Adoption.
Une récente fatwa du mufti rouvre ce dossier épineux. Elle
propose une nouvelle formule, « Al-Walaa », qui permet à
l’enfant d’acquérir le nom de la famille d’accueil.
Un nom, donc une identité
«
Je suis un enfant trouvé. Tel est le drame de ma vie. Un
homme d’affaires important m’a adopté et a financé mon
éducation. Ce fut l’occasion pour moi de changer ma vie »,
raconte Mohamad, 26 ans, ingénieur. Il a achevé ses études
dans une université de renom et a réussi à trouver un emploi
dans une institution prestigieuse.
« J’ai l’impression d’être comme un arbre qui ne parvient
pas à se protéger de la tempête, étant donné que je n’ai pas
de racines. A chaque fois que je dois prendre une décision
importante dans ma vie, je me trouve face à ma réalité.
Aucune famille n’accepterait de prendre un gendre dont
l’origine est inconnue. L’erreur commise par mes parents me
poursuit partout et la société n’est pas prête à m’accepter.
Pourtant, l’islam prohibe le fait de glorifier son nom de
famille ou ses origines, mais la culture tribale est bien
ancrée chez nous. Une fatalité qui me pousse parfois à
penser au suicide », lance tristement Mohamad.
Un cas qui n’est pas du tout unique. Les chiffres des ONG
révèlent que l’Egypte compte environ 2,5 millions
d’orphelins, dont 55 000 se trouvent dans des orphelinats.
Selon les études effectuées par l’ONG Hope Village, il y
aurait environ 400 000 enfants abandonnés.
En effet, la loi égyptienne interdit formellement
l’adoption, à savoir octroyer à un enfant adopté le nom des
parents adoptifs. Seul le système de la « kafala » est
autorisé en Egypte. Selon ce système, toute personne de
nationalité égyptienne peut adopter un orphelin à condition
de ne pas lui accorder son nom, il devra garder le nom qui
lui a été donné à l’orphelinat.
C’est en février 1996 que le système de la kafala en Egypte
a été pour la première fois soumis au Parlement. Il a fallu
une dizaine de séances pour discuter les 159 clauses de
cette loi. Enfin, une loi a été promulguée interdisant le
fait de donner à l’enfant le nom de la famille adoptive et
autorisant définitivement la kafala.
Aujourd’hui, le dossier est de nouveau d’actualité. Une
fatwa promulguée il y a quelques semaines par le mufti de l’Egypte,
le Dr Ali Gomaa, autorise aux couples qui désirent adopter
un enfant de lui donner le nom de la famille uniquement sans
mentionner le prénom du père. Et ce, pour donner à cet
enfant une entité, celle d’appartenir à une famille, sans
transgresser les droits des héritiers ni causer des
confusions en ce qui concerne les liens de parenté.
Dans le quotidien Al-Ahram du 18 février 2008, le mufti a
expliqué que cette fatwa permettrait aux enfants naturels de
mieux s’intégrer dans la société. Ces derniers sont devenus
de plus en plus nombreux et exposés à des situations très
humiliantes depuis la scolarité jusqu’à l’âge du mariage. Il
suffit de savoir qu’un enfant est adopté pour que les
problèmes commencent.
« Une situation aussi complexe nécessitait une fatwa qui
devait résoudre le problème de ces enfants, tout en
répondant aux évolutions de la société », explique le mufti.
Mais, il a fallu faire face à un grand dilemme. D’une part,
selon la charia, l’adoption avec octroi du nom de famille
est illicite, et d’autre part, l’importance de parrainer des
orphelins et des enfants naturels pour qu’ils se sentent en
sécurité et non pas exclus.
Il a fallu donc, selon le mufti, arriver à une fatwa qui
soit en équilibre avec les droits des enfants adoptés et
ceux des autres membres de la famille, surtout en ce qui
concerne l’héritage.
Al-Walaa, un système appliqué depuis la nuit des temps,
diffère de celui de l’adoption. Il impose que l’enfant porte
le nom de famille ou de la tribu. Jadis, al-walaa présentait
deux aspects : al-walaa par l’affranchissement, dès qu’un
esclave était libre, il prenait le nom de la famille qui
l’avait affranchi et al-walaa par l’islam, quand une
personne prenait le nom d’une famille qui l’a aidée à se
convertir à l’islam comme une sorte de bénédiction pour eux.
Côté impacts
Pour
plusieurs personnes, cette nouvelle fatwa pourrait mettre
fin à une série de problèmes et permettre à ces enfants
d’appartenir à une famille et d’en porter le nom.
Par ailleurs, elle a provoqué des remous. « On va nous faire
rentrer dans un cercle vicieux de problèmes interminables.
Les procès d’alliance et d’héritage vont figurer en grand
nombre devant les tribunaux, surtout si la fatwa va évoluer
pour devenir une loi », explique l’avocat Tareq Zaghloul,
président de l’unité de travail sur terrain dépendant de
l’Association égyptienne des droits de l’homme.
En effet, la fatwa qui encourage à prescrire un nom de
famille à un enfant adopté ne touche pas seulement les
enfants dont les origines sont inconnues. D’autres
catégories encore peuvent en bénéficier, à savoir les
orphelins et les enfants de parents divorcés et qui n’ont
plus aucun lien avec leurs parents biologiques.
L’histoire de Leïla le prouve. Lorsque ses parents ont
décidé de divorcer, Leïla s’est installée avec sa mère qui
s’est remariée avec un homme d’affaires. Ce dernier a décidé
de lui donner son nom par des moyens détournés et en payant
des pots-de-vin. Une décision qui a suscité une vague de
protestation au sein de la famille de cet homme.
Soha, la nièce, travaille comme directrice de ressources
humaines dans une entreprise. Elle estime que le nom de
famille n’est pas le monopole d’une seule personne : « Ce
nom concerne toute la famille et le fait de l’octroyer à
cette inconnue risque de porter atteinte à la réputation de
chaque membre de la famille si un jour cette personne commet
un crime ou fait l’objet d’un scandale. C’est une aventure
dont on ne peut pas prédire les conséquences. Comment
ramener un enfant de la rue et lui donner en un clin d’œil
l’histoire de toute une famille à laquelle il n’a jamais
appartenu ? ».
Dans cette famille, la décision a été très contestée.
Pourtant, tout le monde a été mis devant le fait accompli
parce qu’il fallait respecter cet oncle, le plus âgé de la
famille. Cependant, dans les coulisses on ne décolère pas.
Le refus de l’intrus semble régner. Calomnie, commérage et
même rumeurs sur l’origine de la fille circulent de bouche à
oreille. « C’est une personne qui nous a été imposée.
Comment des liens de parenté peuvent-ils se tisser ? »,
s’interroge-t-on.
Pourtant,
les personnes qui travaillent de près avec ces enfants ont
un autre avis. Farouq Chaarawi, directeur d’un orphelinat,
estime : « Sans racines, ni familles, ces enfants qui n’ont
pas reçu d’affection souffrent de troubles psychologiques
graves. Lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, ils réalisent
qu’ils ne sont pas comme les autres. Certains décident de
quitter l’association pour partir à la recherche de leurs
vrais parents. Connaître leurs origines devient à un certain
moment de leur vie leur plus grand souci. D’autres iront
jusqu’au suicide. Ce sont généralement des personnes très
sensibles, susceptibles, ou agressives ».
Le fait donc de leur donner un nom de famille pourrait les
rendre moins perturbés. « Le besoin d’appartenir à une
famille et d’avoir une identité est un instinct inné chez
l’individu. Cette fatwa va alors combler ce vide et ce
sentiment d’appartenance à une famille », confie Farouq.
Quant aux confusions concernant l’héritage, les analyses
d’ADN sont très performantes aujourd’hui, la question
d’alliance pourrait être résolue de cette manière.
Farouq s’appuie sur des expériences réelles qu’il a croisées
tout le long de son expérience dans ce domaine. Il précise
que malgré les efforts déployés et les soins prodigués par
les institutions d’accueil, ces enfants sont souvent
psychologiquement perturbés. Un manque de sécurité qui reste
gravé dans leur psychisme.
« Beaucoup d’enfants cherchent inlassablement leurs racines
et attendent le jour où ils vont rejoindre leurs parents »,
avance-t-il.
Un état qui marque leur psychisme, surtout si ces enfants
passent d’un orphelinat à un autre suivant leur âge. Mais ce
sentiment peut être maîtrisé en cas d’adoption. « L’enfant
est plus équilibré lorsqu’il est entouré d’une famille qui
veille à son éducation et lui procure beaucoup d’amour et
surtout un nom auquel il pourra s’identifier. Un
épanouissement qui lui permettra de braver tous les défis.
Soutenu par ses parents adoptifs, il pourra se marier sans
problèmes et arrivera à s’intégrer plus dans la société »,
conclut un responsable dans un orphelinat.
Dina
Darwich |