Inflation. Le prix des produits alimentaires atteint chaque jour des records dans les zones urbaines, et les mesures gouvernementales pour contrer le phénomène restent insuffisantes.

 

Le système s’emballe

 

Avec le récent suicide d’un père de famille devenu incapable de nourrir sa famille, la hausse des prix prend un tour tragique mettant aussi en danger le gouvernement Nazif. « A cause de la flambée des prix des produits alimentaires, j’ai dû réduire de plus du tiers la consommation de lait et de viande », raconte Sayed Fahmi, chauffeur de taxi, père de 4 enfants, qui touche 500 L.E. par mois. Sayed est l’exemple de millions de citoyens souffrant de l’inflation. « Les hausses sont quotidiennes. Le kilo de riz est passé de 3,50 L.E. à 4 L.E. en un jour. Comment supporter cette situation avec des revenus si faibles », se plaint Fatma, une professeure qui se rabat maintenant sur des produits alimentaires de qualité inférieure. Un grand nombre d’Egyptiens décide maintenant de faire une queue de 4 à 6 heures pour acheter du pain subventionné à 5 piastres la galette au lieu de 40 piastres. Le nombre croissant de ces convertis conduit même à des bagarres quotidiennes allant jusqu’à provoquer la mort.

Le gouvernement estime que l’inflation actuelle découle de l’augmentation des prix des produits alimentaires sur le plan international (voir encadré). D’après l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), en Egypte (deuxième importateur mondial de blé), l’inflation a entraîné la hausse des dépenses de la couche sociale moyenne de 50 %. Il y a deux mois, le premier ministre Nazif avait demandé à la Banque Centrale d’Egypte (BCE) de maintenir le taux d’inflation sous les 10 %. Mais aujourd’hui, les Egyptiens peinent à respirer. Ils accusent le gouvernement d’être à l’origine de leurs souffrances avec une inflation qui a atteint 12,1 % fin février dernier dans les zones urbaines. Selon l’Organisme central de la mobilisation publique et des statistiques (CAPMAS), le prix de la viande a augmenté en un mois de 6,5 %, ceux des légumes et de l’huile ont eux augmenté respectivement de 7,4 et 6,9 % respectivement.

Pour apaiser le fardeau de cette flambée des prix, le ministère de la Solidarité sociale a décidé le mois dernier de vendre le litre d’huile à 1,5 L.E. aux détenteurs de cartes d’approvisionnement, contre 10,5 L.E. sur le marché. En gros, le gouvernement va consacrer 17 milliards de L.E. aux subventions dans le budget 2007/2008, pour réduire l’impact de la hausse mondiale des prix sur les citoyens. Or, un déficit budgétaire énorme augmenterait l’inflation. De plus, la BCE a élevé le mois dernier le taux d’intérêt sur les dépôts et les emprunts de 0,25 % pour atteindre respectivement 9 et 11 %. Et ce pour encourager l’épargne et réduire la consommation. Mais ces mesures ont été jugées insuffisantes, d’autant plus que ces taux d’intérêt restent négatifs, c’est-à-dire en deçà du taux de l’inflation.

Pour certains, « les commerçants exploitent la hausse des prix internationaux pour accroître leurs profits et le gouvernement les aide dans leurs plans. Il faut les en empêcher en fixant un plafond à leurs profits », estime Mahmoud Al-Asqalani, porte-parole du mouvement Citoyens contre la cherté de la vie, tout juste créé. Le mouvement réclame que le gouvernement renforce son rôle de régulateur des marchés. Et ce, en créant un organisme chargé d’étudier les coûts réels des produits en vue de fixer les prix des produits stratégiques. Il dit s’être entretenu avec le directeur d’un supermarché cairote après avoir découvert deux étiquettes sur un même produit, l’une portant l’ancien prix et l’autre le nouveau. « C’est déjà du stock, donc vous n’avez pas payé plus cher pour l’acheter », lui a lancé Asqalani, avant de se voir répondre par le directeur qu’il ne fait que répondre aux ordres de son administration. C’est ainsi que les voix s’élèvent davantage contre les hausses de salaires. Tandis que dans les pays pétroliers du Golfe, comme l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, les salaires ont respectivement augmenté de 50 et 70 % depuis le début de l’année. De sa part, Chérine Al-Chawarbi, économiste à la Banque mondiale, avertit que si l’augmentation des salaires n’est pas accompagnée d’une augmentation de la production locale, « cela risque d’accroître les pressions inflationnistes », lance-t-elle, en soulignant l’importance du renforcement du rôle de l’Organisme de lutte contre le monopole et des associations de protection des consommateurs.

Gilane Magdi

Pourquoi les prix mondiaux augmentent ?

 

La question est à l’ordre du jour avec une hausse moyenne des prix des produits alimentaires de 47 % sur un an au niveau mondial. C’est ce que révèle l’indice de la FAO en janvier 2008. La hausse est majoritairement poussée par les prix des céréales (62 %), des huiles végétales (85 %), et des produits laitiers (69 %).

Il y a à cela plusieurs raisons. Du côté de l’offre, la production globale en céréales a baissé de 1 et 2 % respectivement en 2005 et 2006, notamment en raison du climat défavorable. Cependant, les marchés internationaux ont réagi fortement à cette légère baisse, car 8 pays parmi les grands exportateurs, qui produisent à eux seuls la moitié de la production mondiale, ont connu des baisses consécutives de leur production de 4 et 7 %. Toujours du côté de l’offre, le pétrole cher a également élevé les coûts de la production, mais aussi du transport des produits.

D’autre part, la demande mondiale a changé de structure. Ainsi, le marché croissant des biocarburants est devenu une source notable de la demande sur quelques récoltes, comme le maïs, le sucre, l’huile de palmier, des graines oléagineuses et du manioc.

Un facteur supplémentaire a engendré cette hausse : la spéculation. Les titres financiers à termes, les dérivés basés sur des produits agricoles offrent aux investisseurs sur les marchés financiers plus de diversification de leurs portefeuilles et moins d’exposition aux risques. Dans le contexte actuel de liquidité abondante dans certaines régions du monde, accompagnée par des taux d’intérêts bas et un pétrole cher, ces dérivés attirent davantage de spéculateurs qui visent davantage de profits.

Conséquence : déjà en 2007, la facture de l’importation des produits alimentaires avait augmenté de 20 % en un an, passant à 745 milliards de dollars. « Les importateurs nets du brut et de la nourriture en souffriront le plus », conclut le président indépendant de la FAO, Mohamad Saïd Nouri-Néemi.

Salma Hussein