne ne comprit ce qui se passait, à l’exception de ceux qui étaient sur la place. Ils virent un homme se tortiller, le visage contre la poussière. Ils le retournèrent et ils découvrirent que ce n’était personne d’autre que Tamim Abou-Daya. Le coup de feu avait traversé son cœur. Ils se retournèrent pour en connaître la source. Mais ils n’aperçurent personne. Et de loin, la colonie apparaissait calme et les pierres de la tour étaient éclairées par la lumière matinale.

Le lendemain, les choses se passèrent de la même manière. Dans la deuxième ruelle, tout près de la porte de l’échoppe d’Abou-Rihi, une femme se mit à hurler, puis elle tomba à terre. Les gens accoururent vers elle. C’était Leïla Hassan, la mère de Nayef. Ils ne savaient plus s’ils avaient entendu des coups de feu avant son cri ou pas. Ils scrutèrent toutes les directions, mais ils ne virent personne. Le calme que revêtait la tour et la distance qui la séparait de l’endroit apparaissaient si lointains que l’on ne pouvait d’aucune manière douter que les coups pouvaient parvenir de là-bas.

Le troisième jour, personne ne fut atteint. Tout se passa dans le calme. Ils en vinrent à croire que ce qui s’était passé les deux jours précédents n’était qu’un cauchemar, sans plus. Mais ils ne pouvaient oublier qu’ils avaient suivi deux linceuls de tués.

Le quatrième jour, un coup de feu se fit entendre. Ils n’auraient pu ne pas le remarquer. Ils devinrent plus alertes. Abdallah Rachid était tombé près du moulin à blé. Sa femme Torkeya Al-Moussa se mit à hurler et à geindre sur son cadavre. Puis elle se leva et appela au secours. Et elle n’avait pas fini d’hurler qu’un coup de feu l’abattit au-dessus du cadavre de son mari. Le village se pressa vers elle non sans précaution. Il y avait eu déjà deux morts.

 

***

Gabr Darwich confirma que la balle était venue de la tour. Oui, de la tour, et de nulle part ailleurs. Il avait aperçu son éclat. Ils ne purent croire que quelqu’un pouvait atteindre un homme à une distance aussi lointaine que celle qui séparait la première maison de Hadya des barbelés de la colonie.

Il dit : J’y vais et je vais m’assurer par moi-même avant l’aube. Je vais observer et comprendre. Abbass Rachid lui dit : Je t’accompagne. Le sang de mon frère et de sa femme ne se transformera pas en eau.

Lorsque le soleil se leva, ils entendirent un coup de feu, la tête de Gabr était apparue de derrière un grand rocher, celui de la surveillance. La balle était passée sous son œil. Il recula et sa tête tomba sur l’épaule de Abbass. Il se trouva taché par le jet de sang et par les bouts d’os et de chair. Et avant qu’il n’ait le temps d’ouvrir la bouche, ils entendirent dans le village la deuxième balle. Exactement, sous son œil gauche, la balle passa. Le sang, la chair et les os éclaboussèrent la terre auprès de lui.

Tout mouvement disparut complètement des rues du village.

Le septième jour, arriva une force de l’armée du secours. Son commandant rencontra Béchir Al-Haj et les grands du village.

— Dès aujourd’hui, il n’y a plus de raisons d’avoir des milices. C’est une guerre d’armée traditionnelle. Il dit cela avec une confiance qui les interloqua.

— Mais les juifs ne nous font pas la guerre en tant qu’armées mais comme milices. Pourquoi n’agirons-nous pas de la même manière ? Et pourquoi nous empêcher de défendre nos maisons ?

— Les ordres sont clairs. Il n’y a de place ici que pour les guerres d’armées.

Ils rassemblèrent les armes qu’ils parvinrent à trouver et se mirent à creuser les tranchées sur tous les alentours de la colonie dans la partie intermédiaire entre les limites du village et les barbelés. Ils lièrent cette longue ligne de tranchées au village à travers une tranchée en zigzag.

Les gens furent étonnés qu’aucun coup de feu ne fut tiré sur les personnes qui creusaient.

Mais la mort tapa à la porte du village à nouveau lorsque l’enfant Yéhia Ayad tomba raide. Il avait douze ans. Ils partirent voir Wassef Béchir. Il ne fit rien. Et tous les jours advinrent de nouvelles morts.

Hag Salem vint le voir, furieux. Et avant d’ouvrir la bouche, il fut surpris de voir l’officier pleurer.

— Qu’as-tu ?

— Tous les jours j’assiste à la mort de quelqu’un sans pouvoir rien faire. Quelle humiliation ?

— Laisse-nous faire. Nous allons résoudre le problème.

— Qu’allez-vous faire ?

— Laisse-nous nous débrouiller.

Wassef Béchir se tut, mais Hag Salem ne revint pas chez lui. Il se mit à marcher jusqu’à la maison de Hussein Ibn Al-Aziza :

— Cousin, nous avons besoin de toi. Trouve un moyen pour détruire cette tour.

— Calme-toi. J’y pensais. Nous allons la dynamiter.

— Et comment ?

— J’ai un ami qui s’appelle Ismaïl Al-Ghalyéni qui peut fabriquer des dynamites. Je vais lui demander de m’en fabriquer. Ainsi résoudrons-nous notre problème de manière radicale.

— Où habite-t-il ?

— A Khalil.

— Et qui peut y arriver ?

— J’irai et je reviendrai.

Hussein revint le soir même en compagnie d’Al-Ghalyéni en personne qui lui avait dit : Je ne pourrais fabriquer la dynamite que si je vois la tour par moi-même.

Le matin, il observa la tour de loin. Il dit : Maintenant, je peux travailler.

Le haj Salem partit voir le commandant de la force et l’informa : Aujourd’hui, nous libérerons tout le monde de ce démon.

— Mais n’oublie pas que la colonie est protégée par les Anglais et les juifs.

— Les jeunes vont trouver une solution.

La dynamite était prête un peu avant l’aube. Al-Ghalyéni dit : Je t’accompagne.

— Ta tâche se termine ici. Je connais mieux que toi la région, lui dit Hussein.

— Je t’accompagnerai donc vers le point le plus proche, pour me rassurer.

Ils marchèrent dans les tranchées jusqu’au point le plus proche. Ils rampèrent. Al-Ghalyéni se cacha derrière une grande pierre et chuchota à Hussein :

— N’oublie rien de ce que je t’ai dit.

— Rassure-toi (…).

Traduction de Soheir Fahmi

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Ibrahim Nasrallah

Né dans un camp de réfugiés en Jordanie en 1954, l’écrivain palestinien Ibrahim Nasrallah a fait ses études dans les écoles de l’UNRWA. Il est ensuite parti pour l’Arabie saoudite, où il a travaillé comme enseignant de 1976 à 1978. Puis il est rentré en Jordanie, où il a écrit pour plusieurs journaux (Al-Doustour, Afaq, Hasad). Il est actuellement responsable des activités culturelles à Darat al-fonoun, à Amman.

Plutôt connu comme poète, il est l’auteur de plus d’une dizaine de recueils de poèmes : Al-Khoyoul ala macharef al-madina (les chevaux au bord de la ville, 1980), Al-Matar fil dakhil (pluie à l’intérieur, 1982), Al-Fata, al-nahr wal general (le jeune homme, le fleuve et le général, 1987), Fadihat al-saalab (le scandale du renard, 1993), Maraya al-malaïka (miroirs des anges, 2001). Nasrallah est cependant également l’auteur de plusieurs romans, dont Hares al-madina al-daïa (le gardien de la cité perdue, 1998), et d’ouvrages critiques dans le domaine de la littérature et du cinéma.

Il a obtenu en 1998 le prestigieux prix Sultan Oweiss. Son dernier roman, dont nous publions un extrait, fait partie de son grand projet Al-Malhama al-falastiniya qui consiste à réécrire l’histoire palestinienne tissée par les témoins réels avec leur parler approprié. Ce projet entamé depuis les années 1980 a enfanté six romans.

 

 

 




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