Al-Ahram Hebdo, Enquête | Un nom, donc une identité
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 9 au 15 avril 2008, numéro 709

 

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Enquête
Adoption. Une récente fatwa du mufti rouvre ce dossier épineux. Elle propose une nouvelle formule, « Al-Walaa », qui permet à l’enfant d’acquérir le nom de la famille d’accueil.

Un nom, donc une identité 

« Je suis un enfant trouvé. Tel est le drame de ma vie. Un homme d’affaires important m’a adopté et a financé mon éducation. Ce fut l’occasion pour moi de changer ma vie », raconte Mohamad, 26 ans, ingénieur. Il a achevé ses études dans une université de renom et a réussi à trouver un emploi dans une institution prestigieuse.

« J’ai l’impression d’être comme un arbre qui ne parvient pas à se protéger de la tempête, étant donné que je n’ai pas de racines. A chaque fois que je dois prendre une décision importante dans ma vie, je me trouve face à ma réalité. Aucune famille n’accepterait de prendre un gendre dont l’origine est inconnue. L’erreur commise par mes parents me poursuit partout et la société n’est pas prête à m’accepter. Pourtant, l’islam prohibe le fait de glorifier son nom de famille ou ses origines, mais la culture tribale est bien ancrée chez nous. Une fatalité qui me pousse parfois à penser au suicide », lance tristement Mohamad.

Un cas qui n’est pas du tout unique. Les chiffres des ONG révèlent que l’Egypte compte environ 2,5 millions d’orphelins, dont 55 000 se trouvent dans des orphelinats. Selon les études effectuées par l’ONG Hope Village, il y aurait environ 400 000 enfants abandonnés.

En effet, la loi égyptienne interdit formellement l’adoption, à savoir octroyer à un enfant adopté le nom des parents adoptifs. Seul le système de la « kafala » est autorisé en Egypte. Selon ce système, toute personne de nationalité égyptienne peut adopter un orphelin à condition de ne pas lui accorder son nom, il devra garder le nom qui lui a été donné à l’orphelinat.

C’est en février 1996 que le système de la kafala en Egypte a été pour la première fois soumis au Parlement. Il a fallu une dizaine de séances pour discuter les 159 clauses de cette loi. Enfin, une loi a été promulguée interdisant le fait de donner à l’enfant le nom de la famille adoptive et autorisant définitivement la kafala.

Aujourd’hui, le dossier est de nouveau d’actualité. Une fatwa promulguée il y a quelques semaines par le mufti de l’Egypte, le Dr Ali Gomaa, autorise aux couples qui désirent adopter un enfant de lui donner le nom de la famille uniquement sans mentionner le prénom du père. Et ce, pour donner à cet enfant une entité, celle d’appartenir à une famille, sans transgresser les droits des héritiers ni causer des confusions en ce qui concerne les liens de parenté.

Dans le quotidien Al-Ahram du 18 février 2008, le mufti a expliqué que cette fatwa permettrait aux enfants naturels de mieux s’intégrer dans la société. Ces derniers sont devenus de plus en plus nombreux et exposés à des situations très humiliantes depuis la scolarité jusqu’à l’âge du mariage. Il suffit de savoir qu’un enfant est adopté pour que les problèmes commencent.

« Une situation aussi complexe nécessitait une fatwa qui devait résoudre le problème de ces enfants, tout en répondant aux évolutions de la société », explique le mufti. Mais, il a fallu faire face à un grand dilemme. D’une part, selon la charia, l’adoption avec octroi du nom de famille est illicite, et d’autre part, l’importance de parrainer des orphelins et des enfants naturels pour qu’ils se sentent en sécurité et non pas exclus.

Il a fallu donc, selon le mufti, arriver à une fatwa qui soit en équilibre avec les droits des enfants adoptés et ceux des autres membres de la famille, surtout en ce qui concerne l’héritage.

Al-Walaa, un système appliqué depuis la nuit des temps, diffère de celui de l’adoption. Il impose que l’enfant porte le nom de famille ou de la tribu. Jadis, al-walaa présentait deux aspects : al-walaa par l’affranchissement, dès qu’un esclave était libre, il prenait le nom de la famille qui l’avait affranchi et al-walaa par l’islam, quand une personne prenait le nom d’une famille qui l’a aidée à se convertir à l’islam comme une sorte de bénédiction pour eux.

 

Côté impacts

Pour plusieurs personnes, cette nouvelle fatwa pourrait mettre fin à une série de problèmes et permettre à ces enfants d’appartenir à une famille et d’en porter le nom.

Par ailleurs, elle a provoqué des remous. « On va nous faire rentrer dans un cercle vicieux de problèmes interminables. Les procès d’alliance et d’héritage vont figurer en grand nombre devant les tribunaux, surtout si la fatwa va évoluer pour devenir une loi », explique l’avocat Tareq Zaghloul, président de l’unité de travail sur terrain dépendant de l’Association égyptienne des droits de l’homme.

En effet, la fatwa qui encourage à prescrire un nom de famille à un enfant adopté ne touche pas seulement les enfants dont les origines sont inconnues. D’autres catégories encore peuvent en bénéficier, à savoir les orphelins et les enfants de parents divorcés et qui n’ont plus aucun lien avec leurs parents biologiques.

L’histoire de Leïla le prouve. Lorsque ses parents ont décidé de divorcer, Leïla s’est installée avec sa mère qui s’est remariée avec un homme d’affaires. Ce dernier a décidé de lui donner son nom par des moyens détournés et en payant des pots-de-vin. Une décision qui a suscité une vague de protestation au sein de la famille de cet homme.

Soha, la nièce, travaille comme directrice de ressources humaines dans une entreprise. Elle estime que le nom de famille n’est pas le monopole d’une seule personne : « Ce nom concerne toute la famille et le fait de l’octroyer à cette inconnue risque de porter atteinte à la réputation de chaque membre de la famille si un jour cette personne commet un crime ou fait l’objet d’un scandale. C’est une aventure dont on ne peut pas prédire les conséquences. Comment ramener un enfant de la rue et lui donner en un clin d’œil l’histoire de toute une famille à laquelle il n’a jamais appartenu ? ».

Dans cette famille, la décision a été très contestée. Pourtant, tout le monde a été mis devant le fait accompli parce qu’il fallait respecter cet oncle, le plus âgé de la famille. Cependant, dans les coulisses on ne décolère pas. Le refus de l’intrus semble régner. Calomnie, commérage et même rumeurs sur l’origine de la fille circulent de bouche à oreille. « C’est une personne qui nous a été imposée. Comment des liens de parenté peuvent-ils se tisser ? », s’interroge-t-on.

Pourtant, les personnes qui travaillent de près avec ces enfants ont un autre avis. Farouq Chaarawi, directeur d’un orphelinat, estime : « Sans racines, ni familles, ces enfants qui n’ont pas reçu d’affection souffrent de troubles psychologiques graves. Lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, ils réalisent qu’ils ne sont pas comme les autres. Certains décident de quitter l’association pour partir à la recherche de leurs vrais parents. Connaître leurs origines devient à un certain moment de leur vie leur plus grand souci. D’autres iront jusqu’au suicide. Ce sont généralement des personnes très sensibles, susceptibles, ou agressives ».

Le fait donc de leur donner un nom de famille pourrait les rendre moins perturbés. « Le besoin d’appartenir à une famille et d’avoir une identité est un instinct inné chez l’individu. Cette fatwa va alors combler ce vide et ce sentiment d’appartenance à une famille », confie Farouq.

Quant aux confusions concernant l’héritage, les analyses d’ADN sont très performantes aujourd’hui, la question d’alliance pourrait être résolue de cette manière.

Farouq s’appuie sur des expériences réelles qu’il a croisées tout le long de son expérience dans ce domaine. Il précise que malgré les efforts déployés et les soins prodigués par les institutions d’accueil, ces enfants sont souvent psychologiquement perturbés. Un manque de sécurité qui reste gravé dans leur psychisme.

« Beaucoup d’enfants cherchent inlassablement leurs racines et attendent le jour où ils vont rejoindre leurs parents », avance-t-il.

Un état qui marque leur psychisme, surtout si ces enfants passent d’un orphelinat à un autre suivant leur âge. Mais ce sentiment peut être maîtrisé en cas d’adoption. « L’enfant est plus équilibré lorsqu’il est entouré d’une famille qui veille à son éducation et lui procure beaucoup d’amour et surtout un nom auquel il pourra s’identifier. Un épanouissement qui lui permettra de braver tous les défis. Soutenu par ses parents adoptifs, il pourra se marier sans problèmes et arrivera à s’intégrer plus dans la société », conclut un responsable dans un orphelinat.

Dina Darwich

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