Cinéma.
Le réalisateur Khaled Youssef,
dénominateur commun des deux films Hina
mayssara et
Héya fawda, dissèque la
conjoncture politique d’un pays souffrant de marasme.
« Ce qui se passe en Egypte actuellement n’est que l’érosion
d’un métal précieux »
Al-Ahram
Hebdo : Dans Hina
mayssara, vous mettez en avant
plusieurs facteurs politiques, sociaux et économiques pour
expliquer le phénomène des quartiers informels …
Khaled Youssef :
Les quartiers informels existaient toujours dans les années
1980, ils remontent même à l’époque nassérienne lorsqu’on a
voulu entourer Le Caire d’une ceinture prolétaire pour le
protéger. Au fur et à mesure, vu les changements politiques,
on les a laissé tomber. Pourtant, ce sont ces gens qui ont
défendu l’Egypte et participé aux guerres. J’ai effectué des
études de terrain là-dessus, encore à la faculté de
polytechnique, et j’ai touché à leur misère. J’ai dit : un
de ces jours, je ferai un film sur ces quartiers, mais le
projet a tardé compte tenu des conditions du marché. Chaque
phénomène social à ses dimensions économique, politique,
historique et géographique, c’est une liaison organique.
— On ressent aussi les échos de la guerre d’Iraq dans ces
quartiers. Est-ce un thème récurrent dans vos films ?
— Un seul monde, une seule histoire. Toutes les
civilisations : pharaonique, babylonienne ou autres ont des
liens mutuels. Ces liens sont devenus encore plus étroits
avec la révolution des moyens de transport et de la
communication. Certes, il y a un lien entre ce qui passe en
Iraq et en Egypte. Non seulement parce qu’il est difficile
de diviser l’histoire du monde arabe, mais aussi parce qu’un
grand nombre d’Egyptiens travaillaient là-bas. A la suite de
la guerre du Golfe en 1990, 5 millions d’Egyptiens sont
revenus chez eux, donc 5 millions de familles
devaient renoncer à leurs rêves
et aspirations. Ils sont venus habiter les quartiers
informels. Il en est de même avec la dernière guerre contre
l’Iraq, 2 millions d’Egyptiens sont rentrés.
— Vous dressez une image sombre du pays à travers votre
film, de quoi avoir suscité les réserves de certaines
parties.
— Le régime politique est le même depuis 25 ans. 15 millions
habitent dans les quartiers informels, le nombre d’enfants
de la rue varie entre 250 000 et 2 millions d’enfants. Qui
en est responsable ? Le peuple aussi est associé aux
défaites et aux victoires. Seules la démocratie et la
passation des pouvoirs peuvent mettre fin à ses droits
bafoués.
— Dans les deux films Hina
mayssara et Chaos, vous misez
sur le peuple. D’où vient cette confiance ?
— Je crois en la volonté du peuple. Tout au long de son
histoire, il parvient à choisir le moment opportun pour la
révolte, le silence ou la victoire. Nasser l’avait surnommé
« le peuple éducateur », il avait raison. Actuellement,
n’importe quel théoricien peut estimer que ce peuple est
mort, mais moi je suis sûr qu’il ne va jamais me décevoir.
Personnellement je n’ai jamais été déçu. Ce qui se passe en
Egypte actuellement n’est que les facteurs d’érosion d’un
métal précieux.
De toute façon, quand on vit dans un pays en voie de
développement, on n’a pas le droit de faire des films
futiles, visant uniquement à arracher le rire facile du
public.
Propos recueillis par
Mavie Maher