Bande de Gaza. Dans ce
territoire assiégé où règnent toutes sortes de pénuries et où la population est
à la merci de raids et de tirs continuels de la part d’Israël, la nuit équivaut
à un véritable enfer. Reportage.
La vie dans les tenebres
Noir
et blanc ou toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ? Les images que l’on regarde
sont l’une ou l’autre. Mais désormais, il y a dans certains endroits une seule
couleur : c’est le noir et celle-ci est prédominante à Gaza. On n’y peut
observer que le noir de jour comme de nuit.
Et si
l’on commençait par la nuit, nous découvrirons que le secteur de Gaza est le
seul endroit du monde où la vie devient évanescente dès le coucher du soleil. Une
fois les citoyens ayant accompli la prière du maghreb (crépuscule), on voit les
différents aspects de la vie disparaître. Le silence absolu s’impose quelque
temps après : c’est-à-dire dès que la dernière prière se termine. Tout le monde
rentre chez soi. Ils sont obligés. Le courant électrique est coupé dans la
ville du moins dans la majorité de ses quartiers. Une autre raison aussi, la
peur des spectres noirs qui hantent le ciel et dont on entend le bruit
terrifiant même s’ils sont invisibles, c’est-à-dire ces avions israéliens de
tous types qui survolent la ville et qui semblent vouloir mettre en garde les
habitants contre toute présence dans la rue. Ces avions menacent de bombarder
et pour eux aucun objectif n’est interdit : bâtiments, véhicules et même les
personnes se déplaçant à pied ...
Si
l’on a le courage de sortir la nuit, défiant l’obscurité et les bruits des
avions qui semblent interpréter un ballet funèbre dans le ciel, notamment les
appareils de reconnaissance qu’on appelle les « bourdonnantes », rien ne peut
assurer le moindre plaisir. Tous les magasins sont fermés. Pas de vente ni
d’achat dans le noir. Si quelqu’un s’aventure et ouvre sa boutique, ce sera
pour échapper à l’ennui. Il n’y aura pas de clients pour acheter. On fait face
à la coupure en se couchant tôt. Même le bruit des « bourdonnantes » ne dérange
plus. Les gens s’y sont habitués. Certains même ne se préoccupent pas du son
assourdissant des bombardements qui fait partie du rituel quotidien de la nuit
à Gaza. Ces tirs, notamment ceux des canons, sur n’importe quelle partie du
secteur qui fait 40 km de long et 12 de large, résonnent partout dans le
secteur.
Concernant
les voitures, elles sont absentes. On peut circuler dans la rue les yeux fermés
sans rien craindre. Les voitures se couchent avant les hommes et pour des
raisons de force majeure. Israël a coupé, en grande partie, les
approvisionnements en essence depuis deux mois environ, tant et si bien que les
propriétaires des véhicules et les chauffeurs rêvent d’obtenir 5 litres par
jour, oui juste 5 litres.
Et si
le promeneur de nuit tombe sur un mouvement ou une circulation inhabituelle,
des gens qui se mettent en rang, c’est qu’il y a quelque chose d’insolite. Il
n’a qu’à dépasser les autres et se mettre en tête de la file d’attente pour se
rendre compte qu’il s’agit d’essence. Ce liquide précieux n’arrive aux stations
que de nuit. C’est alors que l’on voit les gens se lever de leurs lits et
affluer sur les stations d’essence. La plupart reviennent malheureusement
bredouilles. La quantité est insuffisante. Et puis personne ne peut faire le
plein. 5 litres c’est le maximum. Et la plupart des gens qui attendent ne sont
pas des chauffeurs ou des conducteurs de camions. Il y a une nouvelle catégorie
de personnes, celles qui possèdent des générateurs, dont le commerce s’est
épanoui suite à la destruction de l’unique centrale électrique du secteur,
suite aux bombardements israéliens qui ont eu lieu après la capture du caporal
israélien Shalit en juin 2006. Même après la remise en état de la centrale,
cette catégorie a continué à s’enrichir puisqu’Israël a réduit les
approvisionnements d’essence de manière drastique depuis la fin de l’année
dernière pour punir la population de Gaza et la pousser à vivre dans
l’obscurité et lui interdire l’usage des voitures.
Cette
image de la nuit de Gaza ne devient exhaustive si l’on ne cite pas les sirènes
des ambulances qui retentissent. Il n’y a pas une nuit sans que les appareils
israéliens n’expérimentent leurs missiles modernes sur n’importe quelle cible
palestinienne. D’habitude, il s’agit des mourabitoun ou les vigiles, ces jeunes
dont certains sont des médecins, d’autres des enseignants, ou des
fonctionnaires et même des policiers. Ce sont des volontaires qui montent la
garde dans les zones proches des frontières israéliennes pour surveiller toute
incursion israélienne et alerter les résistants. D’où le fait que ces vigiles
sont une cible privilégiée pour l’aviation et l’artillerie israéliennes qui les
traitent comme des combattants hostiles, alors qu’ils prennent position à
l’intérieur de Gaza et ne participent à aucune offensive, n’étant d’ailleurs
pas préparés à ce genre d’opérations.
Avec
la dissipation de l’obscurité et l’apparition des lueurs de l’aube, la
situation commence à changer. Evidemment il y a des choses permanentes, le
survol par les avions israéliens dont le type change cependant.
Les
hélicoptères remplacent les appareils bourdonnants qui risquent de se trouver
une proie facile pour la défense antiaérienne, des canons de 14,5 millimètres
qui sont entre les mains des résistants, une arme capable d’abattre ces avions
relativement lents, s’agissant d’appareils de reconnaissance et de prises de
vue et qui sont sans pilote ? Toutefois, ils sont munis de lance-missiles et de
mitrailleuses. Leur travail reste compliqué parce qu’ils doivent voler à basse
altitude. Les hélicoptères et les F16 sont plus opérationnels de jour grâce à
leur capacité de manœuvres et de survol à haute altitude. Cela dit, ces
appareils opèrent aussi de nuit pour cibler des objectifs précieux ou semer la
terreur. Leur simple apparition est synonyme de mort.
Le noir du deuil
De
jour, la physionomie de Gaza se modifie, mais le noir reste la couleur
dominante, celle du deuil notamment après les massacres collectifs commis par
l’armée israélienne et qui ont pris cette allure de holocauste avec quelque 140
Palestiniens tués, dont la moitié est composée d’enfants et de femmes, avec
comme prétexte de mettre fin aux tirs de roquettes. Au cours de la période
entre le 28 février et le 5 mars, Tsahal avait tué 110 citoyens, dont 51
civils, parmi lesquels 27 enfants et 6 femmes. Il y a eu également 236 blessés,
des civils pour plus de la moitié, dont 11 femmes et 58 enfants. Ce triste
bilan ne comprend pas les dizaines de martyrs tués le premier jour,
c’est-à-dire le 27 février. Les rapports des organisations des droits de
l’homme relèvent que 69 de ces tués étaient des civils, dont 20 enfants et 3
femmes. Ce massacre s’est déroulé dans la ville de Jabalia et son périmètre,
suite à une offensive terrestre et aérienne précédée de raids aériens sur des
objectifs militaires et civils au nord de cette localité. L’horreur des crimes
commis par la machine de guerre israélienne, où les civils ont été ciblés
notamment les enfants et ce de manière directe, est décrite dans ces rapports. Les
scènes d’horreur sont terribles. Le 28 février, par exemple, quatre enfants ont
été tués, dont 3 d’une même famille suite à un tir de roquette dirigé contre
eux alors qu’ils jouaient au football dans un terrain situé près de leur maison
à Jabalia. Un cinquième enfant, visé par un missile, a été tué alors qu’il
gardait des moutons dans un pâturage à Beit-Lahia.
Les
deux premiers jours de mars, toujours à Jabalia et son périmètre, 7 enfants ont
trouvé la mort, également visés par un missile alors qu’ils se trouvaient à
proximité d’une voiture que l’aviation israélienne venait de bombarder. Un
frère et une sœur ont été tués dans le bombardement de leur maison, alors
qu’ils se trouvaient dans leur chambre. Une fillette de deux ans a péri, elle
aussi, suite à un tir de missile alors qu’elle était dans le jardin de sa
maison en train de jouer avec ses frères et sœurs.
Ces
deux jours aussi, 3 enfants ont été tués suite à un tir d’obus. Deux frères ont
trouvé la mort chez eux suite à un tir délibéré de la part de snipers
israéliens postés sur les toits des maisons. Leur père a été blessé.
Le drame de Mounir
Il
faut avoir beaucoup de courage pour se rendre à Jabalia. Une fois là-bas, vous
ne serez plus la même personne. La tragédie de Gaza vous marquera à jamais
surtout si vous rendez visite à la famille Dourdouné et rencontré le citoyen
Mounir Dourdouné qui est sourd-muet. Il a vu mourir devant lui son enfant
unique Ali, déchiqueté par le tir d’un missile lancé par un avion. Mounir
n’arrive pas à croire ce qui se passe. Il ne fait maintenant qu’aller chercher
son enfant dans les différents lieux, où il avait l’habitude de se rendre, sa
quête impossible se termine toujours par un évanouissement.
Le
choc subi par Mounir, qui habite la région de Jabal Al-Kachef, est allé plus
loin, au-dessus de ses capacités. Il crie à tout moment en portant les restes
de la chemise de son petit déchiqueté par les missiles israéliens. Il ne cesse
de porter à ses lèvres ces lambeaux et pleurer, tentant de prononcer un mot ou
une phrase : « Pourquoi m’ont-ils pris mon enfant ? C’était l’unique cause de
mon bonheur ».
Le
terrorisme israélien ne s’est pas limité à l’assassinat de Ali. Voire, les
Israéliens ont détruit la demeure avec un missile lors d’un raid qui a fait des
centaines de morts et de blessés. Mounir n’a plus de maison, ni de source de
subsistance. Il vit avec des parents mais n’arrive pas à dormir ni à se calmer,
sortant toujours à la recherche de son enfant.
Ce
drame, celui du père qui tient en permanence les lambeaux de la chemise de son
enfant a été la principale cause qui a poussé un jeune Arabe de Jérusalem qui
menait une vie tranquille, Alaa Abou-Dhaim, à exécuter cet attentat contre un
centre talmudique à Jérusalem-Est jeudi dernier et qui a fait huit morts et 35
blessés, suscitant des tirs de joie de la part des Palestiniens meurtris et
blessés. Voici le résultat de cette sanglante opération israélienne.
Si la
nuit s’enveloppe normalement de noir, le jour à Gaza est la noirceur même
poussant au désespoir. Les gens ne sont pas seulement privés d’électricité,
d’essence, poussés ainsi à se coucher tôt, mais ils subissent aussi cet
étranglement pendant le jour. Sortir pour chercher une voiture pour vous
accompagner au travail est quasiment impossible. Il n’y aura pas d’essence ? Il
n’y a pas aussi d’argent à retirer d’une banque. On vous dira qu’il y a un
manque de liquidités, même si la somme a été transférée de l’étranger. Aller au
marché pour s’approvisionner est une autre source de déception, il faut
accepter ce que l’on vous propose. Même les produits que les commerçants ont
introduits à Gaza au moment de l’ouverture de la frontière avec Rafah sont en
rupture de stock.
Dernière
image faite de noir, l’absence d’eau potable. La mort vous attend parce qu’il
n’existe pas de produit d’épuration. Il faut donc bouillir l’eau. Comment donc
tendre la main vers l’autre qui n’attend que l’occasion de vous la couper ?
Achraf Aboul-Hol