Anne-Marie Idrac,
secrétaire d’Etat française au Commerce extérieur, était au
Caire la semaine dernière. Elle fait le point sur les
rapports économiques avec l’Egypte.
« La France est intéressée à contribuer
au nucléaire civil
égyptien »
Al-ahram
hebdo : Vous avez rencontré 6 ministres égyptiens lors de
votre visite. Quels ont été les principaux sujets de
discussion ?
Anne-Marie Idrac :
D’abord, la confirmation d’un excellent climat aussi bien
politique qu’économique entre nos deux pays. Cela était
rappelé aussi bien par le premier ministre, Ahmad Nazif, que
par d’autres ministres. En ce qui concerne les relations
bilatérales à caractère commercial, j’ai retenu quatre
thèmes qui peuvent permettre un meilleur développement des
flux d’échange et des exportations françaises en
particulier.
Le premier, c’est celui du transport et de l’infrastructure.
Bien sûr, il y a le métro du Caire dont la France s’occupe
depuis longtemps en relation avec les autorités égyptiennes.
Au-delà du métro, le premier ministre m’a dit qu’il pourrait
être intéressé à des projets de transport de masse vers le
Nouveau-Caire ou la ville du 6 Octobre notamment s’ils
pouvaient se réaliser avec des formules de paiement
innovantes. La France s’intéresse également à réaliser des
projets dans le domaine des télécommunications ou encore
celui de la météo, pour lequel j’ai signé un accord de
modernisation. Le deuxième thème, c’est celui des nouvelles
technologies. J’y vois l’intérêt d’une diversification de
l’économie égyptienne, des types d’investissement, des
exportations et de développement également pour les Petites
et Moyennes Entreprises (PME) françaises. C’est donc un
intérêt complètement réciproque. Le troisième thème concerne
les ressources humaines ; la formation et l’éducation et
aussi la culture. Finalement, le quatrième thème d’intérêt
commun est celui de l’énergie avec un focus particulier sur
l’énergie électrique et la production nucléaire d’énergie
électrique. Domaine dans lequel la France dispose d’une
grande expérience avec 58 usines de production d’électricité
nucléaire sur notre territoire, de nombreux contrats à
travers le monde et de nombreuses discussions avec d’autres
pays de la zone. Donc, la France est bien entendu intéressée
par les dynamiques nouvelles qui s’ouvrent à cet égard en
Egypte.
— Vous avez ajouté à votre programme une rencontre avec
Hassan Younès, le ministre de l’Electricité. Est-ce une
preuve d’un intérêt spécial de la France pour le domaine du
nucléaire ?
— Cette rencontre avec M. Younès était un complément par
rapport au programme. Un complément de rendez-vous qui était
souhaité par moi-même et tout à fait encouragé par le
premier ministre égyptien ainsi que par le ministre de
l’Industrie, Rachid Mohamad Rachid. J’étais frappée et
intéressée par la très bonne connaissance de la performance
française en matière nucléaire qu’ont manifestée les
ministres égyptiens. En fait, la France a pris note des
efforts de rapprochement entrepris par la Russie avec
l’Egypte dans ce domaine ; je suis convaincue que l’offre
française de coopération a beaucoup à apporter dans ce
domaine grâce aux capacités internationalement reconnues du
groupe AREVA. Il existe, en effet, entre la France et
l’Egypte un protocole de coopération signé en 1981. Une des
hypothèses sur lesquelles nous pouvons travailler serait de
réactiver le protocole en question. Quoi qu’il en soit,
plusieurs entreprises françaises pourraient être intéressées
par l’appel d’offres sur les études que M. Younès vient de
lancer.
— Vous avez effectué plusieurs rencontres avec les
communautés d’affaires française et égyptienne ainsi que des
visites de terrain. Qu’avez-vous retenu de ces visites ?
— Je suis allée au Smart Village, où j’ai visité deux
entreprises françaises, Valeo et Alcatel-Lucent. Je voulais
vous dire à titre personnel que j’étais touchée, voire émue
de voir de jeunes Egyptiens, de jeunes hommes et femmes
issus de vos écoles et de vos universités travaillant sur
des projets d’innovation technologique en réseau avec leurs
collègues d’autres pays du monde et d’autres pays d’Europe.
Nul autre que ces investissements, ces capacités
d’innovation et ces talents contribuent au développement de
l’Egypte, créent de bonnes relations entre nos pays et
finalement contribuent au développement global de l’ensemble
de nos économies. J’ai également visité les travaux de la
nouvelle ligne du métro. J’avais déjà visité les premières
lignes il y a quelques années.
— Votre visite intervient deux semaines après la
validation par le Conseil européen de l’initiative du
président français Nicolas Sarkozy du projet d’Union pour la
Méditerranée. Comment ce nouveau projet sera-t-il concrétisé
?
— Sur l’Union pour la Méditerranée, nous avons pu constater
une approche conjointe qui me paraît pouvoir se résumer
autour de deux principes. Le premier, c’est l’idée d’une
approche concrète et pragmatique autour de projets à
dimension régionale intéressant les Etats autour de la mer
Méditerranée.
Le second, c’est l’idée de parités d’initiative entre les
différents Etats sur un pied d’égalité. Et en ce qui
concerne le commerce, nous avons l’intention d’avancer très
concrètement dès le 2 juillet, lors de la réunion des
ministres européens du Commerce, qui aura lieu à Marseille
en complément avec une réunion d’hommes d’affaires
intéressés par les projets.
A titre d’exemple, deux thèmes pourraient nous permettre
d’avancer, à l’occasion de ces premières réunions. Le thème
de la formation et celui du transport des marchandises pour
le développement de l’activité économique.
— Vous avez cité plusieurs fois le thème de la formation
et des ressources humaines, la France approuve-t-elle un
intérêt spécial dans ces domaines ? Et pourquoi ?
— Il me semble que la question des ressources humaines doit
être un champ particulier de développement. Et donc, nous
l’avons évoquée de la sorte avec le ministre de l’Industrie
et le premier ministre. Pourquoi ? D’abord, pour des
raisons, simplement, de contribution au développement de
chacun de nos deux pays. Et puisque d’une part et d’autre de
la Méditerranée c’est la qualité de la formation, ce sont
les capacités de l’innovation qui permettent de créer des
produits à haute valeur ajoutée et donc de les vendre sur
les marchés internationaux et qui permettent aussi sur le
plan social d’assurer le développement équilibré à chacun
des pays. Donc, je crois qu’il y a sur ces questions-là un
très grand engagement politique pour des raisons globales.
En Egypte, pour la création d’emplois au rythme qui convient
pour accueillir l’ensemble de la main-d’œuvre disponible sur
le marché du travail. Et pour nos pays aussi, au nord de la
Méditerranée, c’est très important de pouvoir valoriser au
mieux la ressource humaine par rapport à la compétition
d’autres parties du monde.
— Une grande partie des investissements français en
Egypte sont dans les domaines des services et non pas dans
le secteur industriel, supposé être promoteur d’un
développement plus durable. Y a-t-il une perspective pour
modifier cette situation ?
— Nous souhaitons avoir des échanges équilibrés et
diversifiés. D’autre part, je voulais attirer l’attention
sur le fait que les investissements dans les services sont
particulièrement intéressants. Parce qu’ils sont créateurs
d’emplois de différents niveaux et susceptibles ainsi de
contribuer à la croissance de l’Egypte et de contribuer à
absorber une partie de plus en plus forte, je l’espère, de
l’accroissement de la population active disponible sur le
marché de travail. Mais il n’y a pas d’a priori entre un
partage entre tant d’investissements des services et tant
d’investissements industriels. Cela dépend de l’intérêt des
entreprises et des partenariats qu’elles peuvent porter.
— Comment jugez-vous l’environnement d’investissement en
Egypte. En avez-vous parlé avec les investisseurs français
en Egypte ?
— C’est très frappant, je rencontre des investisseurs
heureux et qui ont envie de se développer. Donc, il n’y a
pas eu lieu d’avoir des discussions sur les contextes
juridique, réglementaire voire politique.
— Les récentes accusations de monopoles adressées à la
société française de ciment Lafarge n’ont-elles pas eu un
effet négatif sur cette vision ?
— Personne ne m’en a parlé. Et d’ailleurs à ma connaissance,
il y a plusieurs entreprises de ciment en Egypte. Il y a
même toutes les entreprises françaises œuvrant dans le
domaine.
— Comment le ralentissement de l’économie mondiale
surtout dans les pays développés a-t-il affecté le mouvement
des investissements étrangers directs ?
— Les évolutions des dernières années montrent bien qu’il y
a une très forte dynamique des investissements dans les pays
où le développement est le plus rapide. Le taux de
croissance que vous avez en Egypte, veut dire qu’il y a plus
d’investissements que dans des pays où l’économie est plus
mûre et donc moins dynamique surtout pour des raisons
démographiques d’ailleurs. L’internationalisation de
l’économie veut dire plus d’investissements dans les pays
qui croissent le plus et donc c’est le cas de l’Egypte.
— L’euro fort et le dollar faible, cette situation
n’a-t-elle pas influencé les exportations françaises ? Déjà
en Egypte, et dans la région en général, le prix d’un bien
importé des Etats-Unis ou de l’Asie est considérablement
inférieur au prix français et européen en général.
— C’est vrai que la crise financière, le dollar faible et
les prix des matières premières ont eu un impact sur
l’économie européenne et donc française. Pour nous, c’est
donc une raison de plus d’avoir des entreprises
exportatrices innovantes dans leurs produits et aussi dans
leur mode de faire et dans les partenariats qu’elles peuvent
nouer avec des acteurs locaux de sorte qu’on minimise ce
type d’inconvénient dans l’intérêt des deux pays.
Propos recueillis par Marwa Hussein