Présidente de l’Organisme de la protection de la concurrence
et la lutte contre le monopole, Mona
Yassine évoque la
mission de cet organe sur le marché égyptien et les
principaux obstacles à franchir.
« L’Organisme de la protection de la concurrence ne se plie
à aucune pression extérieure »
Al-Ahram Hebdo : Deux ans après sa création, l’Organisme de
la protection de la concurrence et la lutte contre le
monopole est toujours entravé dans sa mission par le manque
d’informations. Ce qui mène à son tour à des retards
importants dans les enquêtes qu’il mène. Comment
entendez-vous remédier à cette situation ?
Mona Yassine :
Je ne peux pas nier que l’organisme affronte jusqu’à
maintenant un vrai manque d’informations. Ce qui constitue
l’un des obstacles principaux qui entrave nos travaux. Et
c’est ainsi que nous nous trouvons obligés d’avoir recours
aux entreprises et aux différents organismes œuvrant sur le
marché pour obtenir les informations nécessaires. Et c’est
un vrai problème car cette quête d’informations nous coûte
de longues périodes d’investigation. Mais, la longueur des
investigations ne résulte pas seulement du manque
d’informations, mais également des analyses économiques et
juridiques qu’elles nécessitent. Et ce n’est pas une
exception en Egypte. Les procès sur la concurrence durent de
longues années dans les différents pays du monde. Nous avons
parfois besoin de mettre la main sur des preuves économiques
et concrètes pour pouvoir accuser des entreprises
d’infraction à la loi anti-monopole. L’Organisme européen
pour la lutte contre le monopole a réalisé 4 ans
d’investigation pour pouvoir prouver les pratiques
monopolistiques de Microsoft.
Il ne faut pas oublier non plus que l’Organisme égyptien est
nouvellement créé et n’existe sur le marché que depuis deux
ans. Et au cours de cette courte période, il s’est attaqué à
10 procès, entre autres celui du ciment qui a été soumis
depuis quatre mois au procureur général pour le trancher. Et
avec le temps, la fonction et l’importance de cet organisme
seront bien connues et les informations lui seront plus
disponibles. Et pour régler ce problème, le législateur a
prévu de modifier la loi contre le monopole, lors de
l’actuelle session parlementaire, dans le sens d’un
renforcement des sanctions imposées aux entreprises
incriminées. Ceci encouragera les différentes entreprises à
donner les informations nécessaires à l’organisme. Surtout
qu’un des articles modifiés stipulera l’annulation de la
sanction encourue par l’entreprise qui informera l’organisme
sur les cas de pratiques monopolistiques.
— Quelles sont les nouvelles modifications prévues par la
loi anti-monopole concernant le renforcement des amendes
médiocres qui devraient être imposées aux entreprises
accusées ?
— Le ministère de l’Industrie s’est rendu compte que la
valeur minime de l’amende imposée affaiblit la loi. Et c’est
ainsi qu’il a proposé une modification des trois articles 6,
7 et 8 de la loi qui traitent des amendes. Ces modifications
stipulent une augmentation de l’amende de 10 à 50 millions
de dollars, ou de payer 10 % du total de la valeur des
produits vendus. L’amende la plus importante sera choisie.
Et si la pratique illicite se répète, l’amende sera doublée.
A noter que ces modifications seront appliquées dans
quelques semaines, car le Conseil consultatif a déjà
approuvé ces modifications et c’est au tour de l’Assemblée
du peuple de les approuver.
— Les fusions et les acquisitions sont cependant absentes
de la loi, alors que ce sont de vrais moyens de pratiques
monopolistiques portant atteinte au marché. Comment
allez-vous régler ce problème ?
— Il est vrai que les acquisitions et les fusions peuvent
être parfois un outil menaçant la concurrence sur le marché.
Mais il faut savoir que la grande majorité des organismes
pour la protection de la concurrence dans le monde entier
n’ont pas pu traiter la question des acquisitions et des
fusions au début de l’application de la loi. Cela demande du
temps, car il nécessite des compétences spéciales pour
pouvoir traiter les différents procès de manière rapide et
qualifiée. Et c’est pourquoi l’organisme ne proposera une
modification de la loi en ce sens que lorsqu’il formera les
cadres compétents capables de traiter ces affaires.
— La loi sur la concurrence en Egypte exige l’existence
d’exercices monopolistiques pour accuser les entreprises.
N’était-il pas préférable de se référer à la part de marché
que détiendrait l’entreprise, au cas où celle-ci dépasserait
par exemple les 25 % ?
— Premièrement, il est très difficile de se référer à la
part du marché pour juger les entreprises coupables de
pratiques monopolistiques, car cela voudrait dire détruire
les grandes entités économiques dont l’Egypte a fortement
besoin actuellement. Ce sont celles-ci qui pourront faire
face aux multinationales qui entrent sur le marché suite à
son ouverture et qui pourront réduire les coûts de
production. Deuxièmement, la loi en Egypte, comme dans tous
les pays qui en possède une, implique la nécessité de se
référer à trois points essentiels avant d’incriminer des
entreprises. A savoir, détenir une part dépassant les 25 %
du marché, exercer des pratiques qui peuvent avoir des
répercussions sur les prix et l’offre sur le marché. Et
finalement, l’incapacité de ses concurrents à freiner ses
exercices monopolistiques. Pourquoi donc faire une
exception, d’autant plus que ce n’est pas dans notre intérêt
?
— L’organisme a tranché depuis sa création peu de cas
d’entreprises contrevenant à la loi, alors que les exercices
monopolistiques sont nombreux sur le marché égyptien ...
— Il est très difficile à l’organisme de s’attaquer à tous
les cas de monopole en une seule fois. Et c’est pour cela
qu’on agit selon les priorités du marché égyptien. Nous
avons commencé avec le dossier du ciment, et maintenant nous
traitons celui du fer à béton, car ces deux dossiers étaient
une priorité pour le marché égyptien. Et le reste suivra.
— L’organisme a commencé à examiner le dossier du fer à
béton en même temps que celui du ciment et jusqu’à
maintenant, l’affaire n’a pas été tranchée. Ce qui a soulevé
des soupçons de complicité avec l’entreprise Ezz qui domine
le marché, et dont le propriétaire n’est autre qu’un
responsable important au PND, Ahmad Ezz ...
— Ceci n’est pas vrai. L’organisme exerce ses fonctions en
totale indépendance et ne se plie à aucune pression
extérieure. Nous étudions encore le cas du fer à béton et
nous l’achèverons très bientôt quand on sera au courant de
tous les détails du dossier. C’est un dossier épineux qui
nécessite de longues et difficiles investigations. Le cas du
ciment était plus facile et clair. Il s’agissait d’un
cartel, alors que pour le dossier du fer, c’est plutôt une
conduite et cela est plus difficile à prouver.
— A quel stade se trouve actuellement l’enquête ? Y
a-t-il une date approximative pour l’annonce des résultats ?
— Malheureusement non, car l’organisme doit achever ses
travaux secrètement et sans aucune intervention ou pression.
Et je ne veux pas annoncer une date que je ne pourrai pas
tenir. Les investigations ne sont pas faciles et c’est
difficile de savoir quand exactement elles seront terminées.
— Quels sont les autres dossiers que l’organisme étudie
actuellement ?
— Celui des produits laitiers, de la viande importée et des
huiles végétales, en plus d’autres dossiers d’une grande
importance que je ne peux pas dévoiler pour ne pas provoquer
de mauvaises répercussions sur le marché égyptien.
— Selon une étude effectuée par le professeur d’économie
Ahmad Ghoneim, sur la loi pour la protection de la
concurrence, le rôle de l’Etat ne doit pas se limiter à
l’application de la loi, mais doit assurer une justice
sociale et développer les compétences économiques et
productrices dans l’intérêt du consommateur ...
— C’est vrai. Et c’est pourquoi le gouvernement a adopté dès
1990 un programme de restructuration de l’économie reposant
essentiellement sur l’économie libre. Mais, pour pouvoir
réaliser une justice sociale, le gouvernement doit fixer un
salaire minimum et assurer une distribution équitable des
subventions de sorte que ceux qui les méritent soient ceux
qui les obtiennent.
— La même étude assure que le gouvernement s’est
intéressé seulement à développer les grands investissements
et a négligé les petites et les moyennes entreprises, pilier
principal de la concurrence, qu’en pensez-vous ?
— Les petites et moyennes entreprises nécessitent plus
d’intérêt de la part du gouvernement. Les politiques
adoptées par le gouvernement sont vraiment insuffisantes à
redresser les petits et moyens projets. Il est vrai que le
gouvernement a encouragé au cours des années précédentes la
création de grandes entités pour pouvoir tenir tête aux
multinationales, suite à l’ouverture du marché. Mais, il est
très important de créer une complémentarité entre les
différentes politiques du gouvernement pour assurer une
justice sociale et élever le niveau de vie du consommateur.
Propos recueillis par Névine Kamel