Foire du livre.
Des représentants de trois maisons d’édition espagnoles ont
discuté le rôle de la traduction comme mode de rapprochement
des cultures, mais aussi les difficultés pratiques qui
l’entravent.
Traduire n’est pas trahir
Comment la traduction peut-elle servir à rapprocher les
civilisations ? C’est le thème que sont venus discuter trois
représentants de trois maisons d’édition espagnoles dans le
cadre de la Foire du livre dimanche 27 janvier. Manuel
Pimentel, président de la maison d’édition Almuzara et
ex-ministre espagnol du travail donne la réponse. « La
traduction, surtout la littéraire, nous permet de mieux
connaître l’autre et de savoir qu’il s’agit d’êtres humains
qui vivent avec tout ce qui signifie le mot vivre ».
Dans leur discours, les éditeurs espagnols ont mis le livre
comme source d’infos en opposition avec les nouvelles et les
médias. Pour eux, ces derniers donnent le plus souvent une
image faussée de la société contrairement aux livres qui
donnent une image plus profonde des cultures des autres
sociétés. « En regardant les nouvelles à la télé, on ne voit
que des Arabes et des Occidentaux en confrontation. En
voyant ces images, beaucoup de téléspectateurs des deux
côtés croient qu’il faut se défendre contre cet autre qui
veut lui prendre son identité. Alors que la réalité est plus
compliquée que cela, dans une même société, il existe des
gens très différents avec des idées très variées. C’est
quelque chose que la littérature peut transmettre »,
argumente Pimentel. « Les médias jouent peut-être un rôle
pour limiter notre connaissance de l’autre », renchérit Sami
Khachaba, journaliste et écrivain également présent au
colloque.
De ces propos, on pourra donc tirer une simple conclusion :
choisir les livres les plus honnêtes et bien écrits du monde
arabe et les traduire en espagnol et vice versa pour
améliorer l’image de chaque société dans les yeux de
l’autre. Or, la vie n’est pas aussi simple. Une maison
d’édition reste après tout un business. Pour s’endosser les
coûts de traduction et de l’édition d’un livre, il faut être
sûr qu’il sera vendu. Son auteur doit donc être célèbre. Les
lecteurs ne vont pas acheter les livres d’auteurs inconnus,
surtout s’ils sont originaires de pays dont la culture leur
est inconnue. « C’est pourquoi les éditeurs espagnols ont
l’habitude de publier des traductions de livres américains
même s’ils ne les aiment pas », se lamente Pimentel. Ainsi,
les traductions espagnoles d’auteurs égyptiens se limitent
aux auteurs les plus célèbres comme Naguib Mahfouz, dont le
mérite n’a été vraiment reconnu en Occident qu’après le prix
Nobel 1987. Ou encore Alaa Al-Aswani, l’auteur du fameux
Immeuble Yaacoubian. Mais lui non plus n’a été reconnu en
Espagne qu’après avoir réalisé un succès en France et en
Allemagne. En fait, comme l’ont révélé nos trois éditeurs,
beaucoup de traductions d’œuvres arabes vers l’espagnol ne
sont pas des traductions directes de l’original arabe mais
d’autres langues, notamment le français. « Les éditeurs
espagnols ne connaissent pas le monde arabe. Il n’existe pas
d’agences arabes qui bougent en Espagne et vice versa, alors
que les Français sont plus présents dans le monde arabe et
présentent plus d’auteurs », explique Dario Marimon,
coordinateur général de la Maison d’édition des trois
cultures, créée par le gouvernement de l’Andalousie et celui
du Maroc en 1999.
Dario Marimon, à titre d’exemple, a révélé qu’il prépare la
traduction de quelques œuvres égyptiennes directement de
l’arabe vers l’espagnol. Quant à Pimentel, bien qu’il voie
l’importance de traduire des auteurs arabes et égyptiens
contemporains, il s’intéresse particulièrement à la
traduction des classiques andalous écrits en arabe vers
l’espagnol. « Beaucoup d’œuvres d’Ibn Al-Khatib ou d’Ibn
Arabi ou encore de livres sur l’histoire de Grenade n’ont
pas été traduits vers l’espagnol. Il faut accorder de
l’intérêt à ce patrimoine espagnol écrit en arabe. C’est un
travail énorme et il reste beaucoup à faire », affirme
Pimentel.
Marwa
Hussein