Iraq-Turquie.
Le président iraqien a effectué sa première visite à Ankara.
De quoi ouvrir de nouvelles, mais timides perspectives entre
les deux pays contigus.
Kurdistan : vision binaire, intérêts propres
Apaisement provisoire ou véritable volonté de tourner la
page et d’avoir des relations stratégiques avec le voisin
turc ? Ce sont les deux questions qui ont pris le dessus
avec la visite du président iraqien Jalal Talabani en
Turquie. Une visite qui intervient à point nommé. Juste
après la fin des incursions turques dans le nord de l’Iraq
afin de venir à bout des rebelles kurdes retranchés dans
cette région. Mais même si la Turquie s’est retirée du nord
de l’Iraq, elle s’est réservée la possibilité de revenir si
elle le jugeait nécessaire. Une raison de taille qui vient
expliquer le pourquoi de cette visite et surtout de son
timing. « Le président iraqien, lui-même Kurde, veut
garantir que l’attaque turque ne se répétera pas. Il
comprend bien l’ampleur de la question du PKK pour le côté
turc et sait que tant que cette question n’est pas réglée,
l’Iraq sera menacé, notamment le Kurdistan iraqien qui est
presque la seule région la plus stable, la plus épargnée de
la violence », souligne le Dr Hicham Ahmad, professeur de
sciences politiques à l’Université du Caire.
En effet, toute offensive turque pour se débarrasser du PKK,
qui mène la lutte armée depuis 1984, n’aura que des
séquelles néfastes sur l’Iraq, ses infrastructures, son
insécurité, son commerce frontalier et le flux des
investissements. D’où la nécessité d’entamer une visite de
bonnes intentions après la tension qui a touché leurs
rapports. Il s’agit d’afficher une volonté de coordination
iraqo-turque pour réfuter les accusations selon lesquelles
les Kurdes iraqiens soutiennent ceux turcs et veulent que le
Kurdistan iraqien soit un modèle à suivre par ces derniers.
« Le but de cette visite est de pouvoir établir des
relations stratégiques et solides avec la Turquie », a dit
M. Talabani lors d’une conférence de presse avec son
homologue Abdullah Gül. Dans leur allocution à la presse
avant de répondre aux questions, les deux présidents se sont
abstenus d’évoquer l’opération turque qui s’est déroulée du
21 au 29 février dernier. M. Talabani a juste indiqué que la
Constitution iraqienne ne permettait pas l’établissement sur
le sol iraqien d’organisations pouvant nuire aux pays
voisins. « Nous sommes évidemment opposés à une organisation
qui lance des attaques contre un pays voisin et nous ne le
permettrons pas », a souligné M. Talabani, indiquant que les
Kurdes qui administrent le nord de son pays avaient été
sommés d’exercer des pressions sur le PKK pour qu’il quitte
cette zone où il dispose de plusieurs camps.
M. Gül
s’est contenté de dire que « l’Iraq visé lui-même par le
terrorisme est bien placé pour comprendre la lutte de la
Turquie » contre le PKK. La Turquie refuse d’engager des
négociations avec les Kurdes, car cela équivaudra à une
reconnaissance de ce groupe ethnique, mais accepte
uniquement de dialoguer avec le gouvernement central iraqien.
Mais
cette coopération iraqo-turque est-elle sans limites ?
Certes non. « Le président iraqien peut parvenir à une
accalmie, promettre de limiter les agissements du PKK, mais
finalement, il ne va pas s’aligner sur la Turquie de crainte
de perdre sa popularité. Les Kurdes iraqiens ne se
retourneront jamais contre les Kurdes turcs », continue le
Dr Hicham Ahmad.
Pour une
coopération économique
Outre la
question kurde, la visite était marquée par les entretiens
économiques visant à rapprocher les deux parties. Devant un
parterre d’hommes d’affaires, M. Talabani a appelé les
entrepreneurs turcs à investir massivement en Iraq.
« Je
peux vous assurer que vous bénéficierez de toutes sortes
d’aides en Iraq, aussi bien au Kurdistan iraqien que dans le
sud, à Bagdad », a-t-il affirmé, indiquant que son ministre
des Finances « disposait de plus de 25 milliards de dollars
pour des investissements et des projets stratégiques ».
Le
ministre d’Etat turc chargé du Commerce extérieur, Kürsad
Tüzmen, a indiqué samedi, après avoir reçu le ministre
iraqien du Pétrole, Hussein Chahristani, que leurs deux pays
allaient finaliser fin mai un « accord de partenariat
économique renforcé ».
Cet
accord aura pour « objectif d’intégrer les économies des
deux pays autant que possible pour former une zone commune
de prospérité », a-t-il dit, ajoutant que « la priorité de
la Turquie était d’investir dans le développement des champs
de gaz iraqiens, pour l’importation et pour servir de lien
vers l’Europe ».
Le
ministre turc de l’Energie, Hilmi Güler, a évoqué un projet
à long terme de construction d’un second oléoduc entre
l’Iraq et la Turquie.
Les
exportations turques en Iraq ont atteint 2,82 milliards de
dollars (1,83 milliard d’euros) en 2007 et les importations
iraqiennes en Turquie 650 millions de dollars (422 millions
d’euros), selon les statistiques officielles turques.
M.
Tüzmen a évalué à 6 milliards de dollars le volume des
échanges bilatéraux attendu en 2008 et affirmé que
l’objectif pour 2010 était de 20 milliards de dollars.
Les
entreprises turques sont particulièrement actives en Iraq
dans le domaine du bâtiment. Depuis 2003, elles y ont
engrangé des contrats d’une valeur de 4,2 milliards de
dollars, selon ces statistiques.
Rania
Adel