Pakistan.
La coexistence entre le président Musharraf et les partis
d’opposition, qui ont remporté les législatives du 18
février dernier et qui ont convenu de former un gouvernement
de coalition, s’annonce difficile.
Cohabitation délicate
Après
de longs mois de chaos politique, de violences et de crises
aggravées par l’assassinat du chef de l’opposition
pakistanaise, Benazir Bhutto, le 27 décembre dernier, le
pays a tenté cette semaine de redorer son image démocratique
avec la finalisation, dimanche, d’un accord pour la
formation d’un gouvernement de coalition entre les partis
anti-Musharraf ayant remporté les élections législatives du
18 février. D’après les résultats officiels publiés cette
semaine, le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) de Benazir
Bhutto arrive en tête avec 120 des 342 sièges du Parlement
(contre 80 en 2002), ensuite vient la Ligue musulmane du
Pakistan-Nawaz (PML-N) fidèle à l’ex-premier ministre Nawaz
Sharif avec 90 élus (18 en 2002).
Selon les experts, cet accord conclu entre le PPP et la
PML-N réduit à néant tout espoir que pouvait encore avoir
Musharraf d’une entrée de la Ligue musulmane du Pakistan,
qui le soutient, — arrivée en troisième position (51 sièges
contre 118 en 2002) — dans une coalition gouvernementale.
Soucieux de mettre en application une politique qui va
certainement voler le sommeil au président, les chefs de
l’opposition ont demandé, dimanche, à Musharraf de réunir le
Parlement « immédiatement » pour que le président du
Parlement et le premier ministre soient élus. Répondant à
l’appel de l’opposition, Musharraf a promis qu’il
convoquerait « dans une semaine ou une semaine et demie » le
nouveau Parlement. En effet, depuis la déroute subie dans
les urnes le 18 février par les partis qui le soutenaient,
le chef de l’Etat a constamment indiqué qu’il accepterait de
travailler avec la nouvelle majorité. Reste à savoir si la
nouvelle majorité est disposée à travailler avec le
président.
Promettant une existence « assez difficile » pour un
président déchu, Sharif et Asif Ali Zardari, veuf de Bhutto
et nouveau dirigeant du PPP, sont convenus, dimanche, de
rétablir à leur poste les juges démis par le chef de l’Etat
lors de l’état d’urgence décrété début novembre. Les deux
partis ont fait savoir que le rétablissement à leur poste
des juges limogés serait acté dans une résolution
parlementaire dans les 30 jours qui suivront la formation du
gouvernement. Ces magistrats pourraient bien, une fois
rétablis dans leurs fonctions, engager des recours
juridiques contre Musharraf. Plus grave encore, ces juges,
parmi lesquels l’ex-président de la Cour, Iftikhar Chaudhry,
seraient amenés à se prononcer sur la légalité de la récente
réélection du chef de l’Etat.
Selon le Dr Hicham Ahmad, professeur à la faculté de
sciences politiques et économiques de l’Université du Caire,
cette première rivalité entre le président et le
gouvernement n’est que la goutte qui annonce un torrent de
pluies : « La situation au Pakistan est délicate : il est
très difficile d’imaginer que, dans un même pays, le
président et le gouvernement aient des tendances si
divergentes, si disparates. Cet état des lieux est dû
essentiellement aux circonstances chaotiques et instables
par lesquelles passait le pays surtout après l’assassinat de
Bhutto. D’habitude, quand le peuple choisit un président, il
choisit forcément son parti pour régner, mais le meurtre de
Bhutto a créé une sorte de sympathie qui a incité le peuple
à favoriser son parti, d’où ce dilemme politique qui laisse
prévoir des rivalités permanentes qui vont dégénérer en
crise si les deux parties ne réussissent pas à trouver un
compromis ».
Déjà, les alliés occidentaux du Pakistan et ses voisins,
préoccupés par l’instabilité de ce pays doté de l’arme
nucléaire et luttant sur son sol contre des islamistes
radicaux armés, ont réitéré cette semaine leur crainte des
turbulences accrues si le gouvernement continue à défier le
président.
Faisant aggraver de plus en plus le défi, M. Sharif a
estimé, cette semaine, que le chef de l’Etat doit
démissionner après la défaite de son camp aux élections,
alors que le PPP semblait s’accommoder à l’idée d’une
cohabitation avec un Musharraf dépourvu de certains de ses
pouvoirs. S’attachant fort au pouvoir, M. Musharraf a
déclaré, dimanche, qu’il avait honoré son engagement à
organiser des élections libres, équitables et pacifiées,
suggérant à ses détracteurs de se concentrer sur la
formation d’un gouvernement plutôt que sur le sort du
président. « Contentez-vous de gérer le gouvernement »,
a-t-il souligné.
Selon les analystes, il est impossible que l’une des deux
parties démissionne à l’heure actuelle car les deux sont
élues démocratiquement par le peuple pakistanais. Pour
sortir de cette impasse, deux scénarios sont à imaginer. Le
premier, le plus raisonnable, c’est de parvenir à un
programme politique commun et tenter de rapprocher les
points de vue entre le président et l’opposition, sinon le
pays restera ingouvernable. Second scénario : « C’est de
laisser les rivalités aller crescendo pour quelques mois
durant lesquels le président tentera de mettre en lumière
les lacunes du nouveau gouvernement pour les inculper aux
yeux du peuple. Et quand il sera sûr que le peuple a perdu
sa sympathie pour l’opposition et surtout pour le PPP, le
président pourra bien dissoudre le Parlement et convoquer de
nouvelles législatives », prévoit le Dr Ahmad. Un jeu fort
risqué pour le chef de l’Etat ... .
Maha Al-Cherbini